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Les enseignants et la réforme Attal. Hétérogénéité, redoublement, compétences...

Dernière mise à jour : 26 mars

Avertissement : ce billet n'a pas pour vocation de délivrer un avis global sur le projet de réforme présenté par Gabriel Attal, de commenter sa faisabilité ou l'atteinte à la liberté pédagogique (manuels d’Etat, méthode précise d’enseignement des mathématiques à l'école primaire). Je m’intéresse ici à la réception de son discours parmi les enseignants. C'est l'occasion de faire le point sur des enjeux fondamentaux du système éducatif.


Sommaire :


Gabriel Attal vient d'annoncer un train de mesures conséquent pour réformer l'Education Nationale, qui ont suscité l'approbation des français et la critique des experts éducatifs et des syndicats. Il opte clairement pour un système scolaire plus sélectif, au nom de la qualité, d’un enseignement exigeant. Rappelons certains points essentiels :

  • mise en place de groupes de niveaux au collège en français et mathématiques, ce qui limite l’hétérogénéité (mais ne la fait pas disparaitre au niveau des classes)

  • facilitation du redoublement, notamment à l’école primaire, confié aux équipes pédagogiques

  • retour des notes comme base de l’évaluation

Ces choix sélectifs seraient couplés à des mesures compensatrices : effectifs moindres dans les niveaux faibles, stages durant les vacances scolaires et classe de préparation à la seconde pour ceux qui échouent au brevet.



La réaction favorable de l'opinion était prévisible, la majorité des mesures phares de cette réforme étaient populaires, selon des sondages précédents. Avec les enquêtes internationales, plus personne ne conteste la baisse du niveau des élèves français, même pour les meilleurs. Cela crédite le discours sur le nivellement par le bas :


Par opposition, la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem était majoritairement rejetée par l'opinion publique et les enseignants. Celle-ci se basait sur un tout autre référentiel : offensive contre les matières considérées comme élitistes (latin, allemand, etc.) pour assurer un enseignement uniforme, vu comme le gage d'une démocratisation du système scolaire, promotion systématique de l'évaluation par compétence à la place des notes, interdisciplinarité etc.


Deux camps se dessinent donc, très classiques. Mais comment se situent les acteurs de terrain dans ce débat, ceux qui sont au cœur du système, et sans lesquels rien ne se fait ? Si aucun sondage ne permet d'estimer l'adhésion actuelle des enseignants à l'un d'entre eux, des enquêtes ont testé par le passé leur opinion sur les mesures phare du projet Attal, dont le questionnaire scientifique Militens (2017, dirigé par LF).


Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde, 31 mai 2022 : « Espérons que le nouveau ministre de l’éducation se rendra à l’évidence : tout ne peut pas se gouverner par les nombres »


L'avis des enseignants sur l’hétérogénéité, les classes de niveau


Les politiques éducatives, depuis les années 1960, ont progressivement favorisé la scolarisation de tous les élèves du même âge dans une structure identique, censée délivrer le même enseignement. En conséquence, les classes ont été marquées par une hétérogénéité croissante, qui n’a cessé d’être critiquée par le corps enseignant avec son corollaire : la crainte d'un abaissement du niveau. Effet d’autant plus redouté que disparaissaient les répétiteurs, qui encadraient les élèves du secondaire dans leurs exercices et l’apprentissage du cours. Dès 1974, 71 % des professeurs et 66 % des instituteurs se montrent favorables aux groupes de niveaux, afin de s'occuper des élèves qui ont du mal à suivre, (sondage IFOP pour le ministère).


En 2017 encore, le questionnaire Militens montre que cette question continue d'être ressentie par les enseignants comme un obstacle majeur dans leur travail. On ne note pas de différence entre les Professeurs des Ecoles (PE) et ceux du Second Degré (PLC). Si cela ne signifie pas un rejet du principe, son application pose tout de même question à 88 % des acteurs de terrain :

Bernadette, 56 ans, directrice d’école, syndiquée au SNUipp-FSU, a un regard positif :

« Il y a des élèves handicapés, et il y a à peu près la moitié de l’école qui vient d'une zone urbaine sensible. C'est une école dont le secteur est à cheval sur une zone qui pourrait être prioritaire, et puis une zone qui est tout à fait lambda. Donc ça fait une grande grande hétérogénéité, et une grande richesse finalement dans le public qu'on accueille. »

