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- Engagement, mouvements sociaux & éducation | L. Frajerman
L. Frajerman, socio-historien. Ressources sur les mouvements sociaux, l'engagement syndical et politique des enseignants, leur culture professionnelle, les réformes éducatives.... Laurent Frajerman Engagement, mouvements sociaux & éducation Ce site offre des ressources variées pour comprendre les mouvements sociaux, les modes d'engagement et les politiques publiques : Avec des publications de format différent : du tweet au livre , en passant par des articles, passages TV et radio... Avec des analyses qui relèvent de la recherche, mais aussi de l'expertise (médias , blog , tweets ) Sur trois thématiques : Engagement/militantisme , Métier & politiques éducatives , Mouvements sociaux Depuis la Troisième République jusqu'aux enjeux contemporains Mon terrain de recherche est celui des enseignants , en raison de leur militantisme ancré à gauche, de la force de leurs mobilisations et de leur syndicalisme. Entre hussards de la République et #profbashing , ils suscitent mythes et controverses, que je décrypte. Contribuer à transformer la société en respectant l’indépendance syndicale ? Laurent Frajerman 11 déc. 2024 9 min de lecture Grèves de fonctionnaires : les conditions du succès Laurent Frajerman 17 nov. 2024 8 min de lecture L'avis des enseignants sur les principes des réformes Laurent Frajerman 26 août 2024 4 min de lecture #conflits sociaux #identités collectives #pédagogie #syndicalisme #éducation populaire #métier #fonctionnaires #grève #management #politique Intro accueil Ouvrages Comment expliquer le succès actuel de la FSU et son imprégnation paradoxale par la culture syndicale créée par la Fédération de l’Education nationale ? Il faut revenir à la IVe République, dans une période marquée par l’essor du communisme en milieu enseignant et par la mise en place d’un modèle syndical original. Syndicat de masse et à bases multiples, réformiste, la FEN joue en pleine guerre froide un rôle de médiation entre la CGT et FO, participe à la gestion du système éducatif en y représentant les identités professionnelles. La FEN instaure un mode de gestion du pluralisme interne officialisant les tendances, tout en combattant fortement la minorité favorable à la CGT (le courant unitaire ou Unité et action). Or, loin d’incarner une alternative révolutionnaire, le courant unitaire constitue une version musclée de ce modèle. Qu’a-t-il apporté à la majorité réformiste de la FEN, en quoi a-t-il en retour été influencé ? Quel aspect prime dans les interactions à l’œuvre entre ces frères ennemis : l’idéologie, la profession, le niveau de militantisme ? Ce livre, fruit de 20 ans de recherches, croise sources orales, archives inédites et une abondante littérature militante. Il analyse finement la cohabitation de deux cultures syndicales dans la FEN (celle des instituteurs du SNI et des professeurs du SNES), l’articulation entre les structures locales, nationales et fédérales... Les pratiques militantes sont autant explorées que les discours. Des clés pour comprendre le syndicalisme enseignant , d’hier comme d’aujourd’hui. Présentation et livre gratuit Les enseignants sont réputés pour la récurrence et la force de leurs grèves . Pourtant, ils doutent de son efficacité. Quel bilan tirer des différentes grèves enseignantes ? Penser et faire l'école. Un dossier éclectique de la revue La Pensée réunissant les points de vue d'Antoine Prost, Anne Barrère, Jérôme Deauvieau, Guy Coq, Christian Laval, Stéphane Bonnéry, et moi. L'ouvrage de référence sur l'histoire de la Fédération de l’Éducation Nationale. Avec une bibliographie complète, des documents d'époque et un guide des sources. Présentation et introduction Présentation et dossier gratuit Présentation et livre gratuit Ouvrages Radio-Télévision (chaîne Youtube , 144 vidéos : @laurent.frajerman ) Lire la vidéo Partager Chaîne entière Cette vidéo Facebook Twitter Pinterest Tumblr Copiez le lien Lien copié Lecture en cours 00:43 Lire la vidéo Ni mixité sociale, ni moyens pour l'école ! France Info TV, 12 nov 2024 Lecture en cours 01:18 Lire la vidéo SNCF, agriculture : convergence des luttes ? LCI, 11 novembre 2024 Lecture en cours 01:55 Lire la vidéo Débat étudiant sur la Palestine, histoire, censure, antisémitisme ,BFMTV, 30 avril 2024 Lecture en cours 02:07 Lire la vidéo Guerre scolaire, laïcité : trailer Frajerman sur Blast, 13 avril 2024 France Culture, 27 juin 2023, raccourcir les vacances d'été ? 00:00 / 05:39 France Culture, Etre & savoir, 31 mai 2021, pénurie profs Europe 1, club des idées , 3 juin 2021 , "Faut-il supprimer le bac ?" BFMTV podcast, 25 janv 2024, Jérôme Bayle paysan Radio vidéo Engagement L’engagement des enseignants : entre mutation et continuité Enjeux UA : Vous analysez l’engagement des enseignants dans une perspective socio-historique, avec des travaux portant sur l’ensemble du XXe siècle. Quel est son trait saillant ? Laurent Frajerman : Incontestablement le surengagement, que ce soit sur le plan de la conflictualité, du taux de syndicalisation, de la participation à de multiples organisations. Ce n’est pas spécifique à notre pays. Dans le monde entier, les enseignants sont à la pointe des mouvements sociaux, du fait notamment de leurs faibles salaires, de leurs compétences et de leur choix d’un travail pour autrui. L’engagement est consubstantiel au métier, ce qui explique sa corrélation avec le niveau d’intégration au monde de l’éducation nationale. Enfin, les caractéristiques du travail enseignant ont très tôt favorisé un militantisme non militaire, ouvert à l’expression des individualités. Paru dans "Enjeux" n°268, mars 2021 articles phares Radio-Vidéo France Info, 11 mars 2023, manifestation, mouvement France Culture, 4 03 2020, déclassement enseignant TF1, JT 20 h, 3 nov 2019, résultat des évaluations CE1 Sud Radio, 23 nov 2022, autorité et uniforme
- Présentation | Laurent Frajerman
