top of page

Résultats de la recherche

60 résultats trouvés avec une recherche vide

Posts de blog (26)

  • Contribuer à transformer la société en respectant l’indépendance syndicale ?

    Par Laurent Frajerman, professeur agrégé d'histoire, chercheur associé au Cerlis (Université Paris Cité) Ce billet reprend et complète un article paru dans la revue Enjeux du courant Unité et Action de la FSU. Il s'appuie sur des données concernant le syndicalisme enseignant, mais concerne des questions posées à tout le champ syndical. Sommaire Trois modèles historiques L'invention de l'indépendance syndicale, années 1930-1960 Un débat profondément renouvelé aujourd'hui Prioriser les sujets qui permettent l'union dans l'action Construire une manière syndicale d’envisager les questions politiques Le syndicalisme ne peut concevoir son action sans lui donner un sens politique plus global (humaniste et progressiste), sinon il se résume à du corporatisme, et se montre alors incapable de fixer un horizon commun à tous les travailleurs. Comme la société actuelle est profondément injuste, le syndicalisme ne peut obtenir des résultats significatifs sans œuvrer à une transformation globale. Mais si tel est son projet, sa réalisation impose de chercher des alliances avec d’autres forces, notamment partidaires. En France, les conquêtes sociales ont été actées par la loi, à l'issue d'un rapport de force social (par exemple les grèves de 1936) ET politique (le Front Populaire). Les salariés travaillant dans des secteurs peu syndiqués  bénéficient ainsi du SMIG et du droit du travail. Plus spécifiquement, le syndicalisme de fonctionnaires dépend pour la satisfaction de ces revendications de sa capacité de rassembler des soutiens au sein de l’Etat, et donc des soutiens politiques. D’ailleurs les syndicats enseignants ont joué un rôle politique important, notamment en dirigeant le mouvement laïque. Toutefois, la nature même du syndicalisme implique de réunir tous les travailleurs, comme l’indique le texte fondateur du courant Unité & Action, courant majoritaire de la FSU : « c'est l'existence d'intérêts communs et non pas une communauté idéologique qui fonde le syndicat. » [1] Mais comment éviter alors que les débats politiques ne deviennent des ferments de division, d’affaiblissement ? Ce risque varie selon les époques et les milieux professionnels. Ainsi, chez les cheminots, on a longtemps constaté une adéquation du milieu avec le syndicat majoritaire (CGT) et le PCF, auquel appartenait beaucoup de dirigeants CGT et qui dirigeait nombre de villes cheminotes (Saint-Pierre des Corps, Villeneuve-Saint-Georges, Longueau etc.). En revanche, les cadres d’Unité & Action avaient conscience d’être plus à gauche que la majorité de leurs collègues enseignants. Ce décalage, toujours actuel, était exploité par leurs adversaires réformistes, qui animent aujourd’hui le SE UNSA. Comment dépasser cette tension ? Comment le syndicalisme pense-t-il son rapport aux partis de gauche ? Petit examen d’une question brûlante et mouvante. Trois modèles historiques A la charnière du XIXe et du XXe siècle, trois modèles se mettent en place en Europe [2]  : En Angleterre, le modèle travailliste : le syndicat construit le parti (février 1900), pour qu’il soutienne ses revendications. Il domine le Labour Representation Committee, même si peu à peu les députés prennent leur indépendance. Tony Blair coupe le lien en fondant le New Labour dans les années 1990. En Allemagne, le modèle Social-démocrate est à l’opposé, le parti dirige le syndicat. Le syndicalisme allemand établira dès le début du XXe siècle des relations plus équilibrées avec le parti social-démocrate. Mais il a influencé le mouvement communiste avec la 9e condition d'adhésion à l'Internationale Communiste : « Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats professionnels au communisme. (…) Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l'ensemble du Parti. » En France, avec la Charte d’Amiens, la CGT syndicaliste-révolutionnaire instaure une concurrence, sous couvert d’indépendance syndicale. Se méfiant des dirigeants de gauche issus de la petite bourgeoisie (avocats, journalistes etc.), elle proclame que c’est le syndicat qui fera la révolution et qui deviendra la matrice de l’économie socialiste à venir. La Charte reste une référence pour une autre raison, parce qu’elle demande au militant d’un parti « de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors » et parce qu’elle assure que les syndicats n’ont pas « à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. » L'invention de l'indépendance syndicale, années 1930-1960 Cette conception stricte de l’indépendance syndicale est devenue la pierre angulaire du syndicalisme réformiste, autour de Force Ouvrière, en évacuant la dimension révolutionnaire du texte. Ceci s’explique notamment par la concurrence avec le syndicalisme « unitaire », lié au PCF et qui défend donc une coordination avec les partis de gauche. Celui-ci se fonde sur la Charte de Toulouse, adoptée en 1936 lors de la réunification entre les deux confédérations, selon laquelle la CGT se réserve « le droit de prendre l'initiative de ces collaborations momentanées, estimant que sa neutralité à l'égard des partis politiques ne saurait impliquer son indifférence à l'égard des dangers qui menaceraient les libertés