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Laurent Frajerman, "La formation syndicale au cœur des pratiques militantes de la FSU"

Unité & Action-Enjeux, 2015

Enjeux Unite & Action FSU

Cet article s’appuie sur les observations et les entretiens de la recherche Militens et sur ma pratique de l’observation participante au sein de la FSU. Je suis intervenu dans 45 stages organisés par la FSU, le SNES, le SNUipp, le SNEP et leurs sections. Je suis aussi associé régulièrement à la réflexion des secteurs formation de ces structures.
 

Les formations de la FSU participent de ses pratiques, malgré une difficulté à trouver leur place dans les dispositifs militants. En effet, la partie concrète de l'apprentissage du métier de militant, de l'imprégnation des normes de l'organisation se fait d’abord sur le terrain, au mieux par le parrainage de militants plus anciens, au pire sur le tas. L'autre partie, celle de l'assimilation de la doctrine, est surtout assurée par les congrès, la lecture de la presse syndicale et par les évènements préparés par l'organisation (colloques, débats....). On pourrait en déduire un peu rapidement que des formations sont superfétatoires. Encore plus quand elles s'adressent à des enseignants, public très diplômé et habitué à l'auto formation.
 
Pourtant, elles existent dans toutes les organisations syndicales(1), car le renouvellement des équipes militantes implique de formaliser la transmission. Les formations répondent à plusieurs besoins : l'approfondissement, le travail en petit groupe, plus propice à la compréhension et à la mémorisation, et enfin une réflexion plus objective, notamment grâce à la rencontre avec des chercheurs. La formation permet aussi une socialisation des militants presque dépourvue d’enjeux de pouvoir.
 
Surtout, les formations dispensées par la FSU présentent l’originalité de se tourner vers l’ensemble des enseignants, et non vers les seuls militants. Il faut dire que le contexte est porteur : le droit à la formation syndicale est généreux et sous-utilisé : 12 jours par an pour tous les agents(2). Or, la formation continue vit un véritable naufrage, non seulement parce qu’elle est sous financée, mais aussi parce que ces méthodes sont contestées (intervenants insuffisamment pointus, programmes centrés sur les préoccupations de l’institution…). Ceci  ouvre un espace à une offre alternative. Ainsi, le SNUipp du Doubs relève qu’il rassemble 174 professeurs des écoles en une journée de stage sur  « Les enseignants en quête de reconnaissance », quand ils sont seulement 227  à s’inscrire au Programme académique de formation sur toute l’année 2014-2015… Ces formations répondent à la recherche de sens perceptible chez les enseignants et apportent une valeur ajoutée aux réunions syndicales plus classiques. Cependant, le pluralisme de la FSU s’exprime aussi dans la manière de traiter cet enjeu de formation, en termes de méthodes et de priorités : consolider l’organisation ou s’en servir comme vecteur auprès des collègues ?


La formation en action(s)


La formation n’est pas un supplément d’âme, elle se situe au cœur de l’activité syndicale, sous toutes ses facettes. Elle est particulièrement appropriée à la structuration de mobilisations de longue durée, nécessitant un apport de savoir, par exemple lorsqu’il s’agit de construire un mouvement contre une réforme. Lors du mouvement sur les retraites en 2010, un dirigeant de la CGT expliquait le succès des manifestations par le travail des 25 000 militants passés en formation sur ce dossier(3). La FSU, elle, ouvrait ses stages aux non-syndiqués. L’actuelle réforme du collège fournit un bon exemple de cette originalité enseignante. Les stages d’analyse critique de la réforme ont fleuri, attirant un public nouveau, non militant, systématiquement mis en valeur sur Twitter. Le S3 de Versailles, qui a changé de lieu pour accueillir les 200 inscrits à son stage, a publié un storify(4) retweeté par Le Monde éducation. Autant que le nombre de grévistes et de manifestants, le succès de ces stages a constitué un indicateur de la montée du mécontentement et crédibilisé le SNES. D’autant que les soutiens du gouvernement, SE-UNSA et SGEN-CFDT, étaient bien en peine de montrer des stages équivalents, au point de tweeter régulièrement sur des réunions d’instance(5).