Le parcours scientifique et militant de Laurent Frajerman Laurent Frajerman, chercheur engagé 30 ans de recherches ... Articulant les approches sociologiques et historiques , je m’intéresse autant aux pratiques qu’aux discours, dans une démarche compréhensive. Professeur agrégé d’Histoire au lycée Lamartine, Paris. Associé au Centre d’Etudes et de Recherches sur les Liens Sociaux (université de Paris, CNRS UMR 8070). Thèse d'histoire soutenue en 2003 Habil itation à diriger des recherches en sciences de l'éducation avec Anne Barrère comme garante : "Enseigner, s’adapter, s'engager : socio-histoire du corps enseignant à l'épreuve des politiques éducatives". Fondateur de la recherche Militens sur le rapport à l’engagement des enseignants et l’impact du militantisme. En partenariat avec SNES-FSU / SNUipp-FSU / SNEP-FSU , DEPP et CERAPS Université de Lille. 00:00 / 04:23 "Héloïse" by Denis Frajerman, 2013 Mon CV complet (ou presque) La recherche Militens Axes de recherches ... et d'engagement Adhérent du SNES-FSU Sociologue à la Fédération Syndicale Unitair e, anima teur de son Observatoire de la vie fédérale 1990-1997 : dirigeant national de l'UNEF (ex Solidarité Étudiante) 1993-1995 : élu UNEF au CNESER Une recherche distanciée sur un objet proche On ne choisit pas ses sujets de recherche par hasard. Mais depuis que Gérard Aschieri m'a fait travailler pour la FSU, il est logique que mon objectivité soit questionnée. L'essentiel réside pour moi dans cette maxime : avant d’interpréter les faits, il faut les établir. Je n'exerce aucun mandat syndical, je donne mon avis. Ma recherche ne constitue pas un substitut à mon engagement, mais une manière de l’objectiver : avoir fréquenté les deux univers m’a permis de mieux en tracer les multiples frontières, sans les regretter. Dans mon parcours scientifique, j'ai pu constater le libéralisme des deux grands syndicats issus de la FEN. L'UNSA éducation m'a laissé travailler sur ses archives pour une thèse consacrée au courant qu'elle venait d'exclure. Elle a financé le livre qui en est issu. La FSU m'a laissé ma liberté de parole sur des sujets centraux, comme les mouvements sociaux, le syndicalisme etc. "Les historiens non engagés, qui se prétendent de purs scientifiques, sont peut-être ici plus menacés de manquer de lucidité sur leurs propre partis pris, car ils ne ressentent pas la même nécessité de se dire à eux-mêmes quelle motivation les pousse. " Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire , p. 97 Sud Radio, slogans propalestieniens, 17/11/23
- tribune Le Monde grève 5 dec | Laurent Frajerman
Tribune parue dans Le Monde sur la grève du 5 décembre 2019 chez les enseignants et sous-estimation des chiffres officiels. Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde , 10 décembre 2019 Grève du 5 décembre chez les enseignants : « un chiffre officiel sous-évalué » Le pourcentage d'enseignants grévistes annoncé par le ministère « est calculé sur l'effectif théorique d'enseignants par établissement, en incluant les personnels absents et ceux qui n'ont pas cours ce jour-là », selon le spécialiste de l'engagement enseignant, Laurent Frajerman. Que n'a-t-on glosé sur la fin de la grève, le déclin inéluctable d'une forme archaïque d'expression ! Les chiffres en demi-teinte de la période Hollande ont été hâtivement interprétés comme la preuve que les enseignants y renonçaient à leur tour. La mobilisation du 5 décembre bouleverse ces schémas : en une journée, les seuls professeurs des écoles ont totalisé l'équivalent des jours de grève de l'ensemble des agents du ministère de l'éducation nationale en 2017. Selon les sources, entre 51 % (ministère) et 70 % d'entre eux (SNUipp-FSU) ont participé à ce mouvement. Des chiffres officiels aussi élevés n'avaient pas été annoncés depuis 2003, et 1995 auparavant. Le mouvement de 2010, pourtant puissant, est largement dépassé. Cela démontre la persistance sur la longue durée de deux caractéristiques des enseignants : le maintien d'un répertoire d'action traditionnel, axé sur la grève, et leur « surconflictualité » (utilisation de la grève supérieure à la moyenne). La recherche « Militens » sur le rapport à l'engagement des enseignants, qui s'appuie sur un questionnaire représentatif auquel ont répondu 3 300 d'entre eux en 2017, sélectionnés par le service statistique du ministère, apporte un éclairage sur ce mouvement social. Le sociologue Hugues Lagrange avait montré que le pouvoir de grève est très variable selon les secteurs professionnels. Dans les années 1950, les secteurs les plus combatifs se situaient dans les mines, la sidérurgie, les transports. Aujourd'hui, c'est l'éducation nationale et toujours les transports. La « surconflictualité » enseignante avait diminué pourtant : sous le mandat de Nicolas Sarkozy, un enseignant faisait cinq fois plus grève qu'un salarié d'entreprise, nombre divisé par deux sous celui de François Hollande (calcul à partir des statistiques officielles). Fondamentalement, leur culture gréviste a persisté, parce que les conditions de son émergence restent valables (valeurs politiques de gauche, sens du service public, protection statutaire, force du syndicalisme...). 15 000 écoles fermées, nombre inédit Si le chiffre officiel de 51,15 % de grévistes dans le premier degré le 5 décembre est élevé, il n'en est pas moins sous-évalué. Il suffit de songer aux plus de 15 000 écoles fermées, nombre inédit. En combinant plusieurs critères, dont les informations recueillies par le syndicat majoritaire, le SNUipp-FSU, le chiffre le plus probable est 65 % d'après mes estimations. Pour le second degré, la mobilisation est similaire à celle du premier degré. Mais, depuis 2010, le chiffre officiel y est biaisé par une altération du taux : le pourcentage de grévistes est calculé sur l'effectif théorique d'enseignants par établissement, en incluant les personnels absents et ceux qui n'ont pas cours ce jour-là, ou seulement après 9 heures. Autrement dit, le ministère compte comme non-gréviste ceux qui ne peuvent pas faire grève. De cette manière, il divise le taux par deux ou par 1,5 selon les circonstances. Devant le manque de transparence du ministère, il a fallu saisir en 2015 la commission d'accès aux documents administratifs pour avoir accès aux résultats de l'application Mosart, sur laquelle les inspecteurs du premier degré et les chefs d'établissement du second degré saisissent le nombre de grévistes. Si les écarts ne sont pas scandaleux, les incohérences restent nombreuses et récurrentes : entre les chiffres recensés par le ministère et ceux communiqués en fin d'année à la direction générale de l'administration et de la fonction publique, entre le chiffre ministériel et les remontées locales... Disposant également des données de l'académie de Rouen, j'ai pu constater qu'elles ne concernent qu'une partie des établissements et des circonscriptions, loin de l'exhaustivité affichée. A la lecture de ces données officielles, un mythe tombe, celui du chiffre officiel exact, précis à deux décimales après la virgule parce qu'issu directement des données du terrain. Est-il basé sur un échantillon ? Ou bien corrigé après coup ? Dans tous les cas, on ignore les critères retenus. Ce flou laisse une latitude pour une communication politique sur les grèves. Pour y remédier, il suffirait de clarifier ces critères d'échantillonnage et de prendre en compte le nombre de retenues sur salaire pour fait de grève. En 2003, l'administration avait été en mesure de calculer combien de jours de grève (les