publiques, comme des réformes en vigueur ou à conquérir. » Enfin le syndicalisme d’origine chrétienne, CFTC puis CFDT, forgé dans la promotion de la doctrine sociale de l’Eglise, a toujours défendu une conception active des rapports avec les partis, y compris de centre droit. La CFDT actuelle se retrouve donc naturellement dans les combats contre l’extrême droite et pour l’environnement. Elle cherche toujours à jouer un rôle moteur, en initiant en 2019 son Pacte du pouvoir de vivre, une alliance de la société civile avec la CFDT. On retrouve cette volonté d’indépendance d’action politique (le syndicat agit en fonction de ses propres principes, en cherchant des alliances politiques, mais sur un pied d’égalité) dans le cas de la FEN, sous la IVe République. Située au cœur d’un puissant réseau d’associations, elle entretenait des liens privilégiés avec les partis de gouvernement de centre-gauche. Elle s’était néanmoins opposée au Parti Socialiste (SFIO) pour défendre la laïcité et lors de l’avènement de la Ve République. Les débats sur l’indépendance syndicale se polarisent généralement sur l’idée de courroie de transmission, oubliant que ce mécanisme fonctionne dans les deux sens [3] . La création du statut de la Fonction Publique est symptomatique. Elle est l’œuvre du ministre communiste, Maurice Thorez, et de son collaborateur Jacques Pruja, secrétaire adjoint de l’UGFF, qui convainquirent les fonctionnaires CGT d’abandonner leurs réticences contre l’idée d’un statut. Une version aussi favorable aux fonctionnaires n’aurait pas vu le jour sans un rapport de force social. La réalité des fonctionnaires est influencée par leur rapport à l’Etat-patron [4] . Ainsi, la vision de l’école des partis de gauche était l’objet de toutes les attentions syndicales, surtout quand la perspective de leur accession au pouvoir devenait crédible. Par exemple, dans les années 1970, la commission enseignement du PCF réunit des dirigeants syndicaux Unité & Action, ceux-ci prenant leurs distances dans la décennie suivante. Au PS, François Mitterrand suit attentivement la situation syndicale, grâce à des notes d’un dirigeant du SNI [5] . La revendication des professeurs d’EPS de rattachement au ministère de l’éducation nationale est ainsi acquise par un lobbying patient au sein des partis de gauche, conjugué à de puissantes mobilisations. Lire aussi : L ivre dirigé par Laurent Frajerman, La Fédération de l’Éducation nationale (1928-1992). Histoire et archives en débat , Lille, Presses du Septentrion, 2010 Un débat profondément renouvelé aujourd'hui Le paysage actuel est complètement différent. Les liens ont été coupés par les recompositions syndicale (naissances de la FSU et de SUD) et politique (affaissement du PCF et en partie du PS, apparition de nouveaux partis). Les affiliations partidaires ont perdu de leur importance au sein des OS, même si le rapport à la politique au sens général du terme reste intense chez les militants, car il fonde souvent leur propension à s’investir activement. Les militants non membres d'un parti ont tendance à reporter sur le syndicat l'ensemble de leurs préoccupations, le poussant vers un rôle plus politique. De leur côté, les salariés, impactés par le scepticisme ambiant, affichent leur désintérêt pour l’action politique. Ils réclament en conséquence une neutralité syndicale illusoire sous bien des aspects. Ceux qui ne se syndiquent pas allèguent  la politisation des OS et le souci de garder leur "indépendance". L’écart a donc grandi avec les militants... Avis des enseignants sur la légitimité de l'intervention syndicale dans le domaine politique. Militens, 2017. Même chez les enseignants, réputés pour leur ancrage à gauche et leurs valeurs humanistes, l'idée prévaut que le syndicalisme doit se garder d'intervenir sur ces sujets. Il est assigné par sa base à une fonction revendicative, et en partie éducative. Heureusement pour les OS qui persistent à intervenir en dehors de leur champ naturel, rares sont les syndiqués qui s'intéressent à leurs multiples prises de position. Les statistiques des sites internet montrent notamment un grand succès des pages concernant les renseignements sur les droits et carrières, le métier, au détriment de ces aspects.  Ces nouveaux paramètres impliquent de repenser l’articulation entre les revendications professionnelles et la perspective globale du syndicalisme. Je privilégierai deux pistes. Prioriser les sujets qui permettent l'union dans l'action Dans les années quatre-vingt-dix, la FSU développait une intervention sociétale en collaboration étroite avec des associations médiatiquement reconnues. Les thématiques comme le droit au logement, le chômage, ou la lutte contre l’extrême droite permettaient une convergence naturelle entre engagement syndical et sociétal. Des militants peu nombreux, qu'ils soient des courants Unité Action ou École Émancipée, s'investissaient dans ces combats qui renforçaient la légitimité de leur organisation. La Fédération Syndicale Unitaire bénéficiait ainsi d'une image de modernité qui la distinguait d'organisations perçues comme plus corporatistes telles que Force Ouvrière ou la CGT.   