Irène, 46 ans, certifiée de lettres en collège REP, syndiquée SNES-FSU, oscille entre ce qu’elle vit comme deux mauvaises solutions, vécues comme ingérables, du fait de la ségrégation spatiale et de la concurrence de l'enseignement privé (mais aussi de collèges publics voisins) :

« Moi, quand j’ai commencé, il y avait la troisième d’insertion, des quatrièmes soutiens, des [enseignements] technologiques et tout. C’était quand même bien. C’était vraiment très bien. Mais ils ont gardé tout le monde au collège. (…) Je trouve que, bon au final, tout monde va aller en troisième, mais ouais… Parce que c’est vrai qu’ici ça devient ingérable ça, d’avoir tout le monde dans la même classe. (…)
Et c’est le cas ? Tout le monde est dans la même classe ? Ou il y a des classes spécialisées ?
Il n’y en a plus ici. Depuis que Madame X est arrivée cette année, il n’y en a plus. Avec le chef d’établissement d’avant, il y en avait. Moi, sur le papier je me disais : pourquoi pas. Parce qu’il fallait préserver un recrutement. On a un village à côté, là, où il y a un bon recrutement, et du coup ils vont tous dans le privé. Il fallait [éviter] ça. Donc faire des classes préservées. Mais au final, ça donnait quelque chose de tellement ingérable pour les autres que… Elle a remélangé, et ce n’est pas plus mal.
Donc maintenant c’est une classe « mixte »…
C’est équilibré. Oui. Oui. Oui. Tout à fait.
Et ça, ça vous paraît difficile à gérer ?
Bah en REP oui. Oui parce qu’on a trop de problèmes. (…) Au lieu d’en avoir quatre ou cinq qui gênent dans une classe, nous, on en a quatre ou cinq qui s’en sortent bien. Et du coup, même pour ceux-là, c’est compliqué. Ils perdent leur temps. Ils pourraient tellement faire des choses plus… Et moi, gérer l’hétérogénéité pour quelques-uns, oui, mais là, c’est trop. Mais c’est parce que le recrutement n’est pas respecté. »

Recherche Militens, entretiens réalisé par Georges Ortusi en 2014 et Gérard Grosse en 2015


Irène refuse l'hétérogénéité tout en participant à la constitution de classes « équilibrées » dans son établissement. En effet, son choix est contraint parce qu'il se situe à ce niveau local, marqué par l’évitement de son collège REP. La sociologue Anne Barrère doute que le niveau local soit pertinent pour ces questions, qui relèvent d'enjeux de politique éducative nationale. Avec le développement d'un marché scolaire au détriment d'une école vraiment commune, l'Etat subventionne sa propre concurrence. L'enseignement privé change de nature : il est de plus en plus dédié aux milieux favorisés, qui y voient le meilleur moyen d'échapper aux contraintes de l'hétérogénéité, en concentrant du même coup les difficultés dans l'école publique, créant un cercle vicieux :



Le symbole le plus fort de la dynamique unificatrice du système scolaire reste le collège unique, puisque la diversification en filières n’existait déjà pas dans l’enseignement primaire avant la réforme Haby de 1975, et s’est maintenue au lycée depuis. En 1999 (Ipsos), on constate que les enseignants concernés, qui ont vécu cette transformation, lui restent fortement hostiles :


En 2017, 74 % de l’ensemble des enseignants approuvent l’idée de « supprimer progressivement le collège unique et autoriser l’apprentissage à partir de 14 ans » (sondage IFOP / SOS éducation). On constate donc que l’impopularité du collège unique croît avec le temps, loin de l’installer comme une évidence, un fait acquis. Les répondants préconisent une orientation précoce des élèves en difficulté vers l’apprentissage, autre manière de limiter l’hétérogénéité. On peut supposer qu’ils se positionnent en fonction de deux caractéristiques liées des politiques éducatives : uniformisation des structures (plus de filières séparées, par ex les anciennes quatrième professionnelle) et passage à la classe suivante presqu'automatique. Les enseignants se trouvent démunis devant les difficultés de compréhension de certains élèves. Ils constatent que plus les années de scolarité passent, plus l'échec s'enkyste, moins la notion de travail scolaire ne revêt de sens, générant quelquefois une attitude perturbatrice. Le ministre en tire argument pour justifier l'affectation de ces élèves dans le « groupe des faibles » :