journées individuelles non travaillées) avaient été décomptés aux enseignants... Aucune statistique n'est parfaite, mais, à l'heure de l'open data, il est temps d'avancer. Plafond de verre Une dynamique était perceptible dès 2018, avec la grève du bac et l'augmentation de 75 % du nombre de journées individuelles non travaillées. Toutefois, cette mobilisation est bien supérieure à l'habitude et se rapproche du plafond de verre de la grève : 80 % des enseignants y ont eu recours au moins une fois dans leur carrière. Si 25 % du corps est composé de coutumiers de l'acte gréviste, 35 % n'exercent ce droit qu'occasionnellement. Leurs réserves portent moins sur le principe que sur son efficacité. L'échec de 2003, apogée de la lutte enseignante, continue de peser. Enfin, 20 % des enseignants ne font grève qu'exceptionnellement. Ils sont beaucoup plus souvent de droite et socialisés dans des milieux étrangers à ce mode d'action (scolarité dans l'enseignement privé, famille de commerçants ou de cadres du privé, etc.). La réussite du 5 décembre vient du cumul des grévistes réguliers et occasionnels avec une partie de ces enseignants, qui ont suspendu leurs réticences. Ajoutons que le répertoire d'action enseignant inclut la manifestation pacifique. Ainsi, un quart des personnes qui se déclaraient mobilisées contre la précédente réforme des retraites, en 2010, avaient uniquement participé à des manifestations, généralement le samedi. Agréger ces groupes n'est pas évident : en 2015, la moitié seulement des professeurs opposés à la réforme du collège se sont mobilisés contre elle. Un enjeu salarial au sens large obtient plus de consensus qu'un enjeu éducatif ; la perspective de perdre entre le quart et le tiers de leur pension suffit amplement à expliquer leur colère. L'impact de cet enjeu est démultiplié par un climat pessimiste : les enseignants expriment depuis longtemps leur défiance envers leur hiérarchie et le ministère. Ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron (au moins un tiers d'entre eux dès le premier tour) se sentent trahis. Surtout, la profession constate son déclassement progressif. A la baisse des salaires, que plus personne ne conteste, s'ajouterait l'appauvrissement des retraités. Laurent Frajerman
- Pap Ndiaye : tribune Le Monde | Laurent Frajerman
Tribune parue dans Le Monde: Pap Ndiaye ne doit pas appliquer le projet d'Emmanuel Macron pour l'école Tribune dans Le Monde , 31 mai 2022 Espérons que le nouveau ministre de l’éducation se rendra à l’évidence : tout ne peut pas se gouverner par les nombres Laurent Frajerman, professeur agrégé d’histoire et chercheur, pointe le risque pour Pap Ndiaye de poursuivre la réforme libérale de l’école, entamée sous le premier quinquennat Macron, alors que le système est à bout de souffle. Le choix de Pap Ndiaye comme nouveau ministre de l’Education Nationale met en scène une rupture avec les positionnements idéologiques de Jean-Michel Blanquer. Mais concernant la politique éducative, ce n’est pas le cœur du problème : 65 % des français et 79 % des professeurs sont inquiets quand ils pensent « à l’avenir de l’Éducation nationale » (sondage CSA/Sénat, 2022 ). Sentiment conforté par les résultats des classements internationaux, l’inquiétante crise du recrutement, le phénomène nouveau des démissions d’enseignants etc. L’enjeu se situe au niveau de l’ordinaire de la classe, et des personnels. Créer les conditions d’une amélioration des pratiques réelles d’enseignement est cardinal pour la qualité de notre système éducatif. C’est impossible avec des enseignants au moral en berne, ulcérés par la faiblesse de leur rémunération. Durant la campagne électorale, le président a présenté un projet qui aggraverait cette situation. Reste à savoir si le nouveau ministre tentera de l’appliquer dans un contexte miné par le bilan de Jean-Michel Blanquer. Plus de docilité Une raison fondamentale des difficultés actuelles réside dans l’idée, dominante depuis des décennies, qu’on peut faire mieux avec moins. Comment expliquer alors la coïncidence entre dégradation du système et baisse des dépenses ? Entre 1995 et 2019, la Dépense Intérieure d'Education est tombée de 7,7 % du PIB à 6,6 % . A l’heure de l’économie de la connaissance, du quoi-qu’il-en-coûte pour sauver les entreprises privées, il y a urgence à investir pour rester un pays moderne. Ainsi, augmenter les recrutements d’enseignants permettrait de réduire les effectifs d’élèves par classe, avec un impact positif sur la qualité de l’enseignement et les conditions de travail. Augmenter les salaires paraît également essentiel pour sortir de ce paradoxe : dans toutes les enquêtes, les enseignants proclament et leur amour du métier et le caractère démoralisant de son exercice. L’amélioration de l’enseignement n’est donc pas qu’une question de moyens, mais un peu quand même…. Le président promet d’ailleurs un budget massif, mais le Pacte qu’il propose aux enseignants ne constitue pas une véritable revalorisation, la hausse des rémunérations étant conditionnée par des missions supplémentaires. Outre le caractère discriminatoire de cette mesure envers les femmes, qui s’occupent plus de l’éducation des enfants, c’est oublier que les professeurs effectuent déjà beaucoup de travail gratuit. Si l’objectif était d’encourager l’investissement des enseignants, on pourrait rémunérer plus cher leurs heures supplémentaires comme dans le secteur privé, payer correctement les corrections des évaluations, les heures effectués lors des sorties scolaires ou de préparation de projet… Qu’importe, l’idée de faire « travailler plus » les enseignants est plébiscitée par l’opinion, en raison de la partie invisible de leur labeur (corrections, préparations des cours, contacts divers…), même si les français reconnaissent la difficulté de leur métier. Débloquer de l’argent après cinq ans de restrictions permet difficilement de négocier un donnant/donnant. Ni Lionel Jospin en 1992, ni Najat Vallaud-Belkacem en 2016 n’ont obtenu de contreparties lorsqu’ils ont accordé des augmentations, parce que celles-ci soldaient des mobilisations importantes et donnaient le sentiment aux enseignants concernés que l’Etat honorait enfin sa dette. Le programme présidentiel comprend une restructuration du métier d’enseignant, qui s’appliquerait à mesure que le corps se renouvelle. Le renforcement des hiérarchies locales vise à obtenir plus de docilité du milieu enseignant. Depuis 2019, le contrôle syndical des affectations et des carrières par le biais des commissions paritaires a quasiment disparu. Pap Ndiaye sera sans difficultés moins autoritaire que Jean-Michel Blanquer, mais l’essentiel n’est pas là : donner plus de libertés aux chefs laisserait-il à leurs subordonnés