Aujourd'hui, cet avantage comparatif s'est largement estompé. Les thématiques progressistes traditionnelles sont devenues sources de divisions profondes, y compris au sein de la gauche. Ce phénomène, parfois qualifié de "wokisme", se manifeste dans plusieurs domaines. La laïcité est désormais un terrain de controverses, notamment autour de la notion d'islamophobie. Des députés LFI ne combattent-ils pas l’école privée quand elle est catholique pour la soutenir quand elle est musulmane, même si elle est soupçonnée de véhiculer une idéologie islamiste ? L'antiracisme, autrefois consensuel dans le monde syndical, génère désormais des tensions importantes, particulièrement autour des approches intersectionnelles, véhiculant l'idée selon laquelle seules les personnes blanches pourraient être racistes. Un phénomène similaire s'observe avec une forme de néo-féminisme, qui pourrait sembler mettre en accusation les hommes, quel que soit leur comportement. Or, même les enseignants sont loin d'adhérer à ces thèses. Avec le questionnaire Militens , j'ai construit un indice synthétique des opinions sociétales à partir de questions bien moins clivantes que celles évoquées précédemment (vote des étrangers aux élections municipales, et non abolition des frontières par exemple). Pourtant un tiers seulement des enseignants peut être ainsi qualifié de moderniste, loin derrière une position modérée : Indice synthétique des opinions sociétales enseignantes, Militens, L. Frajerman, 2017 Les syndicats ne peuvent se désengager des questions sociétales, qui font partie de leur identité humaniste. Cependant, ils doivent développer des modalités d'intervention spécifiques et avec leurs objectifs propres pour éviter les clivages. Conformément à sa priorité au rassemblement et à sa vocation à représenter tous les salariés, le syndicalisme doit prendre en compte la diversité des opinions, sans se positionner comme une avant-garde éclairée qui donnerait la leçon. Construire une manière syndicale d’envisager les questions politiques Le deuxième aspect concerne l'ancrage du syndicalisme dans les réalités professionnelles. Si la neutralité est un aveu d'impuissance, répéter un discours venu de l'extérieur n'a pas grande utilité. Pire, c'est dangereux, comme le prouve un précédent : un syndicat majoritaire, très puissant, s'effondrant du fait d'une politisation excessive. A son apogée, l'UNEF syndique un étudiant sur deux et possède de nombreux restaurants universitaires et cafétérias. Dans l'euphorie de mai 68, elle se proclame «mouvement politique de masse»,  et se délite rapidement au gré de ses prises de position radicales. Le syndicalisme étudiant ne s'en relèvera jamais. La pertinence de l'intervention syndicale réside dans sa capacité à témoigner des réalités concrètes des métiers, à développer un point de vue spécifique sur les questions politiques ou sociétales. La question du nucléaire illustre ce principe : si les syndicalistes du secteur de l'énergie sont légitimement concernés et doivent se positionner, d'autres professions, comme les enseignants, n'ont pas d'expertise particulière à apporter. Prendre position sur ce sujet revient alors à se conforter à l’opinion dominante, fluctuante au gré des événements. Après Fukushima, la mode était au rejet du nucléaire, même si l’accident avait causé très peu de morts. Aujourd’hui l’urgence climatique impose une révision qui met les antis nucléaires en porte à faux. Le syndicalisme apporte donc une valeur ajoutée lorsqu'il se concentre sur son domaine d'expertise. Sur la question féministe, par exemple, sa contribution la plus précieuse concerne l'égalité salariale et la lutte contre les discriminations professionnelles. Sur l'immigration, les mêmes enseignants qui ne veulent pas d'une position de principe de leurs syndicats les approuvent quand ils soutiennent Réseau Éducation Sans Frontières, parce que des élèves étrangers sont menacés d’expulsion. **** Cette auto-limitation du syndicalisme, loin d'être un renoncement, constitue un moyen d'agir plus efficacement pour la transformation sociale, sans se perdre dans des controverses qui fragilisent sa cohésion interne. L'exigence d'indépendance syndicale s'étend désormais au-delà des seuls acteurs politiques, englobant l'ensemble des forces extérieures au syndicalisme. Si la collaboration avec des partenaires, notamment associatifs, est indispensable, elle ne doit pas conduire à des positionnements qui échapperaient au contrôle des organisations syndicales. Surtout, elle ne doit pas entraver la démocratie syndicale, ce qui est le cas quand les mandats des OS ne reflètent pas l'opinion de leurs membres. Cette approche permet au syndicalisme de maintenir sa spécificité tout en contribuant efficacement aux combats pour société plus juste et plus égalitaire.   [1]  Unité et Action, Unité et tendances dans le syndicalisme enseignant , Paris, U & A, 1971, 103 p., p. 15 [2]  Boll, Prost, et Robert éd.  L’invention des syndicalismes . Paris, Éditions de la Sorbonne, 1997 [3]  Laurent Frajerman, « Paradoxes et usages de l’indépendance syndicale. Le cas de la Fédération de l’Éducation Nationale sous la IV° république », La Pensée , n°352, 2007, pp. 51-62. [4]  Danièle Lochak, « Les syndicats dans l' Etat : les ambiguïtés d' un combat », in  L'actualité de la Charte d'Amiens , Amiens, CURAPP, 1987. [5] Jean Battut, Quand le syndicalisme enseignant rencontre le socialisme. 1975-1979 – Notes régulières transmises par la FEN et le SNI à François Mitterrand , L’Harmattan, 2013.