Gabriel Attal à France Info TV (le 6 décembre 2023) :


Lire aussi :

Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde, 14 novembre 2018 : « Le phénomène #pasdevagues doit sa force à l’agrégation de colères hétérogènes »


L'avis des enseignants sur le redoublement


La quasi suppression du redoublement constitue un bouleversement de notre système. A la fin des années 1960, il constituait la règle plus que l'exception :


A partir des années 1980, le ministère s'engage dans une stratégie de lutte contre le redoublement. Le journal Le Monde évoque en 1991 le "malaise" des profs et de leurs syndicats :

« "On a l'impression qu'on ne sert plus à rien dans les conseils de classe ", explique un professeur de collège où les taux de passage en seconde sont passés, en deux ans, de 38 % à 60 %. Et il interroge, approuvé par ses collègues : " Combien d'élèves se casseront la figure ? Combien sont envoyés au casse-pipe au lycée ? " Cette inquiétude est massive, unanime, spontanément évoquée par tous les enseignants de collège. »

Mais le phénomène s'accélère. Une statistique ultérieure utilise un indicateur qui permet de mesurer le redoublement jusqu'au collège compris pour l’ensemble d’une génération : le retard en classe de troisième.


En 2021, seulement 12 % des élèves arrivaient en seconde avec du retard. Soit un taux de redoublement global divisé par deux en seulement 8 ans ! Ce phénomène concerne tous les degrés du système :

Ipso facto, le redoublement a changé de nature, ne concernant plus que des élèves en forte difficulté, qu'elle soit structurelle ou conjoncturelle. Signe de l'inversion des normes, le redoublement est désormais sollicité par les familles, sans garantie que l'institution ne l'accorde. Or, 68 % des enseignants se prononcent clairement contre cette évolution, ou au moins pour une pause dans celle-ci (Militens, 2017) :


Curieusement, je n'ai pas trouvé de sondages qui posent cette question aux enseignants. Voici trois exemples qui illustrent différentes facettes de leur perception de la question :


[Philippe, 59 ans, agrégé de mathématiques, militant local du SNES-FSU]

« en seconde, j’ai trois élèves qui redoublent. Et quand je les observe je me dis quelquefois : ça ne sert à rien. Sauf que s’ils étaient passés, ils auraient été à la peine. Donc moi, l’idée que j’émettrai, c’est que… Si on les laisse passer, qu’on ne leur laisse pas le choix de n’importe quoi. |…] Qu’on leur laisse des portes ouvertes, mais qu’on leur ferme des portes. Bon. Après il faudrait que les parents et les élèves soient plus aussi à l’écoute de ce qu’on leur propose. Un bac pro, ce n’est pas nul. C’est une filière de réussite. »

[Oleg, 38 ans, PE, ex syndiqué]

« Je suis opposé [au redoublement], parce qu’on se rend compte que la plupart des gamins qui sont en difficulté scolaire, c’est parce que le soir à la maison, ils n’apprennent pas leurs leçons, ou ne font pas leurs devoirs. Et donc ça commencerait par ça. Pour progresser, il faudrait qu’il y ait un suivi plus poussé à la maison. »

[Cécile, 39 ans, certifiée d'EPS , non-syndiquée]

 « Je trouve ça très compliqué, parce qu'autant les études ont montré que les redoublements n'étaient pas positifs, ça je suis tout-à-fait d'accord, après le souci c'est que..., je trouve hein personnellement, qu'on est en train de retirer les redoublements, ok, très bien,  mais on ne met aucune procédure en parallèle pour aider l'élève […] j'ai vraiment l'impression qu'il y a une logique économique derrière, et pas une logique de l'enfant. Et le fait de pousser à ne pas redoubler... à un moment donné de toute façon y a une sélection qui sera faite, elle doit être faite, et elle ne sera pas à l'avantage de l'élève ».

Entretiens effectués par Laurent Frajerman, Georges Ortusi et Camille Giraudon en 2015.


Les enseignants cités se soucient aussi de l'effet sur le reste des élèves, le redoublement étant vu comme une barrière qui maintient le niveau global (Edmond Goblot, 1925). Le redoublement « servant aussi de pression sur les élèves, notamment en cas de comportements d’opposition dans la classe, les enseignants peuvent avoir l’impression qu’ils vont perdre une marge de manœuvre importante dans leurs relations quotidiennes avec [eux] » (Anne Barrère, 2017, p. 90).


