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Tribune dans La Croix, 4 juillet 2025

« Baccalauréat : « Officiellement, tous les élèves sont bons. Une vérité alternative »

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Pour le sociologue et professeur d’histoire Laurent Frajerman, l’inflation du nombre de notes avec le contrôle continu et l’augmentation continue des moyennes faussent l’exercice du baccalauréat en dépit du besoin réel d’une épreuve permettant de mesurer le niveau des élèves.

Les résultats du baccalauréat ravivent les interrogations sur cette institution centenaire, noyée par la hausse continue des notes. Les professeurs constatent une moindre mobilisation des élèves de terminale, alors que le baccalauréat constituait autrefois un rite social fort qui les motivait. Quel sens donner à des scores de 91 % de réussite ? Officiellement, tous les élèves sont bons. On pourrait se satisfaire de cette vérité alternative, mais malheureusement elle est révélatrice : l’inflation des notes brouille l’évaluation. Elle agit comme un écran de fumée des difficultés bien réelles de notre système éducatif.

Cette dérive génère un effet de ciseaux particulièrement préoccupant : d’un côté, une baisse spectaculaire des résultats des élèves français aux évaluations internationales, notamment PISA, et de l’autre, une augmentation constante des notes et des mentions au baccalauréat (hausse de 20 points du taux de réussite au baccalauréat général depuis 1995, 57 % des candidats obtiennent désormais une mention, deux fois plus en quelques années). En effet, l’institution scolaire exerce une pression multiforme en faveur de « l’évaluation positive ». Les professeurs et établissements qui maintiennent un système de notation exigeant sont susceptibles d’être rappelés à l’ordre, pas ceux qui surnotent.

Lire aussi :

Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde, 16 janvier 2024 : « Si le récit égalitaire perdure, l’Etat organise une forme d’optimisation scolaire » »

Une correction sous influence

Depuis deux décennies, je signale la mise sous influence de la correction du baccalauréat. Les inspections calculent les moyennes par correcteur pour les harmoniser (toujours par le haut), diffusent des consignes de notation très « bienveillantes » et jouent de la concurrence entre matières (la spécialité SES ayant gonflé ses notes pour attirer des élèves, l’inspection d’histoire-géographie a répliqué sur le même modèle en spécialité HGGSP). En 2022, des correcteurs ont eu la surprise de voir leurs notes rehaussées automatiquement jusqu’à deux points, sans avoir été prévenus. Le scandale a mis un terme (provisoire ?) à cette pratique significative.

La pression sur la notation n’est pas spécifiquement française, mais le résultat d’une politique mise à l’agenda dans le monde entier par des institutions comme l’Organisation de coopération et de développement économiques. L’objectif consiste à encourager les élèves, à leur donner confiance en leur attribuant de meilleures notes. Il est justifié par les biais de notation largement démontrés par un siècle d’études en docimologie. Selon la loi de Posthumus (1947), les enseignants tendent à ajuster leur notation selon une répartition de 25 % d’élèves faibles, 50 % de moyens et 25 % de bons, par habitude et pour préserver leur crédibilité. André Antibi en a déduit l’existence d’une constante macabre, un mécanisme qui incite les enseignants à noter trop sévèrement un nombre artificiel d’élèves avec comme effet d’inhiber les plus fragiles. De son côté, le pédagogiste Philippe Watrelot rappelle que la note est pensée pour trier et qu’elle n’est pas forcément le meilleur outil pour aider à apprendre en donnant un retour d’information sur les erreurs de l’élève. Noter ne suffisant pas, les enseignants ont été formés à distinguer les différents types d’évaluation et la restitution des copies.

 

Lire aussi :

Billet de Laurent Frajerman sur son blog, 27 décembre 2023 : "Les enseignants et la réforme Attal. Hétérogénéité, redoublement, compétences..."

Le besoin de sélectionner

Ces arguments incontestables n’invalident justement pas le besoin de sélectionner, domaine d’excellence des notes, en particulier lors des paliers d’orientation. Or, l’inflation des notes empêche un signalement efficace des difficultés et prive les élèves de la confrontation nécessaire à l’exigence. Elle permet surtout de masquer l’échec scolaire, la persistance de fortes inégalités de niveau et l’impuissance du système à y remédier. Aujourd’hui sévit l’extrême opposé, que je qualifie de constante indulgente, voire illusoire : lorsque des matières affichent des moyennes de classe à 15, voire 17 sur 20, la note perd tout sens.

 

Ces dysfonctionnements ont été amplifiés par les réformes de Jean-Michel Blanquer. Auparavant, l’évaluation reposait sur des épreuves anonymes qui garantissaient l’objectivité de la correction. Or, le baccalauréat a été dénaturé par l’introduction massive du contrôle continu. La notation locale avec un tel enjeu génère inévitablement des interventions des parents et des élèves pour obtenir les meilleures notes possibles. De plus, l’intégration des notes surévaluées dans Parcoursup donne un argument puissant aux chefs d’établissement pour inciter les enseignants à surnoter. Dans ces conditions, la résistance enseignante à la norme évaluative officielle s’émousse.

 

Les apories du ministère

Toutefois, le ministère de l’éducation nationale est confronté aux apories de son action, car il valorise par ailleurs un pilotage fin du système éducatif. Paradoxalement, celui-ci pour être efficace nécessite des indicateurs objectifs, alors que le système qu’il met en place les annihile… Pour calculer les indicateurs de valeur ajoutée, les IVAL, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance a d’ailleurs renoncé à utiliser les notes du baccalauréat, trop confuses, et ne se base plus que sur les taux de mention, solution provisoire puisqu’ils s’envolent eux aussi. Les familles sont alors privées d’éléments tangibles leur permettant de connaître réellement le niveau de leurs enfants. Un 12 en anglais dans un très bon établissement vaut un 19 dans un autre lycée. Seuls les initiés du système scolaire parviennent à se repérer dans ce maquis, notamment en comparant systématiquement la note de l’élève à la moyenne de classe.

 

Confrontés à une problématique similaire, le besoin d’épreuves fiables pour évaluer réellement les élèves avant l’entrée à l’université, les pays voisins s’étaient inspirés de notre baccalauréat. Restaurer un système d’évaluation qui garantisse l’égalité de traitement et la fonction d’évaluation impartiale des élèves reste donc possible. Cela implique de réduire la part du contrôle continu, afin de rétablir la crédibilité du baccalauréat. Une telle mesure, nécessaire, ne suffira pas sans un retour global à une vision plus équilibrée de la notation.

Laurent Frajerman est professeur agrégé d’histoire au lycée Lamartine, sociologue, chercheur associé au Centre de recherches sur les liens sociaux, université Paris Cité

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