  • Grèves de fonctionnaires : les conditions du succès

    Par Laurent Frajerman, professeur agrégé d'histoire, chercheur associé au Cerlis (Université Paris Cité) Presque tous les syndicats de la fonction publique ont appelé à une grève le 5 décembre 2024. Ils ont réussi une grève importante dans l'Education nationale, mais non majoritaire, alors que la censure du gouvernement pouvait avoir un effet démobilisateur. Un mouvement social gagnant dans la fonction publique reste possible, mais  à condition d'innover dans un contexte difficile,. Sommaire Préparer la grève des fonctionnaires Un répertoire d'action bloqué entre deux impasses Mobiliser les grévistes occasionnels : l'exemple des enseignants L'unité syndicale à préserver Proposer une perspective de lutte. Entre volontarisme et réalisme La culture gréviste n'a pas disparu de la fonction publique, principalement portée par les enseignants. Mais trois vagues de grève n'ont pu empêcher des reculs sociaux sur les retraites (même si celle de 2019-2020 a été temporairement victorieuse et a évité aux enseignants une catastrophe). Une riposte sociale n'a donc rien d'automatique, du fait d'un possible défaitisme. Les grèves dans la Fonction publique d'état depuis 2005 Trop souvent, les syndicalistes de la fonction publique conçoivent la préparation d'une grève comme de longues négociations entre eux pour déterminer une date, savoir si l'appel laisse ouverte ou non la possibilité d'organiser des rassemblements (en général quand ils anticipent un flop). Il ne leur reste plus alors qu'à écrire des mails aux syndiqués et à la profession, à communiquer sur les réseaux sociaux et enfin à sortir les banderoles le jour J. Tout cela est utile et nécessaire, peut obtenir des résultats quand les agents sont mécontents, mais ne suffit pas à créer le rapport de force nécessaire face à un gouvernement arcbouté sur sa politique. Préparer la grève des fonctionnaires Une intense mobilisation militante s’avère nécessaire pour que les syndicats réussissent leur pari. Il leur faut : convaincre , par exemple en expliquant que les fonctionnaires ne sont pas responsables du déficit, des baisses d’impôts pour les riches et de la mauvaise politique économique menée depuis longtemps. Ils doivent contrecarrer les campagnes fallacieuses présentant les fonctionnaire comme des privilégiés, rappeler que les traitements de la fonction publique (surtout ceux des professeurs) ont baissé, contrairement à ceux des salariés du privé. Tout en ne nourrissant pas des clivages déjà prégnants, exercice délicat ! populariser la date, en faire un évènement. Le 5 décembre 2019 était connu de tous, car il avait fait l'objet d'une puissante couverture médiatique. Or, les OS de la Fonction Publique oscillent entre construire des convergences interprofessionnelles et choisir une date séparée pour ne pas invisibiliser leur combat. prouver aux agents que la grève sera utile. Les échecs passés ont nourri une forme de résignation qui est le principal obstacle à la conflictualité. Lire aussi : L ivre de Laurent Frajerman, La grève enseignante, en quête d’efficacité , Paris, Syllepse, 2013 Un répertoire d'action bloqué entre deux impasses Le mouvement syndical oscille entre deux formes d'action qui ne marchent pas, ou plus. Dans la fonction publique, doté d’un pouvoir de nuisance peu évident, il privilégie la journée d’action. Les journées d’action étaient des démonstrations de force qui attestaient du lien de la base aux directions syndicales en train de négocier. Ce système, vestige d’une époque où le dialogue social existait, est devenu peu opérant.  Régulièrement, les syndicats les plus combatifs lancent des journées d'action comme des bouteilles à la mer. Au risque de tirer leurs cartouches avant un affrontement plus important, par exemple quand le gouvernement lance une contre réforme. L’objectif était aussi d’interpeller l’opinion. Ce qui impliquait de choisir des thèmes consensuels. Or, celle-ci, salariés du privé compris, approuve les mesures d'austérité pour les fonctionnaires. Tant que ce sont les autres qui paient ! Certes, une grève permet aux syndicalistes d'argumenter dans les médias, mais compter sur le soutien de l'opinion paraît risqué. L’opposé ne marche pas plus dans la fonction publique : la grève reconductible est un mythe qui mène systématiquement les plus militants dans un mur. Par exemple, le coût économique de la grève enseignante est marginal : en 2012, les congés maladie immobilisaient les agents du MEN 76 fois plus longtemps [1] et surtout le gouvernement réalise des économies salariales. Lors du très puissant mouvement de 2003, les enseignants ont ainsi offert à leur adversaire 230 millions € [2] .  Elle représente tout de même un coût pour l’ensemble de la société, perturbant le travail des parents, et pour les mairies chargées de l’accueil des enfants. Ce qui confère un rôle stratégique aux professeurs des écoles. Si l'ensemble des services publics était à l'arrêt sur une certaine durée, cela aurait un impact évident, mais bien différent du cas de beaucoup d'entreprises privées, pour lesquelles la continuité de l'action joue un rôle : plus le temps d'arrêt de l'activité est long, plus l'entreprise est désorganisée et ses stocks insuffisants, plus elle perd de l'argent, et dans certains cas risque de perdre des marchés au bénéfice de la concurrence. La grève reconductible permettrait tout de même d'entrainer les fonctionnaires dans une dynamique de lutte, avec son cortège d'assemblées générales et d'actions spectaculaires. Et surtout elle apparaît à beaucoup de militants, notamment d'extrême-gauche , comme l'archétype de la grève, de par ses origines ouvrières. C'est pourquoi ils tentent de l'importer dans la fonction publique, par exemple en proposant de poursuivre la grève le 6 décembre 2019, mais le résultat fut tellement faible que le ministère de l'Education nationale ne l'a pas comptabilisé. La chute de la participation enseignante pour les grèves hebdomadaires suivantes montre que même ce système est en difficulté. Il faut dire que nombre de grévistes anticipent la défaite et calculent de combien de jours sans salaire ils estiment pouvoir se passer. Taux officiel de professeurs des écoles grévistes (L Frajerman, 2019-2020) Lire aussi : Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde , 8 janvier 2020 : "Syndicalisme : « Nous assistons à la résurgence du mythe de la grève générale » Mobiliser les grévistes occasionnels : l'exemple des enseignants J'ai étudié les ressorts de la conflictualité dans le champ professionnel de l'éducation. Les enseignants constituent l'un des moteurs des luttes sociales en France, bien au delà de leur poids dans la population active. En 