d’autres choix que la liberté d'obéir ? Le gouvernement peut continuer à casser le statut de la fonction publique, mais pour quel résultat ? Les pouvoirs publics ont renoncé au modèle du professeur concepteur de son métier au profit du technicien appliquant des protocoles. Mais plus que le conformisme innovant attendu, le risque est d’obtenir l’apathie, le chacun pour soi. Le président propose de mettre en œuvre des solutions néo libérales, appliquées dans la plupart des pays développés et dont l’inefficacité est patente. Dans son idéologie, seule une minorité de professionnels « mérite » d’être augmenté et doit servir d’exemple à des collègues moins dynamiques. La publication des résultats des élèves lors des évaluations nationales est censée servir d’outil de mesure. Toutefois, il est facile de brouiller les résultats en sélectionnant les élèves et/ou en pratiquant ce que les britanniques nomment « teach for test », un enseignement utilitaire adapté étroitement aux caractéristiques de l’évaluation. Ainsi, le consensus du corps enseignant contre l’individualisation des salaires s’explique par une défiance sur sa mise en œuvre, sur la capacité de la hiérarchie à reconnaître le travail réel (IPSOS/FSU, 2020 ) et sur la viabilité des pratiques recommandées par l’institution. Autre exemple, la critique de la rigidité bureaucratique de l’actuel système d’affectation des professeurs. Le système actuel est pourtant le plus rationnel et économe. Comment obtenir que des professionnels de haut niveau acceptent de travailler dans le moindre recoin du territoire ? Jusque-là, les enseignants affectés loin de leurs vœux acceptaient leur sort parce que des règles claires et transparentes leur donnaient un espoir de mutation ultérieure et qu’ils pensaient leur carrière sur le long terme. Avec la loi du marché, les professeurs qualifiés et capables de vendre leur talent ne postuleront pas partout. On aboutirait ainsi à créer des déserts professoraux, comme il existe aujourd’hui des déserts médicaux. Rien n’interdit au contraire d’améliorer le service public en changeant des critères. L’existence d’un statut national garantit le recrutement annuel de milliers de personnes dotées de compétences spécifiques, destinées à rester dans le métier. Celui-ci n'attirera jamais les mêmes profils que les entreprises à but lucratif. Dans le monde entier, les enseignants partagent des valeurs humanistes de coopération et de partage culturel. L’option la plus rationnelle est de prendre appui sur ces valeurs pour encourager leur engagement pédagogique, d’accompagner des enseignants qui seraient remotivés par les efforts financiers consentis par la nation. Espérons que le nouveau ministre se rendra à l’évidence : tout ne peut pas se gouverner par les nombres, d’une manière verticale, en divisant les personnels. Il est encore temps de partir du terrain et de faire vraiment confiance à ses acteurs. Laurent Frajerman Professeur agrégé d’histoire au lycée Lamartine, chercheur associé au Cerlis, université de Paris-Cité
- Laurent Frajerman / Revendications U&A FEN
Reclassement ou revalorisation ? Agir comme salariés, fonctionnaires ou enseignants ? Ce débat revendicatif traverse le courant unitaire de la FEN, proche de la CGT Laurent Frajerman, "Salariés, fonctionnaires, enseignants , ou professeurs et instituteurs ? Identités collectives et choix revendicatifs du courant « unitaire » de la FEN, 1945 – 1960" in Girault J. (dir.), Les enseignants dans la société française au XXe siècle , 2004, Publications de la Sorbonne, 81-96 L’une des particularités du syndicalisme enseignant provient de la division de la Fédération de l’Education Nationale en tendances structurées et officielles. Entre la Libération et 1960 coexistent la majorité autonome, qui dirige tous les syndicats importants de la FEN, la tendance syndicaliste-révolutionnaire Ecole Emancipée et la principale minorité, le courant unitaire (1), ancêtre de la tendance Unité & Action. Le courant unitaire est animé notamment par les enseignants communistes. Après la scission confédérale de 1948, il créé la FEN-CGT, qui permet à ses militants d'être membres de la CGT et de s'affilier aussi à la FEN autonome. La double affiliation disparaît sur décision du PCF en 1954. Le courant unitaire s’exprime alors par le canal d’une motion présentée par la section FEN des Bouches-du-Rhône. Que signifient ces différences entre courants ? De nombreuses typologies du syndicalisme distinguent un syndicalisme d’opposition et un syndicalisme de négociation (2). Peut-on dire que le courant unitaire représente la version enseignante du premier type et la majorité de la FEN celle du second ? Ou leur proximité est-elle déterminante ? L’étude du versant revendicatif de l’activité syndicale est de nature à répondre à ces questions. Deux aspects sont discernables : les pratiques revendicatives et le rapport des unitaires aux identités collectives. Pour obtenir satisfaction, encore faut-il définir l’objet du litige avec l’employeur. Une partie conséquente du travail syndical consiste en la formulation des revendications, qui doivent répondre à quatre critères principaux : être réalisables, se comprendre aisément, permettre une légitimation aisée, enfin autoriser des solidarités avec les personnels voisins, autrement dit unir plutôt que diviser. Ceci implique nécessairement des arbitrages, qui portent la marque des rapports de force et des conceptions syndicales. Effectuer des choix revendicatifs ne relève donc pas seulement d’une activité prosaïque, consistant à trouver la solution la mieux adaptée aux souhaits du plus grand nombre. Cette activité symbolique soude le personnel autour d’un monde commun, ne serait-ce que par la formulation des considérations entourant la revendication. Etudier les choix revendicatifs permet d’appréhender les pratiques syndicales. L’idéologie du syndicat est-elle appliquée, aboutit-elle à des actes concrets ? De ce point de vue, la situation du courant unitaire est singulière : parce qu’il participe à la vie de la FEN, il doit théoriquement accepter sa vision des problèmes revendicatifs, mais il représente aussi une conception et une pratique minoritaires. Dans la pratique syndicale quotidienne, comment l’interaction entre les choix revendicatifs de la majorité et ceux de la minorité se produit-elle ? Cette question se pose dans un contexte de désaccords aigus entre syndicats nationaux de la FEN, et notamment entre le Syndicat National des Instituteurs et les syndicats de l’enseignement secondaire, exprimant l’affrontement d’identités professionnelles concurrentes. Le deuxième angle d’étude de l’activité revendicative concerne justement les identités collectives. En effet, la présentation classique de la