De plus en plus intégrés à l’activité ordinaire, les stages syndicaux peuvent bénéficier de comptes rendus dans la presse locale. Ils font aussi l’objet d’une médiatisation nouvelle grâce aux réseaux sociaux, qui démultiplient leur audience. Cette publicité attire des enseignants aux sessions et rend visible cette activité(6). Toutefois, les sites internet des sections ne les annoncent pas tous, et pourraient les mettre davantage en avant.


Le répertoire des formations FSU
 

Les formations répondent à trois usages fondamentaux, selon deux modalités.
Un premier besoin touche aux soucis militants quotidiens, au terrain. Sont concernés les stages organisés dans un objectif d’action, comme élément d’un processus de mobilisation, ou pour construire des revendications. Les sections combinent quelquefois réunions syndicales et stages. Ajoutons les stages de formation des militants, qui peuvent aussi bien concerner de nouveaux responsables que l’approfondissement des connaissances. Les dirigeants interrogés citent quelques stages effectués, mais ne leur attribuent pas un rôle décisif dans leur apprentissage.
 
D’autres initiatives s’inscrivent dans une visée organisationnelle. Dans le cas des CFR FSU, le stage annuel, en général de deux jours, représente un évènement aussi important que le congrès. Très préparé, il est l’occasion de réunir les cadres. L’exemple archétypique de cette volonté de souder l’organisation fut le développement de la formation par la FEN des années 1970, dans l’objectif « de renforcer le pouvoir fédéral » face aux minorités et aux syndicats nationaux(7). Il nous semble que cette visée est aussi repérable dans l’organigramme du SNUEP, avec l’insertion de la formation dans le secteur syndicalisation, en cohérence avec les besoins d’une organisation en développement. Cas particulier, les réunions des courants de pensée ne bénéficient pas du label du CAFORM FSU, mais s’organisent selon des modalités typiques des formations (conférences, débats, notes...).
 
Enfin, des stages correspondent au besoin de s’adresser à l’ensemble de la profession. La majorité d’entre eux concernent les questions corporatives : titularisation, mutation, retraite, souffrance au travail, droits… D’autres stages en direction des enseignants développent un contenu pédagogique, soit en abordant des thèmes généraux, soit en se centrant sur la didactique, ou un problème précis, comme la place des professeurs de langue vivante vis-à-vis des autres disciplines.
 
Ces visées s’articulent à des modalités de formation. La première est tournée vers l’intérieur du syndicat, autocentrée : les intervenants sont des militants. La seconde, beaucoup plus développée à la FSU que dans le reste du monde syndical, s’ouvre à l’extérieur, aux chercheurs et experts. Ces intervenants, heureux de s’adresser à un public élargi et proche de leurs préoccupations, sont sollicités à titre bénévole, leur notoriété contribue au succès du stage, même si le plus souvent, le programme n’est pas détaillé. Du point de vue des syndicalistes, la construction des stages les incite à se documenter et à entrer en contact avec le monde des chercheurs, ce qu’ils trouvent souvent valorisant. Cela permet aussi de faire vivre un réseau d’influence. Cette ouverture se pratique tant pour la diffusion de connaissance, par le biais de conférences, que pour leur production, lors d’un colloque ou d’une journée d’étude. Le CFR FSU de Bretagne est allé au bout de cette logique, en publiant les actes de ses stages/colloques. Regards sur l’histoire du système éducatif en Bretagne a été signalé dans Ouest France, interview de Jean-Luc Le Guellec à l’appui. Le colloque académique organisé par l’Institut de Recherches de la FSU sur « la grève enseignante, en quête d’efficacité » était également considéré comme une initiative de formation.