2022, ils représentent 85 % des jours de grève de la Fonction Publique d'Etat pour 53 % des effectifs. Contrairement aux prévisions défaitistes , leur culture gréviste est restée intacte. Répartition des grèves en 2015, par type de salarié Le questionnaire représentatif  Militen s montre que la grève a déjà été pratiquée par au moins 83 % des enseignants. L’essentiel de la conflictualité provient d’un groupe de grévistes fréquents (19 % de la profession) épaulé de temps en temps par des grévistes réguliers (17 %) et rejoint dans les grands moments par les grévistes occasionnels (26 %). En revanche, 38 % % des enseignants ne participent à des mouvements qu’exceptionnellement, voire jamais. Ceux-ci sont beaucoup plus souvent de droite et socialisés dans des milieux étrangers à ce type de protestation (scolarité dans l’enseignement privé, famille de commerçants ou de cadres du privé, etc.). La réussite du 5 décembre 2019 provenait du cumul des grévistes fréquents, réguliers et occasionnels, ce qui n’est pas évident : en 2013-2014, moins de la moitié des professeurs des écoles (PE) opposés à la réforme des rythmes scolaires a participé à des actions dures (grèves, manifestations) contre elle. Réussir une grève majoritaire suppose de convaincre le groupe intermédiaire, or il est moins sensible à l’unité syndicale que les grévistes réguliers ou fréquents. Pour ceux-ci, l'unité syndicale sert de boussole, elle indique que cette grève précise est importante dans un contexte où certains syndicats lancent plusieurs grèves par an (les plus radicaux lancent en moyenne presqu'un appel par mois). Sauf lorsqu'un mouvement social a démarré, la plupart d'entre elles ont trop peu d'écho pour être comptabilisées par le ministère, car même les grévistes fréquents trouvent ce rythme excessif. Très rares sont les enseignants acceptant de perdre plusieurs journées de salaire par an, surtout quand ils sont seuls ou une poignée dans leur établissement. Paradoxalement, ce type d’action à l’échec programmé aboutit donc à une individualisation de la lutte, soit l’effet inverse du sens profond de la grève : un moment collectif, qui renforce la cohésion du groupe. L'unité syndicale, un atout pour la grève ? Selon le niveau de conflictualité Lire aussi : Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde , 10 décembre 2019 : "Grève du 5 décembre chez les enseignants : « un chiffre officiel sous-évalué »" L'unité syndicale à préserver L’unité syndicale est plus difficile à construire en dehors des contre réformes sur les retraites. L'intersyndicale, au niveau interprofessionnel comme de la fonction publique, est restée dans un entre-deux. Elle continue de se réunir et de rechercher des actions et positions communes. Toutefois, le besoin de se distinguer en vue des prochaines élections professionnelles a repris de la vigueur. Aucun travail programmatique n'a été entrepris, aucune structure n'officialise l'intersyndicale. Les alliances sont à nouveau à géométrie variable, comme lorsque l'extrême droite menaçait de prendre le pouvoir (FO, CFTC, CGC refusaient de prendre position). Les syndicats les plus combatifs ont tenté des grèves peu suivies, alors que les plus modérés ne proposaient aucune forme alternative. FO a repris son habitude du cavalier seul, proposant 3 jours de grève pour 3 jours de carence. Une idée loin d'être absurde, mais qui ne justifie pas de refuser de se joindre à la date qui fait consensus. Bref, les syndicats seront d'autant plus unis que les agents seront mobilisés et déterminés. Lire aussi : Tribune de Laurent Frajerman dans Libération , 11 septembre 2023 : « Comment conserver l’unité syndicale du mouvement contre la réforme des retraites ? » Proposer une perspective de lutte. Entre volontarisme et réalisme Comment éviter d’effrayer les agents les plus modérés tout en garantissant aux plus combatifs que l’action sera assez dure pour avoir une chance de gagner ? Le problème est particulièrement ardu dans la Fonction publique hors enseignants, dont la culture est de moins en moins conflictuelle . Il n'existe ni solution simple, ni formule miracle que les syndicats refuseraient de traiter. Ainsi qui ont le plus recours à la grève de 24 h, comme la FSU, ne la fétichisent pas non plus, ils utilisent cet outil faute de mieux. Le SNES FSU et la grève de 24 h (intervention de Frédérique Rolet au colloque de 2013) Les syndicats sont donc confrontés à l'impératif d'innover, de faire bouger les lignes. Depuis 15 ans, dans le monde entier, des mouvements sociaux de grande ampleur ou des révolutions sont facilitées par l'usage des réseaux sociaux, l'horizontalité qu'ils permettent. (non sans risques de manipulation...). Avec le déclin des traditionnelles assemblées générales, qui ne réunissent plus que les militants d'extrême-gauche, la délégation de pouvoir aux directions syndicales a augmenté. Or celle-ci ne permet pas l'expression de la créativité de la base et limite son appropriation des enjeux. Considérant que le plus important est la participation du plus grand nombre, le caractère majoritaire de l'action, certains syndicats innovent en tentant de tester le niveau de mobilisation envisageable. Le SNES-FSU a ainsi lancé début 2024 une consultation de ses syndiqués  pour savoir s'ils étaient prêts à "s'engager sur une mobilisation dans la durée après" une première grève. Le résultat a servi de guide pour la direction, sans être rendu public. L'initiative la plus intéressante a été prise par le SNUipp FSU en 2016  : désireux de lancer le boycott d'un temps de travail (les Activités pédagogiques complémentaires), action risquée si les professeurs des écoles sont isolés, il a recueilli sur un site internet leur engagement personnel à y participer. Au bout de 35 000 engagements, il a lancé officiellement cette campagne, qui a été un succès. Actuellement, la grève est plus un moyen d'expression qu'un outil pensé comme capable de gagner. Ce qui crée un cercle vicieux : comment démontrer le contraire si les agents ne jettent pas toutes leurs forces dans la bataille ? Bref, il est important de proposer une perspective crédible et de montrer en actes que l'action constituera un évènement. Il est donc capital de prévoir des suites aux actions programmées, d’enclencher une dynamique de lutte. On l'a vu, ce n'est pas gagné. Les syndicats les plus modérés ne poursuivent la lutte que s'ils ont la garantie qu'elle sera très suivie. Ce qui est compréhensible mais ne créée pas toutes les conditions pour qu'elle le soit. Autre cercle vicieux.... Notes : [1]  11,4 jours par agent contre 0,15 jour de grève. RA DGAFP 2015, Figure 8.4 4. [2]  Réponse à la question au gouvernement n° 32625 du député Alain Bocquet, 27 janvier 2004. Lamyline.fr .