FEN insiste sur son corporatisme, incarné par les syndicats nationaux. Le vocabulaire employé par les syndicalistes enseignants traduit d’ailleurs cette réalité, puisqu’ils désignent l’action revendicative par l’expression « action corporative ». De nombreux chercheurs ont réfléchi sur cette caractéristique du syndicalisme enseignant, dans la voie ouverte par les travaux de Véronique Aubert sur la construction syndicale de l'esprit de corps des instituteurs (3). Denis Ségrestin, à partir de l’étude d’une fédération de la CGT, notait : « Il n'y a pas de syndicalisme sans système d'identité collective, pas de conscience ouvrière sans relais culturels et institutionnels. » (4) Il n’est pas seulement question de culture d’un groupe, mais d’identité, au sens où les membres du groupe construisent cette identité, se l’approprient et en font un élément constitutif de leur identité personnelle. L’activité syndicale entretient donc des rapports étroits avec les identités collectives, particulièrement au niveau des choix revendicatifs, puisqu’ils impliquent fortement militants et adhérents et mettent en scène les identifications décisives. Quelle identité collective prime pour le courant unitaire de la FEN ? Est-ce le groupe constitué par le métier exercé ou l’identité professionnelle (au niveau, par exemple des instituteurs ou des professeurs) ? Privilégie-t-il l’aspect Education nationale, donc l’identité enseignante, ou bien accorde-t-il son soutien à la dimension Fonction publique, l’identité fonctionnaire, ou encore la solidarité générale avec les salariés, au nom d’un syndicalisme de classe ? En analysant les choix revendicatifs du courant unitaire, notre objectif est donc d’étudier sa nature syndicale et les identifications collectives qu’il promeut. I) L’attitude du courant quant à la définition des revendications et aux actions menées par la FEN a) Un courant plus combatif Le courant autonome assume une tradition syndicale réformiste, il préfère élaborer des revendications mesurées pour ne pas affronter frontalement le pouvoir. En témoigne cette déclaration d’Adrien Lavergne, secrétaire général de la FEN : « Il ne faut pas demander trop si on veut obtenir quelque chose. » (5) Bien souvent, la revendication est formulée à partir des contacts établis par les directions syndicales et le Ministère, qui permettent à chacun d’ajuster ses positions, et aux syndicalistes d’obtenir à coup sûr certaines des mesures exigées. Ces succès sont mis en valeur dans leur discours. Cette pratique ne signifie pas l’abandon de revendications fondamentales, mais celles-ci sont cantonnées au rôle de positions de principe, destinées à donner une perspective aux négociations quotidiennes. Les réformistes assument leur rôle dans la régulation du système administratif et participent à sa gestion. La pratique des unitaires se distingue-t-elle ? Dans certains cas, on peut noter leur propension à une plus grande rigidité dans les négociations. Ainsi, en 1950, un débat advient dans le Syndicat national de l’Enseignement secondaire à propos d’une circulaire encadrant le remboursement des frais de voyage pour les maîtres d’internat. Le courant unitaire refuse totalement cette circulaire et s’oppose à Louis Astre, majoritaire, qui propose d’« accepter le principe du contrôle, valable en soi, et discuter ensuite les modalités » (6), au nom de l’efficacité tactique. Mais l’exemplarité de cette controverse peut être altérée par le fait qu’elle se déroule en plein conflit pour la direction de la catégorie des surveillants du SNES (7). S’agit-il d’une différence fondamentale entre les courants, ou d’une nuance, masquée par la nécessité de se démarquer du concurrent ? De fait, on ne peut isoler les enjeux de pouvoir des choix revendicatifs du courant unitaire. Le courant unitaire exerce une pression constante en faveur du durcissement revendicatif, ce qui constitue sa principale contribution à l’activité revendicative. Il est d’ailleurs accusé par les autonomes de pratiquer l’opposition systématique, de critiquer des résultats jugés constamment insuffisants, par exemple en 1961, lorsque la majorité annule in extremis une campagne de grèves tournantes. Le discours unitaire estime toujours que les budgets de l’Education nationale sont insuffisants, les termes sont choisis pour frapper les esprits : « misère » (8), « désastre scolaire » (9), etc… L'insistance sur les constructions scolaires permet de pointer le délabrement des locaux, de montrer l'ampleur des investissements à réaliser. Labrunie, un militant du SNI, lance ainsi en 1947 une campagne novatrice sur le thème des taudis scolaires, photographies à l'appui (10), ce qui est rare dans les publications syndicales de l’époque. Pourtant, les unitaires valorisent leur aspect constructif, notamment dans les petits syndicats qu’ils animent, quelquefois avec des militants d’autres sensibilités. Par exemple, ils participent à la direction du Syndicat national des bibliothèques, qui privilégie la négociation et des revendications modérées (11). Entre la Libération et 1947 se situe une phase dans laquelle cet aspect constructif est particulièrement sensible, phase influencée par le contexte de la bataille de la production impulsée par la CGT et le PCF, qui participe au gouvernement. Une polémique à propos de la revendication d’échelle mobile des salaires (idée selon laquelle les salaires sont indexés à l’inflation) illustre cette attitude. Marcel Valière, le leader de l’Ecole Emancipée, se fait le promoteur de cette revendication traditionnelle du syndicalisme des fonctionnaires (12), avec l’approbation de la majorité. Paul Delanoue, figure des unitaires, rejette les « formules mathématiques » (13) au nom de l’efficacité, estimant que c’est un « mot d'ordre négatif » (14). Il propose des salaires liés à l’évolution de la production, et non de l’inflation. La bataille de la production n'est guère facile à expliquer à des enseignants, qui par définition ne peuvent augmenter leur production d’un jour à l’autre. Aussi, le discours de Delanoue est très politique, extérieur aux préoccupations des instituteurs, car ne mentionnant pas la politique salariale de l'Etat-patron. Il évoque divers types d'ouvriers, dont la comparaison avec les instituteurs manque de pertinence. Seul l’argument du réalisme peut trouver un certain écho, mais même dans leur phase constructive, les unitaires ne se positionnent guère sur ce créneau. Ils tentent donc de démontrer que les revendications de la CGT sont aussi radicales et plus efficaces que l'échelle mobile. Quelques années plus tard, elle est pourtant intégrée dans le programme de la FEN-CGT, sans que l’évolution ne soit justifiée (15), preuve que les revendications du courant unitaire