schéma usages formations FSU militants experts intervenants

Les méthodes pédagogiques

Les professeurs de formation initiale ont besoin de s’adapter à la formation pour adulte, lesquels acceptent moins le cadre, sont prompts à retrouver leurs réflexes d’écoliers tout en se sentant infantilisés. Parmi les normes communément admises dans la FSU se trouve l’idée qu’il faut limiter la délégation de pouvoir. On pourrait en déduire que les méthodes actives, dominantes dans l’ingénierie de formation pour adultes, sont aussi privilégiées dans les formations syndicales. En réalité, le cours magistral suivi d’un échange domine. Comme il est très difficile de dépasser une journée de stage, même au niveau national, la tentation est grande d’alourdir le programme, de rogner sur les temps de discussion formels et informels (les pauses). Conséquence ? Les formateurs se heurtent même au problème du bavardage, du manque de concentration.

De plus, les cultures professionnelles jouent un grand rôle. Le SNUipp et le SNEP cherchent à mieux faire participer en utilisant quelquefois des outils tels que conférences avec diaporama, exercices, discussions après lectures en groupe… Cela correspond à la norme pédagogique de leur milieu. Même quand ses méthodes sont adoptées, elles restent souvent secondaires, servent quelquefois de variable d’ajustement. Pourtant, la rénovation des stages du SNUipp pour les élus du personnel a suscité l’intérêt des formateurs comme des participants. Alors que les dirigeants nationaux lisaient souvent un diaporama, et que les stagiaires se plaignaient de la technicité des cours, des jeux de rôles ont été instaurés. Au SNES se pratique un enseignement magistral, privilégiant le contenu. Des dossiers documentaires très complets sont fournis, comprenant des articles scientifiques.

D’autres variables existent dans la conception des stages. Officiellement, la formation apparaît comme un outil au service des directions syndicales pour diffuser leurs positions auprès de la base. Mais cette vision descendante se heurte à une réalité : des stages sont annulés faute de combattants. La programmation du syndicat révèle certes ses priorités, son projet, mais l’affluence constitue un critère essentiel. On peut donc parler de régulation par la demande.

La plupart du temps, les organisations proposent un catalogue de stages, très varié, d’une durée d’un jour (le plus souvent) ou deux. Quelle marque laisse une formation aussi épisodique ? À l’origine, la formation des militants se structurait par cycle de stages sur plusieurs semaines, pour permettre une imprégnation des connaissances. Le SNUipp, qui relance depuis un an sa formation des cadres intermédiaires au plan national, a choisi ce système. Dans ce cas comme dans les exemples antérieurs, cela ne supprime pas le « zapping », qui limite l’efficacité du cycle. Notons qu’à ce stade de l’enquête, les stagiaires interrogés se montrent satisfaits des méthodes et du format adoptés par leur syndicat, ce qui montre que les cultures militantes s’ajustent aux cultures  professionnelles.

Les spécificités des syndicats nationaux de la FSU

Selon leurs traditions et le milieu auquel ils s’adressent, les syndicats puisent différemment dans le répertoire des formations de la FSU. Au SNUipp, les stages sur l’enseignement constituent une ressource ordinaire de l’action des sections départementales.  Un auteur comme Rémi Brissiaud fait le tour de France et remplit les salles sur les mathématiques. C’est une alternative intéressante aux Réunions d’Information Syndicales (une seule par an est effectuée sur le temps réel de travail). Cependant dans le premier degré, l’administration peut limiter les inscriptions au nom de la continuité du service. Elle refuse de fermer les petites écoles et se sert de la difficulté à assurer les remplacements. Cette injustice flagrante par rapport aux autres salariés, institue le droit à la formation en enjeu de lutte(8). L’université d’Automne constitue une initiative originale de formation, qui permet aux sections de tester les intervenants. Elle évoque peu les sujets syndicaux. En revanche, la formation des militants a longtemps été le parent pauvre, à l’exception des stages post-élections paritaires, qui renforcent la coordination entre SD d’une académie et permettent un dialogue avec les dirigeants nationaux. Mais le nouveau programme national de formation des cadres intermédiaires est un succès.