  • L'avis des enseignants sur les principes des réformes

    Par Laurent Frajerman, professeur agrégé d'histoire, chercheur associé au Cerlis (Université Paris Cité) Cette rentrée scolaire très particulière, avec une ministre démissionnaire, est l'occasion de revenir sur les fondements des politiques éducatives, de se focaliser sur les aspects structurels. Comment les enseignants appréhendent-ils les principes des réformes ? Les professeurs du secondaire et du primaire se distinguent-ils encore sur cet aspect ? Ce post est issu d'un document de travail de mon Habilitation à Diriger des Recherches (en cours ). Des professeurs pragmatiques Les enseignants, sur le terrain, ne se reconnaissent pas dans les couples antagoniques innovation/tradition, éducation/instruction, égalité/mérite, bienveillance/exigence. Ils s’avèrent très éloignés des théories, et très pragmatiques. Il était difficile d'obtenir une réponse à la question "Pour vous, c’est quoi être enseignant ?", destinée à recueillir les valeurs générales des professeurs, à situer leur rapport à l’élève. L'équipe de Militens  a constaté qu'ils ne théorisaient pas ces aspects, dans leur majorité. Fabienne [1]  (32 ans, agrégée d’anglais en collège, non syndiquée) nous donne une définition remarquablement neutre et floue de ses valeurs éducatives : « Essayer de faire en sorte que tout le monde progresse, d’une façon ou d’une autre . Essayez d’apporter quelque chose à nos élèves quels qu’ils soient. ». Comme en écho, Hortense semble regretter son manque de « dogme » sur les pratiques pédagogiques : « c’est affreux d’en arriver à ce constat-là après tant d’années, ce sont d’abord des qualités individuelles qui font l’enseignant » (55 ans, certifiée de lettres en collège, syndiquée au SNES). Ainsi, si le Socle Commun des Connaissances et des Compétences, instauré en collège par François Fillon en 2005 dans le but de supplanter la logique disciplinaire et de rapprocher premier et second degré, a suscité un rejet massif, celui-ci était moins motivé par des raisons idéologiques que par son caractère descendant et inapplicable (Lantheaume et Simonian, 2012). L’éclectisme des professeurs est un phénomène ancien : le début du XIXe siècle est marqué par le conflit entre les modes simultané et mutuel, mais en pratique, on constate un « éclectisme pédagogique fréquent » (Chapoulie, 2010, p. 50). Etudiant les dispositifs pédagogiques concrets, Stéphane Bonnéry constate que malgré des discours opposés, les six enseignants observés « mettent en œuvre des dispositifs qui convergent » (Bonnéry, 2009). Dans sa thèse, il constate que ce qui s'observe le plus souvent dans les classes est un mélange entre pédagogies anciennes et récentes, pédagogies pour tous et "adaptées" aux difficultés réelles ou supposées des élèves (Bonnéry, 2007). Lire aussi : Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde , 31 mai 2022 : « Espérons que le nouveau ministre de l’éducation se rendra à l’évidence : tout ne peut pas se gouverner par les nombres » Pour ou contre le modèle officiel qui sous-tend les réformes ? Un clivage oppose les partisans et les défenseurs du nouveau modèle officiel de professionnalité, pensé comme la reproduction fidèle de techniques conçues par des experts, les pratiques étant modifiées en fonction de l’évaluation des performances des élèves. Ce modèle accorde une place centrale à l’investissement dans l’établissement, au travail en équipe sous l’autorité des hiérarchies de proximité. Pour l’instant, celui-ci est loin d’avoir convaincu la majorité des professeurs. En 2002, quand on interroge les professeurs du second degré sur ce qui est le plus satisfaisant dans leur métier, ils répondent en second « le fait de transmettre des connaissances (68 %) et en troisième le « contact permanent avec une discipline qu'on aime » (62 %) (Sofres / SNES). Le questionnaire Militens  montre que les éléments concrets de ce modèle sont toujours désapprouvés. Lorsqu’on leur demande de hiérarchiser les définitions d’un bon professeur, les items valorisés par les prescriptions officielles sont relégués en fin de classement (« savoir travailler en équipe », « être innovant » et en dernier « développer des projets, communiquer à leur sujet »). Ces items valorisent la norme d’un enseignant organisateur, travaillant en réseaux et sachant communiquer sur ses projets. Ils sont surpassés, même chez les professeurs des écoles - souvent présentés comme plus ouverts à la novation pédagogique que ceux du second degré - par les définitions traditionnelles (ex aequo « être capable de bien expliquer le cours, maîtriser les sujets abordés » et « avoir une bonne relation avec ses élèves »). Sont plébiscitées des notions-valises, comme la capacité d’expliquer le cours, qui ne préjuge en rien de la méthode employée, ou un item connoté comme conservateur, mais qui correspond au quotidien des professeurs : « savoir mettre les élèves au travail ». J'ai construit un indice synthétique regroupant des questions emblématiques des normes pédagogiques officielles de l'époque (Gabriel Attal a impulsé une inflexion vers un discours moins "bienveillant" envers les usagers, mais l'essentiel reste), telles que le travail en équipe, l'importance de la formation continue. Le questionnaire ne mentionne pas la compatibilité de certaines réponses avec les normes officielles, cet indice est le fruit d’un raisonnement postérieur, les répondants n'ont donc pas été influencés. 60% des professeurs des écoles contestent ces normes (- 10 points par rapport aux professeurs de lycée et collège, ce qui est cohérent avec les observations sociologiques). Au moyen d’une régression logistique, j’ai déterminé le profil moyen de l’enseignant du second degré hostile à la pédagogie officielle : un professeur jeune ou au contraire âgé, qui voit la fréquence des réunions comme une difficulté, qui avait la vocation du métier, rarement conflictuel, syndiqué ou ex syndiqué. Enfin, sa sociabilité est fréquente ou au contraire rare. Ces résultats dessinent un paysage éclaté des oppositions aux nouvelles normes pédagogiques, ce qui en rend plus difficile l’interprétation. Si le refus des réunions fait consensus, on voit coexister un public qui ne semble pas vouloir s’investir davantage (sociabilité rare, âge élevé), et/ou qui fait preuve de scepticisme (faible conflictualité, qui ne signifie pas forcément adhésion aux politiques éducatives, mais plutôt l’emploi de l’arme de l’inertie), avec un public qui s’intéresse à l’éducation, mais en portant d’autres valeurs (les syndiqués, les professeurs sociables et vocationnels) ou ayant fait l’expérience d’une inadéquation de ces normes avec ce qu’ils estiment être leurs besoins (les ex syndiqués, les jeunes). Ainsi les deux tiers des enseignants ne se retrouvent pas dans les fondements des politiques éducatives menées depuis plusieurs décennies, ce fait explique la récurrence et la force de leurs mobilisations sur les diverses réformes. Sera-t-il intégré par le nouveau gouvernement ? Lire aussi : Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde , 8 décembre 2020 : « La défiance des enseignants envers leur ministre est un handicap pour ses réformes » [1] Militens , Interview Laurent Frajerman, ‎31 ‎mars ‎2015