sont sensibles à la conjoncture. Cet exemple montre que l’activité revendicative ne se limite pas à engager l’action pour obtenir satisfaction, mais inclut une réflexion sur les revendications les plus efficaces. b) Le travail syndical de formulation des revendications Les syndicalistes unitaires sont conscients de l’importance du travail syndical de formulation des revendications. Ainsi, Marcel Merville, militant du Syndicat National des Instituteurs (SNI), écrit : « L'expérience montre qu'une revendication ne peut aboutir que si elle est populaire, que si elle rallie et mobilise la grande masse des intéressés. » (16) Le courant bénéficie en la matière d’une tradition syndicale issue de la CGTU, qui a toujours défendu des revendications immédiates, même limitées (17). Dans l’élaboration des revendications prévaut la volonté de bien représenter l’avis des syndiqués, à l’opposé de tout avant-gardisme. Ainsi, dans une correspondance interne au courant, le secrétaire de la section SNI de l'Ardèche rejette l’idée d’un « Diplôme Pédagogique Supérieur » pour les instituteurs, soutenant qu'il a « des raisons de craindre que la masse des instituteurs actuellement en place ne l'accepte pas » (18). Les revendications peuvent porter sur les protections à apporter aux personnels. Les éléments essentiels du statut des fonctionnaires sont déjà en place avant la Seconde Guerre mondiale, et le statut général de la fonction publique parachève l’édifice en 1948. Cet aspect perd donc de son importance, excepté sous l’angle défensif et pour les personnels non titulaires. Dans cette période, le syndicalisme enseignant, et notamment sa composante unitaire, ne défend guère une vision à long terme de l’Ecole, de l’Etat, ou de la Société. Il ne se dote pas d’un projet qui donnerait une perspective à son action. L'action syndicale semble se résumer surtout à une gestion à vue. Quelques grands principes la sous-tendent : laïcité, affirmation du rôle du syndicat, nécessité d’un meilleur budget, démocratisation de l'Etat. Ainsi, le courant unitaire ne remet pas en cause les principes qui constituent les fondements de la hiérarchie de l'Education nationale. Même à l'époque de la FEN-CGT, quand le courant unitaire privilégie les éléments les plus radicaux de sa doctrine, l'agrégation est défendue (19). Les responsables syndicaux doivent hiérarchiser ces revendications, toutes ne pouvant être acceptées en même temps, circonstances exceptionnelles exceptées. Les batailles les plus âpres s’effectuent souvent à ce stade, entre groupes définis par le titre (20), le métier exercé, ou la profession (21). En effet, autant il est rare qu’un groupe conteste le principe des revendications des autres groupes, à condition qu'elles n’empiètent pas sur les siennes, autant il lui paraît essentiel que ses revendications particulières soient les mieux placées auprès des pouvoirs publics. Une revendication jugée prioritaire par le syndicat ou la Fédération disposant de meilleures chances d’être satisfaite, les arbitrages entre syndiqués sont très délicats. Cependant, l’effort de hiérarchisation n’est consenti par les syndicalistes que dans le but de négocier ; or les unitaires ne sont pas soumis à cet impératif, ne dirigeant pas de syndicats importants dans cette période. Aussi établissent-ils des listes de revendications, sans affirmer leurs priorités autrement que par l’ordre de présentation. Ils réclament des actions sur tous les fronts, d’une manière simultanée, arguant qu'un rapport de force plus avantageux changerait la donne. Le refus unitaire de hiérarchiser constitue une limite à notre étude. Les questions revendicatives concernent les identités collectives, et notamment les identités professionnelles ; les arbitrages opérés par les syndicalistes nous renseignent donc sur leurs choix en la matière. Nous ne pouvons connaître avec précision les groupes privilégiés par les unitaires. II) La gestion des identités professionnelles par le courant unitaire Étudier les identités professionnelles, implique de déterminer la référence de cette identité : est-ce le métier exercé, comme au siècle dernier ? Dans ce cas, le documentaliste d’un lycée serait à distinguer nettement du professeur de son établissement. Ce niveau existe incontestablement et les conflits entre catégories sont légion. Toutefois, le syndicalisme enseignant s’est attaché à le gommer au profit du niveau immédiatement supérieur, celui des types d’enseignement (premier degré, second degré, enseignement technique…). Les professions en question (instituteur, professeur (22), chef d’établissement…) se matérialisent dans les syndicats nationaux de la FEN. a) La défense des groupes marginaux de l'Education nationale Une place importante est accordée dans le discours revendicatif du courant unitaire à la situation de groupes marginaux dans l’Education nationale. Nous estimons que certains groupes sont marginaux en raison du faible nombre de salariés concerné, de leur statut précaire ou de leur position à la périphérie du noyau central de la profession que sont les enseignants. Ainsi, des groupes périphériques comme les adjoints d’enseignement de l’enseignement secondaire, les professeurs d’Education physique et sportive, tentent d’assimiler leur statut à celui des professeurs traditionnels. Les métiers au sommet de la hiérarchie scolaire (inspecteurs d’Académie par exemple) ne sont pas concernés : ils disposent de ressources suffisantes et se reconnaissent rarement dans un courant un peu sulfureux, du fait de la présence de communistes. A l’inverse, les groupes marginaux sont plus fragiles, ils peuvent donc être à la recherche d’un syndicalisme plus combatif, moins lié à l’administration. Le courant unitaire utilise l’opportunité de se substituer à la direction autonome. Enfin, leur marginalité peut les conduire à rejeter le courant majoritaire, symbole de l’adéquation entre le syndicalisme enseignant et certains métiers phares. Pour les groupes situés en bas de la hiérarchie de l’Education nationale, on peut envisager l’existence d’une conscience de la proximité avec la condition ouvrière, inductrice d’un sentiment de solidarité renforcé avec le mouvement ouvrier. Ainsi, les jeunes bénéficient d’une attention soutenue de la part du courant qui s'est fait une spécialité d'animer les luttes dans les Ecoles Normales primaires et supérieures. Il intervient régulièrement pour rappeler leurs revendications et en faire une priorité syndicale. La catégorie des adjoints d’enseignement du SNES est dirigée en 1949 par un militant unitaire, Marcel Bonin, qui ne cesse de s’ériger en porte-parole d’un métier maltraité. A. Cl. Bay, le secrétaire général autonome du SNES, ironise sur cette posture : « ceux qui reprochent à