Le SNES, lui, perpétue une tradition de formation militante. Son secteur formation élabore une large palette de stages, en direction principalement des cadres intermédiaires. Leur animation et leur contenu reposent sur les secteurs du S4. Les stages locaux à destination des enseignants sont un peu moins fréquents,  et quand ils abordent la pédagogie, privilégient des questions transversales.

Le SNEP a inscrit la formation au cœur de son projet, à la fois comme pratique de masse (10 000 participants en quelques années), comme moyen de faire infuser dans la profession ses conceptions et comme mise en musique de ses conceptions pédagogiques.

Carte formations syndicats FSU méthodes actives

Conclusion

 

Praticien des formations de la FSU depuis plusieurs années, comme intervenant puis comme observateur, je constate leur richesse. Il me semble toutefois qu’elles pourraient encore s’améliorer pour répondre à une forte demande. Du point de vue quantitatif, cela suppose de dépasser l’artisanat, de simplifier la mise en œuvre des stages. Par exemple, les sections pourraient disposer de véritables catalogues nationaux de formation. Quand un intervenant a mis au point sa séquence, c’est un gain de temps que de la proposer dans d’autres formations. Du point de vue qualitatif, en exploitant complètement les dispositifs pédagogiques mis en œuvre, en encourageant les échanges de pratiques entre formateurs, en utilisant plus systématiquement les retours des stagiaires, etc… Les syndicats pourraient aussi mieux intégrer la dimension militante dans les stages destinés à un large public. On n’y voit pas toujours la palette des publications syndicales, souvent reléguées à une table. Les dossiers des participants permettent quelquefois de compenser cette difficulté en insérant de vieux numéros. Si l’intervenant ne fait pas lui-même le lien avec les positions syndicales, ce sera dans le meilleur des cas le rôle du responsable local, d’une manière brève. Ces pistes d’amélioration impliquent de ne pas considérer la formation comme un supplément d’âme de l’activité syndicale.

 

Les stages locaux étant généralement animés par des dirigeants nationaux, et les stages nationaux remplis de militants locaux, ces temps forts de l’activité contribuent à l’homogénéisation de l’organisation. Plus fondamentalement, la formation est un instrument essentiel de la circulation des savoirs entre les recherches académiques et les préoccupations du terrain, aussi bien enseignant que militant. Un syndicalisme réflexif (9) ne dissocie pas l’action de l’analyse ; pour transformer un monde complexe et mouvant, il opère continuellement la jonction des deux. Les formations par leur souplesse lui sont indispensables.

Notes

  1. Nathalie Ethuin et Karel Yon, La fabrique du sens syndical. La formation des représentants des salariés en France (1945-2010), Bellecombe-en-Bauges, éd du Croquant, 2014.

  2. Art. 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984.

  3. Nathalie Ethuin, Karel Yon, « Les mutations de l'éducation syndicale : de l'établissement des frontières aux mises en dispositif », Le Mouvement Social, 2011, n° 235, p. 3-21 – p. 4.

  4. Compilation des tweets publiés pendant l’évènement, réalisée par Sophie Venetitay, co secrétaire générale du S3.

  5. Par exemple, le 29 mai, les tweets du SGEN-CFDT montrent que son « séminaire » sur le collège réunit une dizaine de permanents…

  6. À condition de maîtriser les codes de cette nouvelle communication...

  7. Brucy Guy, « Le fétichisme de la formation et les enjeux politiques d'un dispositif centralisé. Le cas du Centre fédéral de formation de la FEN (1976-1982). », Le Mouvement Social, 2/2011, n° 235, p. 121-136.

  8. Ainsi, dans le Lot-et-Garonne, 57 inscrits et seulement 23 autorisations accordées pour un stage « souffrance au travail ». Le sujet aurait-il déplu ? Le SNUipp a abordé la question en CAPD.

  9. André D. Robert utilise ce concept en référence à Anthony Giddens, in Le syndicalisme enseignant et la recherche: clivages, usages, passages. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 2004 – p. 379.

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