Tout afficher

Autres pages (34)

  • Engagement, mouvements sociaux & éducation | L. Frajerman

    L. Frajerman, socio-historien. Ressources sur les mouvements sociaux, l'engagement syndical et politique des enseignants, leur culture professionnelle, les réformes éducatives.... Laurent Frajerman Engagement, mouvements sociaux & éducation Ce site offre des ressources variées pour comprendre les mouvements sociaux, les modes d'engagement et les politiques publiques : Avec des publications de format différent : du tweet au livre , en passant par des articles, passages TV et radio... Avec des analyses qui relèvent de la recherche, mais aussi de l'expertise (médias , blog , tweets ) Sur trois thématiques : Engagement/militantisme , Métier & politiques éducatives , Mouvements sociaux Depuis la Troisième République jusqu'aux enjeux contemporains Mon terrain de recherche est celui des enseignants , en raison de leur militantisme ancré à gauche, de la force de leurs mobilisations et de leur syndicalisme. Entre hussards de la République et #profbashing , ils suscitent mythes et controverses, que je décrypte. Contribuer à transformer la société en respectant l’indépendance syndicale ? Laurent Frajerman 11 déc. 2024 9 min de lecture Grèves de fonctionnaires : les conditions du succès Laurent Frajerman 17 nov. 2024 8 min de lecture L'avis des enseignants sur les principes des réformes Laurent Frajerman 26 août 2024 4 min de lecture #conflits sociaux #identités collectives #pédagogie #syndicalisme #éducation populaire #métier #fonctionnaires #grève #management #politique Intro accueil Ouvrages Comment expliquer le succès actuel de la FSU et son imprégnation paradoxale par la culture syndicale créée par la Fédération de l’Education nationale ? Il faut revenir à la IVe République, dans une période marquée par l’essor du communisme en milieu enseignant et par la mise en place d’un modèle syndical original. Syndicat de masse et à bases multiples, réformiste, la FEN joue en pleine guerre froide un rôle de médiation entre la CGT et FO, participe à la gestion du système éducatif en y représentant les identités professionnelles. La FEN instaure un mode de gestion du pluralisme interne officialisant les tendances, tout en combattant fortement la minorité favorable à la CGT (le courant unitaire ou Unité et action). Or, loin d’incarner une alternative révolutionnaire, le courant unitaire constitue une version musclée de ce modèle. Qu’a-t-il apporté à la majorité réformiste de la FEN, en quoi a-t-il en retour été influencé ? Quel aspect prime dans les interactions à l’œuvre entre ces frères ennemis : l’idéologie, la profession, le niveau de militantisme ? Ce livre, fruit de 20 ans de recherches, croise sources orales, archives inédites et une abondante littérature militante. Il analyse finement la cohabitation de deux cultures syndicales dans la FEN (celle des instituteurs du SNI et des professeurs du SNES), l’articulation entre les structures locales, nationales et fédérales... Les pratiques militantes sont autant explorées que les discours. Des clés pour comprendre le syndicalisme enseignant , d’hier comme d’aujourd’hui. Présentation et livre gratuit Les enseignants sont réputés pour la récurrence et la force de leurs grèves . Pourtant, ils doutent de son efficacité. Quel bilan tirer des différentes grèves enseignantes ? Penser et faire l'école. Un dossier éclectique de la revue La Pensée réunissant les points de vue d'Antoine Prost, Anne Barrère, Jérôme Deauvieau, Guy Coq, Christian Laval, Stéphane Bonnéry, et moi. L'ouvrage de référence sur l'histoire de la Fédération de l’Éducation Nationale. Avec une bibliographie complète, des documents d'époque et un guide des sources. Présentation et introduction Présentation et dossier gratuit Présentation et livre gratuit Ouvrages Radio-Télévision (chaîne Youtube , 144 vidéos : @laurent.frajerman ) Lire la vidéo Partager Chaîne entière Cette vidéo Facebook Twitter Pinterest Tumblr Copiez le lien Lien copié Lecture en cours 00:43 Lire la vidéo Ni mixité sociale, ni moyens pour l'école ! France Info TV, 12 nov 2024 Lecture en cours 01:18 Lire la vidéo SNCF, agriculture : convergence des luttes ? LCI, 11 novembre 2024 Lecture en cours 01:55 Lire la vidéo Débat étudiant sur la Palestine, histoire, censure, antisémitisme ,BFMTV, 30 avril 2024 Lecture en cours 02:07 Lire la vidéo Guerre scolaire, laïcité : trailer Frajerman sur Blast, 13 avril 2024 France Culture, 27 juin 2023, raccourcir les vacances d'été ? 00:00 / 05:39 France Culture, Etre & savoir, 31 mai 2021, pénurie profs Europe 1, club des idées , 3 juin 2021 , "Faut-il supprimer le bac ?" BFMTV podcast, 25 janv 2024, Jérôme Bayle paysan Radio vidéo Engagement L’engagement des enseignants : entre mutation et continuité Enjeux UA : Vous analysez l’engagement des enseignants dans une perspective socio-historique, avec des travaux portant sur l’ensemble du XXe siècle. Quel est son trait saillant ? Laurent Frajerman : Incontestablement le surengagement, que ce soit sur le plan de la conflictualité, du taux de syndicalisation, de la participation à de multiples organisations. Ce n’est pas spécifique à notre pays. Dans le monde entier, les enseignants sont à la pointe des mouvements sociaux, du fait notamment de leurs faibles salaires, de leurs compétences et de leur choix d’un travail pour autrui. L’engagement est consubstantiel au métier, ce qui explique sa corrélation avec le niveau d’intégration au monde de l’éducation nationale. Enfin, les caractéristiques du travail enseignant ont très tôt favorisé un militantisme non militaire, ouvert à l’expression des individualités. Paru dans "Enjeux" n°268, mars 2021 articles phares Radio-Vidéo France Info, 11 mars 2023, manifestation, mouvement France Culture, 4 03 2020, déclassement enseignant TF1, JT 20 h, 3 nov 2019, résultat des évaluations CE1 Sud Radio, 23 nov 2022, autorité et uniforme

  • Présentation | Laurent Frajerman

    Le parcours scientifique et militant de Laurent Frajerman Laurent Frajerman, chercheur engagé 30 ans de recherches ... Articulant les approches sociologiques et historiques , je m’intéresse autant aux pratiques qu’aux discours, dans une démarche compréhensive. Professeur agrégé d’Histoire au lycée Lamartine, Paris. Associé au Centre d’Etudes et de Recherches sur les Liens Sociaux (université de Paris, CNRS UMR 8070). Thèse d'histoire soutenue en 2003 Habil itation à diriger des recherches en sciences de l'éducation avec Anne Barrère comme garante : "Enseigner, s’adapter, s'engager : socio-histoire du corps enseignant à l'épreuve des politiques éducatives". Fondateur de la recherche Militens sur le rapport à l’engagement des enseignants et l’impact du militantisme. En partenariat avec SNES-FSU / SNUipp-FSU / SNEP-FSU , DEPP et CERAPS Université de Lille. 00:00 / 04:23 "Héloïse" by Denis Frajerman, 2013 Mon CV complet (ou presque) La recherche Militens Axes de recherches ... et d'engagement Adhérent du SNES-FSU Sociologue à la Fédération Syndicale Unitair e, anima teur de son Observatoire de la vie fédérale 1990-1997 : dirigeant national de l'UNEF (ex Solidarité Étudiante) 1993-1995 : élu UNEF au CNESER Une recherche distanciée sur un objet proche On ne choisit pas ses sujets de recherche par hasard. Mais depuis que Gérard Aschieri m'a fait travailler pour la FSU, il est logique que mon objectivité soit questionnée. L'essentiel réside pour moi dans cette maxime : avant d’interpréter les faits, il faut les établir. Je n'exerce aucun mandat syndical, je donne mon avis. Ma recherche ne constitue pas un substitut à mon engagement, mais une manière de l’objectiver : avoir fréquenté les deux univers m’a permis de mieux en tracer les multiples frontières, sans les regretter. Dans mon parcours scientifique, j'ai pu constater le libéralisme des deux grands syndicats issus de la FEN. L'UNSA éducation m'a laissé travailler sur ses archives pour une thèse consacrée au courant qu'elle venait d'exclure. Elle a financé le livre qui en est issu. La FSU m'a laissé ma liberté de parole sur des sujets centraux, comme les mouvements sociaux, le syndicalisme etc. "Les historiens non engagés, qui se prétendent de purs scientifiques, sont peut-être ici plus menacés de manquer de lucidité sur leurs propre partis pris, car ils ne ressentent pas la même nécessité de se dire à eux-mêmes quelle motivation les pousse. " Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire , p. 97 Sud Radio, slogans propalestieniens, 17/11/23

