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Philippe Watrelot : un manifeste pour la politique éducative post-2022

Dernière mise à jour : 13 sept. 2023


Philippe Watrelot, « Je suis un pédagogiste. Gommer les clichés, pour construire une meilleure école », ESF sciences humaines, 191 pages



La parole de Philippe Watrelot compte sur les débats éducatifs, pas seulement comme ancien président d’une association pédagogique renommée (le CRAP), mais aussi comme débatteur, influenceur.


Un manifeste pour une politique éducative…


Avec ce livre, il se lance dans l’arène du débat pré- élection présidentielle, sur le versant éducatif, pour lequel il présente ses options. Ce n’est donc pas un hasard si cet opus se conclue par une lettre aux candidats. Pour cela, il a choisi un format court, accessible au grand public. Très pédagogique (sic), son livre comprend un slogan par page et résume efficacement les grands débats éducatifs et les auteurs les plus importants.

Philippe Watrelot a choisi de se proclamer « pédagogiste », utilisant un terme péjoratif mis en circulation par les adversaires de ses idées. Ce choix inédit est significatif à plusieurs niveaux :

- en n’utilisant pas le terme traditionnel (« pédagogue »), Philippe Watrelot est modeste et précis : son livre ne présente pas la pédagogie active, mais promeut l’application au système scolaire d’une série de principes généraux qui en découlent,

- en affichant sa volonté de retourner le stigmate, Philippe Watrelot s’inscrit dans un duel. Au fond, on comprend mieux son ouvrage si on connaît les thèses adverses…

- La démarche de Philippe Watrelot est à la fois défensive (il répond longuement aux critiques, qu’il juge caricaturales) et offensive. La couverture, œuvre de l’excellent dessinateur Chéreau qui officie régulièrement pour le SGEN-CFDT, en témoigne. Même si l’on peut se demander qui pourrait se reconnaître dans le personnage du réac, dans cet épouvantail ?



… réformiste


Philippe Watrelot est de longue date une figure centrale du courant pédagogiste, entendu comme un ensemble de syndicats enseignants (Sgen-CFDT, UNSA-éducation), d’associations complémentaires de l’école (Ligue de l’Enseignement), de mouvements pédagogiques (Cercle de recherche et d'action pédagogiques déjà cité, ICEM-education Freinet etc.) et de personnalités (Philippe Meirieu étant le plus connu). Depuis les années 1970, ce bloc joue un rôle important dans la définition des politiques éducatives, notamment grâce à son alliance avec le Parti Socialiste.

Philippe Watrelot incarne cette position réformiste, ce qui le distingue d’un autre ouvrage partisan des pédagogies actives, publié au même moment, par Laurence de Cock cette fois. Philippe Watrelot critique régulièrement les positions intransigeantes qui reviendraient à ne rien changer. Sans revenir sur le vieux débat réforme/révolution[1], je proposerai plutôt de distinguer l’aspect pragmatique (être un "réformateur") et l’aspect idéologique (être un « réformiste », de centre-gauche).


Les principaux apports de cet essai


Philippe Watrelot insiste à juste titre sur sa caractéristique de professeur de terrain, il a la volonté d’incarner ce qu’il propose. S’il est fier d’avoir présidé un Conseil national de l'innovation pour la réussite éducative et donc de connaître les arcanes de la rue de Grenelle, il n’a jamais abandonné son mi-temps au lycée de Savigny. Certes, il se distingue de ses collègues par un autre mi-temps comme formateur à l’INSPE, et appartient donc à la noosphère[2], mais on ne peut lui reprocher d’avoir des idées que les autres seront chargés d’appliquer. Cette appartenance à la culture professionnelle des enseignants, même lorsqu’il la critique, ressort d’ailleurs dans le livre.

Je songe notamment à son insistance sur le pouvoir d’agir des enseignants, sa critique des injonctions paradoxales qui pèsent sur eux, les développements sur le malaise enseignant et les dangers du verticalisme de la rue de Grenelle. Incontestablement, ce livre dessine des convergences avec de nombreuses luttes. Philippe Watrelot a lu et intégré les apports d’Anne Barrère, Françoise Lantheaume, sociologues qui ne se laissent pas enfermer dans les clivages du monde enseignant. Il se prononce clairement pour une revalorisation de la profession sans condition, alors que le camp pédagogiste a longtemps critiqué la revalorisation des professeurs de 1992, au motif que Lionel Jospin n’avait pas obtenu en échange du SNES une redéfinition du métier. Les mots sont forts contre le mythe du tout- numérique, de l’outil qui remplacerait l’homme. Pragmatique, Philippe Watrelot ajoute que ce « serait un non-sens » d’évacuer le numérique de l’école, de ne pas préparer les élèves à ce monde nouveau (p. 56). Je souscris à ce point de vue.


Le numérique éducatif
p. 54-55 du livre de P. Watrelot


Mon chapitre préféré est consacré au métier, et note les trésors d’inventivité, d’adaptation, fournis pas les collègues. Philippe Watrelot ne sombre pas dans la désolation, il répertorie de nombreux cas d’enseignants investis. Ce constat est juste, mais l’on peut s’interroger sur le débouché de cette « révolution à bas bruit ». Pour l’instant, le pragmatisme l’emporte et les enseignants pratiquent une synthèse évolutive des différentes propositions pédagogiques, comme l’avait relevé l’équipe Escol[3]. Loin des grands débats de politique éducative, les enseignants privilégient le travail concret.