Deux éléments font consensus :

  • le redoublement n'est pas une recette miracle, car il n'est pas personnalisé et peut donc générer ennui (du fait de la répétition) et découragement. De plus, les pronostics pessimistes en cas de passage se sont souvent avérés inexacts : des élèves peuvent être en échec une année et rebondir l'année suivante ;

  • la politique hostile à celui-ci est largement dictée par des impératifs budgétaires. Comme le dit Cécile, l'argent économisé n'a guère été réinvesti dans des dispositifs permettant d'épauler les élèves en difficulté, (stages pendant les vacances, soutien scolaire personnalisé effectué par des professeurs etc.).


L'évaluation par compétences, le dispositif le moins critiqué


Dans l'enquête Militens, 33 % des PLC approuvent l'idée d'une imposition à tous de l'évaluation par compétences, au détriment des notes (les PE n'ont pas été interrogés sur cet item). Cette idée, qui comprend une forme de déni de la liberté pédagogique, n'est rejetée que par 44 % des répondants. Au collège, qui est le niveau dans lequel le ministère a réussi à diffuser ce nouveau mode d'évaluation, l'écart se resserre (38 % pour, 39 % contre). L'évaluation par compétences apparaît donc comme étant le changement du système éducatif le plus approuvé. Comment l'expliquer, alors que la majorité des syndicats développe un discours très hostile ? L’évaluation par compétence a en effet été présentée comme un outil managérial au service d’une redéfinition du métier enseignant et d’un affaiblissement des examens, permettant au patronat de s’affranchir des qualifications reconnues dans les conventions collectives.


Je doute que le succès relatif de l'évaluation par compétence démontre une appropriation de la démarche sous-jacente (distinction compétences/capacités, adaptation personnalisée de l'enseignement en fonction du type de compétence non acquises etc.). L'argument principal des hiérarchies de l'EN, dont on peut supposer qu'il ait porté chez ces enseignants est plus simple : les compétences constituent une alternative aux notes, un moyen d'estomper la sélection scolaire, ou du moins de l'invisibiliser provisoirement. On peut interpréter en ce sens le soutien plus grand manifesté par les enseignants qui élèvent des enfants. Ils réagiraient en parents d'élèves, inquiets des effets anxiogènes de la compétition scolaire :


Se lit : 43 % des PLC ayant un ou des enfants à leur domicile sont hostiles à la généralisation de l'évaluation par compétences, contre 50 % de leurs collègues.


Cette compétition s'est pourtant estompée fortement. En 2022, 59 % des bacheliers, toutes filières confondues, ont obtenu une mention "assez bien", "bien" ou "très bien". Ils étaient moins de 25% en 1997...


L'avis des enseignants sur les compétences est également influencé par leur modalité d'entrée dans le métier. Ceux qui sont entrés par une longue période de précarité, après avoir échoué aux concours, adhèrent moins aux valeurs méritocratiques incarnées par les notes :


Se lit : 39 % des PLC ayant exercé plus de cinq ans comme non titulaires sont favorables à la généralisation de l'évaluation par compétences contre 30 % de ceux recrutés par concours externe.


Ce clivage se retrouve dans le parcours scolaire. Les anciens bons élèves sont plus favorables au système de notation :


Se lit : 37 % des PLC ayant obtenu le bac sans mention sont hostiles à la généralisation de l'évaluation par compétences, contre 46 % de leurs collègues détenteurs d'une mention Bien ou Très Bien.


"Réforme Attal : le hiatus entre les enseignants et la recherche dominante en éducation"

Résumé : La recherche dominante en éducation invalide redoublement et classes de niveaux. L’avis des professionnels de terrain est marginalisé par une vision objectiviste de l'éducation, qui confisque le débat démocratique. La recherche dominante, notamment en économie de l'éducation, doit adopter une posture plus modeste et intégrer les recherches qualitatives. Elle aboutit souvent à des résultats flous, qu’elle transforme en impératifs pour les décideurs. Les méta-analyses peuvent aussi être l'objet d'un regard critique, particulièrement dans des contextes complexes et multifactoriels comme la pédagogie. Ainsi, l'hétérogénéité est relative et doit être évaluée selon son application (à quel âge ? Pour tous les jeunes ou une partie seulement ?).
 