l'autonomie son corporatisme étroit et son manque de liaison avec les mouvements ouvriers, soutiennent au SNES une position de division en catégories. » (23) Dans ce cas précis, les luttes de tendance contrarient l’effort de rassemblement, d’inclusion de catégories voisines, effectué par le syndicat dans le but de construire une identité professionnelle stable. Mais l’implantation unitaire varie : les cégétistes dirigeaient les syndicats de l’enseignement professionnel et des agents de lycée qui ont quitté la FEN en 1948. Tant que la FEN-CGT existe, elle assure la jonction entre ces syndicalistes représentant des groupes marginaux de l’Education nationale et les militants unitaires. Après 1954, leur horizon syndical se restreint à la FEN autonome, qui a reconstruit des syndicats dans ces secteurs, en s’appuyant sur son hégémonie dans l’Education nationale. Au sein de la FEN des années 1960, le courant perd donc quelque peu le caractère de représentant des groupes marginaux. Ceci est souligné par ses succès dans les catégories les plus élevées dans la hiérarchie, comme les agrégés du SNES. Des observateurs affirment depuis que ce courant est le héraut paradoxal des groupes les plus favorisés (Second degré, Enseignement supérieur) (24). Le mécanisme de rapprochement des groupes marginaux de l’Education Nationale et d’un courant minoritaire de la FEN n’a donc rien d’automatique. Ces groupes peuvent au contraire chercher le paravent protecteur de la direction des Syndicats nationaux et de la Fédération, plus puissants. En définitive, les facteurs déterminants sont la présence de militants reconnus dans le groupe (Marcel Bonin devient par la suite surveillant général et dirigeant de cette catégorie du SNES) et l’interaction entre les stratégies des tendances de la FEN. b) Les unitaires instrumentalisent-ils des conflits revendicatifs entre Syndicats nationaux de la FEN ? Les heurts entre SNI, SNES et SNET sont récurrents à partir de 1949, dans une configuration où les positions de pouvoir dans la FEN sont relativement figées. Les militants unitaires ont-ils utilisé ces divergences ? Leur attitude évolue. Leur premier mouvement consiste à encourager le dépassement des clivages corporatistes, le rapprochement entre Syndicats nationaux (25). Cette attitude peut s’expliquer par la participation à la FEN-CGT, une organisation intercatégorielle, et par la force de leurs convictions idéologiques, qui supplanteraient les divergences d’intérêts. Notons une exception intéressée : pour convaincre le Syndicat des maîtres d'Education physique de s’affilier à elle et non à la FEN, la FEN-CGT utilise le refus de la FEN de défendre au Conseil supérieur de la Fonction publique la parité des maîtres d'EPS avec les instituteurs, contrairement à la représentante de la CGT (26). A partir de 1951, les unitaires changent d’orientation. Un Comité d’Action Universitaire est créé par le SNES, le Syndicat national de l’Enseignement technique-FEN et le Syndicat général de l’Education nationale-CFTC pour mener des actions revendicatives plus offensives, malgré l’opposition du SNI et de la direction de la FEN. Le CAU donne au courant unitaire l’opportunité d’intervenir plus activement dans la politique revendicative de la FEN, puisqu’une partie de celle-ci a besoin de son soutien. L’ensemble des militants unitaires appuie donc clairement la position du SNES dans les débats fédéraux, d’autant que la FEN-CGT cherche à sortir de son isolement (27). Cette évolution du courant n’est pas sans provoquer quelques discussions internes. Louis Guilbert, qui se félicite que les questions soient « vues davantage par rapport aux syndicats qu'aux tendances », se heurte au scepticisme d’un militant : « Si la lutte de catégorie remplace la lutte de tendance : aucun bénéfice. » (28) Cette attitude ne signifie pas que les militants unitaires se rangent aux positions de leurs Syndicats nationaux respectifs, puisque ceux du SNI s’allient aux syndicats les plus décidés. Cela advient en 1954, quand la plupart des syndicats FEN du second degré et de l’enseignement supérieur proposent une grève de 48 heures pour les revendications de l'Education nationale, malgré les réticences du SNI (29). Par contre, ces mêmes militants unitaires du SNI restent aux côtés de leur syndicat quand il est question de défendre les intérêts propres aux instituteurs face aux professeurs. En effet, des obstacles insurmontables empêchent l’adoption des idées du SNES par des instituteurs unitaires. Même si le courant unitaire profite de la plus grande perméabilité des syndicats du second degré à ses thèses (30), il pâtit lui aussi de la division existant entre identités professionnelles. L’identité professionnelle se construit aussi en excluant. Ce phénomène est illustré par le discours des syndicats du second degré (SNET, SNES surtout) et des petits Syndicats nationaux des personnels aux statuts avantageux : la défense de la hiérarchie est constamment affirmée. Cet argument témoigne d’un conservatisme social assumé, au grand dam des instituteurs, en position de prolétaires du système éducatif. Les unitaires du second degré ne s’y opposent pas, même s'ils développent ce thème moins fréquemment. Il est quelquefois difficile de distinguer le militant de l’enseignant appartenant à une catégorie précise : Louis Guilbert, qui joue un rôle central dans le courant, ne s’oppose-t-il pas à l’alignement du service des professeurs de classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques sur celui des littéraires ? (31) Un autre dirigeant défend les intérêts des certifiés face aux agrégés (32). Ce phénomène est aggravé par l’isolement des militants dans leur SN. Les principales occasions de rencontre sont fournies par les réunions de la FEN (congrès et commission administrative), au rythme assez lent. Ainsi, dans les lettres internes du courant unitaire du SNES, leurs camarades du SNI ne sont évoqués qu'au bout de quatre ans de parution, en 1966 (33), le SNI étant présenté comme un adversaire, sans distinction. La proximité idéologique n’évite nullement les conflits entre militants des divers Syndicats nationaux, qu’unit par ailleurs un égal rejet de la direction fédérale. On ne peut donc évoquer une identité enseignante aussi importante que les identités professionnelles, bien que la conscience des points communs entre instituteurs et professeurs existe. Les unitaires sont sensibles aux antagonismes entre identités professionnelles. D’autres identités collectives jouent-elles un rôle équivalent pour leur courant ? III) Fonctionnaires, salariés, des identités décisives pour les unitaires ? a) Le dilemme entre les revendications spécifiques à l’Education nationale et les actions communes à tous les fonctionnaires