Exemples de livres sur l'école qui change et d'expéirences pédagogiques
Pages 100-101 :


Le maintien des clivages syndicaux


La question syndicale parcourt le livre, ce qui est normal eu égard au poids du syndicalisme dans le milieu. L’auteur reste allusif, même s’il critique les organisations majoritaires. En réalité, ce n’est pas tant la principale Fédération (la FSU) qui est concernée que son puissant syndicat du second degré, le SNES. Certes, le diagnostic qu’il dresse est largement partagé par les membres du SNES-FSU, mais le conflit provient à mon sens de deux motifs :

* sur le terrain, comme le confirment mes observations, ces syndicalistes éprouvent le souci d’une amélioration du système scolaire, mais ils refusent d’y sacrifier les intérêts enseignants. Ils combattent donc les propositions d’assouplissement du cadre national de l’enseignement, vues comme une dérégulation. Philippe Watrelot insiste certes sur l’autonomie démocratique comme condition d’une coordination des enseignants au niveau de l’établissement, mais en pratique beaucoup de militants s’en méfient, pour ne pas donner le pouvoir aux chefs d’établissement.

* le SNES-FSU défend une modernisation d’une identité professionnelle percutée par la critique pédagogiste des disciplines scolaires et de l’individualisme. Certes, le livre est prudent sur ces deux aspects, mais il s’agit clairement d’enjeux conflictuels.


Le rapport au pouvoir, une question centrale


L’ambition affichée est de peser sur les futures politiques éducatives, donc plutôt sur les orientations de la « Centrale », tout en privilégiant une démarche bottom-up, partant de la base. Comment impulser sans imposer ? Cette question centrale est en partie éludée, avec un historique qui présente l’éducation nouvelle comme s’opposant depuis toujours au Ministère, oubliant que les « Cahiers pédagogiques » en sont une émanation, pour ne prendre que cet exemple. La relation entre le pouvoir éducatif et les pédagogistes est en effet ambivalente, et ne peut être comprise qu’au regard des luttes d’influence qui traversent les hauts fonctionnaires. De même, les sciences de l’éducation ont été institutionnalisées grâce à des soutiens officiels, tout en étant régulièrement dépréciées par les ministres de l’éducation (y compris par Claude Allègre !), leur fournissant un commode punchingball.

Le camp pédagogiste ne peut se soustraire à un examen de son bilan en matière de politique éducative, même s’il n’est pas responsable de la manière dont ses idées ont été appliquées. La période Najat Vallaud-Belkacem est de ce point de vue emblématique, qui marque à mon sens une rupture dommageable avec celle de Vincent Peillon (j'en parle dans un article paru dans la revue « Année de la recherche en sciences de l’éducation »).


La réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem : un modèle ?


Comme moi, beaucoup d’enseignants du second degré ont gardé un souvenir cuisant du manque de concertation de la ministre. En arrivant au pouvoir, Blanquer a eu beau jeu de détricoter sa réforme du collège, si impopulaire. Philippe Watrelot assume son soutien à cette réforme. Celle-ci contredisait pourtant de nombreux postulats de son ouvrage : pouvoir renforcé du chef d’établissement, autoritarisme dans la mise en œuvre (réunions obligatoires de formation/formatage, passage en force)… Au nom de la lutte contre l’élitisme, la réforme s’est attaquée à des enseignements qui maintenaient la réputation de nombreux établissements prioritaires (allemand, latin etc.), faisant le lit de l’enseignement privé. La mesure phare de la réforme, l’interdisciplinarité, aurait pu faire consensus, car toutes les enquêtes montrent qu’elle jouit d’un soutien majoritaire. Mais elle se faisait sur la base de l’absence de volontariat dans le choix du collègue, créant ces « mariages forcés » entre enseignants que Philippe Watrelot dénonce pourtant lorsqu’il évoque les professeurs des écoles confrontés à l’enseignement simultané dans les classes de REP+ non dédoublées sous Blanquer (p. 120).


Un dialogue à poursuivre


J’ai rencontré Philippe Watrelot à l’occasion d’un débat organisé pour un podcast de Theconversation.com. Le dialogue avec lui et Béatrice Mabilon-Bonfils fut fécond : malgré nos divergences sur le comment, nous avions valorisé notre monde commun, nos valeurs progressistes (principe d’éducabilité des élèves, engagement pour la démocratisation du système scolaire, croyance en un rôle éducatif et émancipateur du travail enseignant…).

Le livre de Philippe Watrelot insiste sur les désaccords avec d’autres enseignants, selon le fameux clivage « républicain/pédagogue ». Tous combattent pourtant la dislocation de l’école publique à laquelle Blanquer se livre méthodiquement (chapitre 7). Ce rapprochement sera-t-il une parenthèse ? A mon sens, l’enjeu principal est devenu la liberté pédagogique, menacée par l’autoritarisme managérial. Philippe Watrelot souligne à plusieurs reprises le danger de voir le métier enseignant transformé en « métier d’exécution ».


Et si finalement, on tirait toutes les leçons de sa remarque : « Les discussions sur l’éducation sont souvent construites sur ces fausses oppositions et de cette pensée binaire alimentée par les médias » (p. 36) ?


***


[1] Pour simplifier, les révolutionnaires, quand ils ne sont pas gauchistes, se battent aussi pour des réformes.

[2] Concept d’ Yves Chevallard : l’ensemble des acteurs intervenant à l’intersection du système d’enseignement et de la société (les responsables d’associations pédagogiques et de parents, les chercheurs, la hiérarchie, les responsables syndicaux, les formateurs, l’instance politique décisionnelle…).

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