Conclusion


Une tendance lourde des politiques éducatives, qui explique de nombreux choix « pédagogiques », est la rationalisation budgétaire : baisse des salaires des enseignants, limitation du redoublement, chasse aux options dans le second degré et aux RASED dans le premier degré, suppression des dédoublements de classe inscrits dans la réglementation (par exemple, l'éducation civique en 1/2 groupe), au nom de la souplesse et de l'initiative locale. Dans ce cas, officiellement, les établissements ont toujours la latitude de créer de tels groupes à effectifs réduits, mais en prenant dans une enveloppe globale qui se réduit d'année en année et sans qu’un nombre maximum d’élèves ne soit prévu. Ainsi, le dispositif de soutien scolaire « devoirs faits » s’est souvent effectué en classe entière. On comprend que la France dépense 1 point de moins du PIB pour l'éducation qu'en 1995. Si on appliquait aujourd'hui les ratios en usage à l'époque, la Dépense Intérieure d'Education augmenterait de 24 milliards €, dont 15,5 milliards € pour l'Etat. Sans compter les dépenses transférées sur le budget spécifique à l'Education nationale depuis cette période :

  • 400 millions € pour les gratifications pour les stagiaires (au lieu que le patronat ne les paye),

  • 160 millions € pour le Service National Universel (qui autrefois aurait été intégré au budget de la Défense),

  • 519 millions € pour le Service Civique (si on le considère comme une mesure de traitement social du chômage qui devrait relever du ministère du Travail)


Ces calculs mériteraient d'être affinés, mais ils donnent à percevoir le sous-investissement chronique. On peut établir un lien direct avec la régression du système scolaire français dans les classements internationaux (PISA, TIMSS et PIRLS) :

 

Gabriel Attal ne revient que sur le redoublement, et en partie sur les demi groupes. Son projet sépare en effet les classes au collège entre un tronc commun et deux matières, français et mathématiques, enseignées en groupes de niveau. Seul le groupe le plus faible serait dédoublé. On est loin de la solution idéale aux yeux des enseignants, dont 94 % souhaitent « alterner davantage travail en classe entière et en petits groupes » afin de « faire réussir tous les élèves » (sondage OpinionWay, 2014).


Dans les entretiens, on ne perçoit pas de remise en cause globale du modèle de démocratisation scolaire discount en œuvre depuis 50 ans, mais plutôt un grand pragmatisme, un rejet des idéologies. Il était difficile d'obtenir une réponse à la question "Pour vous, c’est quoi être enseignant ?", destinée à recueillir les valeurs générales des professeurs, à situer leur rapport à l’élève. L'équipe de Militens a constaté qu'ils ne théorisaient pas ces aspects, dans leur majorité.


En revanche, le questionnaire Militens montre clairement que les éléments concrets de ce modèle, tels qu'ils ont été appliqués durant ces dernières décennies, sont désapprouvés par une majorité. J'ai en effet construit un indice synthétique regroupant des questions emblématiques des normes pédagogiques officielles de l'époque, telles que le travail en équipe, l'importance de la formation continue etc. (voir annexe)


60% des PE contestent ces normes (- 10 points par rapport aux PLC, ce qui est cohérent avec les observations sociologiques). Cette critique concrète des politiques de démocratisation des dernières décennies signe pour moi leur panne, plus qu'un rejet total. Le redoublement comme les classes de niveau sont devenus l'exception. De ce fait, ces pratiques ont changé radicalement de nature. Les recherches vieilles de 25 ans ou plus ne peuvent rendre compte de cette réalité.


Les enseignants ne veulent sans doute pas de retour en arrière, mais souhaitent plutôt une pause. A mon sens, remettre le redoublement sous la responsabilité des équipes enseignantes ne risque pas de provoquer une hausse spectaculaire de celui-ci. Plus probablement, les enseignants aspirent à reprendre la main sur les décisions d'orientation, non pas tant dans un esprit sélectif, que quand ils sont confrontés à des situations problématiques. Et pour réaffirmer que l'école est un lieu dédié au savoir...


Tribune de Laurent Frajerman dans L'Humanité, 7 mai 2013 : « L’accompagnement, un levier pour enrichir les pratiques enseignantes »


Annexe


La cohérence de l'indice de réception de la "pédagogie officielle" est attestée par le test Alpha de Cronbach, = 0,68. Discrétisation par les seuils observés, d'égale amplitude pour les 3 premiers.






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