  • tribune Le Monde grève 5 dec | Laurent Frajerman

    Tribune parue dans Le Monde sur la grève du 5 décembre 2019 chez les enseignants et sous-estimation des chiffres officiels. Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde , 10 décembre 2019 Grève du 5 décembre chez les enseignants : « un chiffre officiel sous-évalué » Le pourcentage d'enseignants grévistes annoncé par le ministère « est calculé sur l'effectif théorique d'enseignants par établissement, en incluant les personnels absents et ceux qui n'ont pas cours ce jour-là », selon le spécialiste de l'engagement enseignant, Laurent Frajerman. Que n'a-t-on glosé sur la fin de la grève, le déclin inéluctable d'une forme archaïque d'expression ! Les chiffres en demi-teinte de la période Hollande ont été hâtivement interprétés comme la preuve que les enseignants y renonçaient à leur tour. La mobilisation du 5 décembre bouleverse ces schémas : en une journée, les seuls professeurs des écoles ont totalisé l'équivalent des jours de grève de l'ensemble des agents du ministère de l'éducation nationale en 2017. Selon les sources, entre 51 % (ministère) et 70 % d'entre eux (SNUipp-FSU) ont participé à ce mouvement. Des chiffres officiels aussi élevés n'avaient pas été annoncés depuis 2003, et 1995 auparavant. Le mouvement de 2010, pourtant puissant, est largement dépassé. Cela démontre la persistance sur la longue durée de deux caractéristiques des enseignants : le maintien d'un répertoire d'action traditionnel, axé sur la grève, et leur « surconflictualité » (utilisation de la grève supérieure à la moyenne). La recherche « Militens » sur le rapport à l'engagement des enseignants, qui s'appuie sur un questionnaire représentatif auquel ont répondu 3 300 d'entre eux en 2017, sélectionnés par le service statistique du ministère, apporte un éclairage sur ce mouvement social. Le sociologue Hugues Lagrange avait montré que le pouvoir de grève est très variable selon les secteurs professionnels. Dans les années 1950, les secteurs les plus combatifs se situaient dans les mines, la sidérurgie, les transports. Aujourd'hui, c'est l'éducation nationale et toujours les transports. La « surconflictualité » enseignante avait diminué pourtant : sous le mandat de Nicolas Sarkozy, un enseignant faisait cinq fois plus grève qu'un salarié d'entreprise, nombre divisé par deux sous celui de François Hollande (calcul à partir des statistiques officielles). Fondamentalement, leur culture gréviste a persisté, parce que les conditions de son émergence restent valables (valeurs politiques de gauche, sens du service public, protection statutaire, force du syndicalisme...). 15 000 écoles fermées, nombre inédit Si le chiffre officiel de 51,15 % de grévistes dans le premier degré le 5 décembre est élevé, il n'en est pas moins sous-évalué. Il suffit de songer aux plus de 15 000 écoles fermées, nombre inédit. En combinant plusieurs critères, dont les informations recueillies par le syndicat majoritaire, le SNUipp-FSU, le chiffre le plus probable est 65 % d'après mes estimations. Pour le second degré, la mobilisation est similaire à celle du premier degré. Mais, depuis 2010, le chiffre officiel y est biaisé par une altération du taux : le pourcentage de grévistes est calculé sur l'effectif théorique d'enseignants par établissement, en incluant les personnels absents et ceux qui n'ont pas cours ce jour-là, ou seulement après 9 heures. Autrement dit, le ministère compte comme non-gréviste ceux qui ne peuvent pas faire grève. De cette manière, il divise le taux par deux ou par 1,5 selon les circonstances. Devant le manque de transparence du ministère, il a fallu saisir en 2015 la commission d'accès aux documents administratifs pour avoir accès aux résultats de l'application Mosart, sur laquelle les inspecteurs du premier degré et les chefs d'établissement du second degré saisissent le nombre de grévistes. Si les écarts ne sont pas scandaleux, les incohérences restent nombreuses et récurrentes : entre les chiffres recensés par le ministère et ceux communiqués en fin d'année à la direction générale de l'administration et de la fonction publique, entre le chiffre ministériel et les remontées locales... Disposant également des données de l'académie de Rouen, j'ai pu constater qu'elles ne concernent qu'une partie des établissements et des circonscriptions, loin de l'exhaustivité affichée. A la lecture de ces données officielles, un mythe tombe, celui du chiffre officiel exact, précis à deux décimales après la virgule parce qu'issu directement des données du terrain. Est-il basé sur un échantillon ? Ou bien corrigé après coup ? Dans tous les cas, on ignore les critères retenus. Ce flou laisse une latitude pour une communication politique sur les grèves. Pour y remédier, il suffirait de clarifier ces critères d'échantillonnage et de prendre en compte le nombre de retenues sur salaire pour fait de grève. En 2003, l'administration avait été en mesure de calculer combien de jours de grève (les journées individuelles non travaillées) avaient été décomptés aux enseignants... Aucune statistique n'est parfaite, mais, à l'heure de l'open data, il est temps d'avancer. Plafond de verre Une dynamique était perceptible dès 2018, avec la grève du bac et l'augmentation de 75 % du nombre de journées individuelles non travaillées. Toutefois, cette mobilisation est bien supérieure à l'habitude et se rapproche du plafond de verre de la grève : 80 % des enseignants y ont eu recours au moins une fois dans leur carrière. Si 25 % du corps est composé de coutumiers de l'acte gréviste, 35 % n'exercent ce droit qu'occasionnellement. Leurs réserves portent moins sur le principe que sur son efficacité. L'échec de 2003, apogée de la lutte enseignante, continue de peser. Enfin, 20 % des enseignants ne font grève qu'exceptionnellement. Ils sont beaucoup plus souvent de droite et socialisés dans des milieux étrangers à ce mode d'action (scolarité dans l'enseignement privé, famille de commerçants ou de cadres du privé, etc.). La réussite du 5 décembre vient du cumul des grévistes réguliers et occasionnels avec une partie de ces enseignants, qui ont suspendu leurs réticences. Ajoutons que le répertoire d'action enseignant inclut la manifestation pacifique. Ainsi, un quart des personnes qui se déclaraient mobilisées contre la précédente réforme des retraites, en 2010, avaient uniquement participé à des manifestations, généralement le samedi. Agréger ces groupes n'est pas évident : en 2015, la moitié seulement des professeurs opposés à la réforme du collège se sont mobilisés contre elle. Un enjeu salarial au sens large obtient plus de consensus qu'un enjeu éducatif ; la perspective de perdre entre le quart et le tiers de leur pension suffit amplement à expliquer leur colère. L'impact de cet enjeu est démultiplié par un climat pessimiste : les enseignants expriment depuis longtemps leur défiance envers leur hiérarchie et le ministère. Ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron (au moins un tiers d'entre eux dès le premier tour) se sentent trahis. Surtout, la profession constate son déclassement progressif. A la baisse des salaires, que plus personne ne conteste, s'ajouterait l'appauvrissement des retraités. Laurent Frajerman

Tout afficher

2021 Créé par Laurent Frajerman avec Wix.com.  

bottom of page