Les enseignants disposent de deux possibilités pour augmenter leur revenu : la revalorisation ou le reclassement. La demande de revalorisation concerne le traitement de base, par l’augmentation de l’indice commun à l’ensemble des fonctionnaires. Privilégier la revalorisation équivaut à insister sur les solidarités avec la Fonction publique et à instaurer un rapport de force basé sur le nombre de personnes mobilisées : même une légère augmentation de l’ensemble des fonctionnaires coûte cher à l’Etat. Le reclassement touche à la place des enseignants par rapport aux autres fonctionnaires, en réclamant une modification de la grille indiciaire ou une indemnité particulière. Cette tactique est plus technique, plus facile à légitimer avec des arguments comme le niveau de diplôme. Le gouvernement est susceptible d’accepter plus aisément le reclassement, concernant moins de fonctionnaires et donc moins prohibitif. Mais cette méthode recèle des risques d’accentuation de la concurrence, comme en témoigne la grève des fonctionnaires des finances contre les avantages obtenus par les enseignants en 1947. Privilégier le reclassement aboutit à s’isoler dans la sphère Education nationale. Robert Chéramy, ancien dirigeant de la FEN, estime que son action est fondée sur le principe selon lequel les enseignants « n’entendent pas être extraits de la loi commune, et au bénéfice d’un statut particulier, voir rompre le lien entre leurs traitements et ceux des autres fonctionnaires – comme ce fut le cas (…) successivement pour les magistrats, pour l’armée et pour la police. » (34) Donc, la bataille revendicative de la Fédération se déroule pour l’essentiel à l’intérieur du statut de la fonction publique. Ceci n’exclut pas l’examen sourcilleux des avantages de chaque profession, qui aboutit au principe de « l’échelle de perroquet » : chaque avantage particulier obtenu par une profession sert d’argument pour les professions voisines qui n’ont de cesse de rétablir l’équilibre (35). Les autres fonctionnaires sont toujours suspectés de bénéficier d’avantages indus ou de menacer les acquis enseignants (vacances, primes…). La position sociale de la majorité des enseignants parmi les fonctionnaires est intermédiaire. La FEN s’oppose à l’Union générale des Fédérations de fonctionnaires-CGT, majoritairement composée de petits fonctionnaires, avec le soutien de FO, qui représente surtout des fonctionnaires plus aisés. Les dirigeants du SNES (syndicat de catégorie A) en sont conscients : Bay évoque « les petits fonctionnaires de l'UGFF [qui] s'élèvent contre l'indemnité hiérarchisée » et Maunoury insiste : « Nous représentons des fonctionnaires moyens, nous devons avoir une attitude de fonctionnaires moyens. »(36) Le courant unitaire, du fait de sa proximité idéologique avec l’UGFF-CGT, refuse de critiquer les autres syndicats de fonctionnaires et s’emploie à conforter leur unité d’action. En 1954, un grave conflit oppose les syndicats du second degré et du supérieur et leurs alliés du CAU à la direction du SNI. Le CAU se propose de lancer des revendications spécifiques à l’Education Nationale, sur le reclassement, contrairement au SNI qui s’inquiète de propositions du gouvernement Mendès-France insuffisantes pour les instituteurs et généreuses pour les fonctionnaires les mieux payés (prime de super-hiérarchie). Le SNI ne songe pas à une mobilisation plus intense de ses adhérents, mais à une réorientation de l’activité syndicale vers la fonction publique (37). Ce primat accordé par la direction du SNI à la revalorisation s’explique par les bonnes relations entretenues avec FO et par la volonté d’éviter un affrontement avec le pouvoir, que la réticence de ses partenaires syndicaux de la Fonction publique justifie. Le courant unitaire, quant à lui, appuie la demande de reclassement, car elle permet d’engager l’action sans attendre. En 1946 et 1947, il défendait déjà la priorité au reclassement dans le cadre des négociations avec le gouvernement. Le courant unitaire ne s’oppose donc pas par principe aux revendications spécifiquement enseignantes, et peut même les privilégier. Mais ces clivages ne sont pas stables, dans la mesure où ils ne reposent pas sur des questions de principe. Après une période d’affrontement intense entre ses Syndicats nationaux, la FEN connaît une accalmie, car le CAU a disparu et la direction du SNI soutient en 1957 une bataille sur le reclassement. Son secrétaire général, Denis Forestier, tient un raisonnement caractéristique de la culture réformiste : « S'engager dans un mouvement de la Fonction publique, c'est compromettre le reclassement de la fonction enseignante. Le moment nous est favorable. Il faut d'abord poser le problème de la fonction enseignante. » (38) En ce qui concerne le courant unitaire, il prend garde de ne pas opposer le reclassement à la revalorisation, ce qui est d’autant plus aisé qu’il n’est pas en situation de devoir choisir entre les deux. S’il est attentif à la dimension fonctionnariale de l’action syndicale des enseignants, sa boussole revendicative reste les opportunités d’action concrète ouvertes selon les circonstances par le reclassement ou la revalorisation. b) La rareté des revendications communes à l'ensemble des salariés Le courant majoritaire de la FEN situe les enseignants en position d’extériorité par rapport aux ouvriers en utilisant la notion de « solidarité ». L’insertion des enseignants dans un ensemble plus large, le salariat, ne revêt pas plus de sens pour la FEN, dont les revendications se situent rarement à ce niveau. La place dans l’espace social reste globalement impensée, bien que l’on puisse objectivement ranger les enseignants dans les classes moyennes (39). Le courant unitaire ne se singularise guère, il promeut peu de batailles concernant l’ensemble des salariés, du secteur privé comme du secteur public, malgré son affinité pour la CGT. Le statut de la fonction publique prévoit que le traitement de base correspond à 120 % du minimum vital, mais il ne fut jamais défini. Cette solidarité de la grille de la fonction publique avec l’ensemble des salaires est utilisée d’une manière assez rhétorique par le courant, qui éprouve des difficultés à aboutir à des actions concrètes pour son application. Elle est supprimée par le gouvernement en 1959. Les motions de congrès évoquent quelquefois le SMIG, surtout en 1950, dans un contexte de durcissement de la FEN-CGT, où le SMIG devient le centre des revendications unitaires. Une publication de la FEN-CGT compare les avantages perçus par les jeunes salariés effectuant leur service militaire, mais le seul exemple concret donné est celui d’EDF, et le texte précise « cette référence est d'autant plus importante que c'est un secteur qui est voisin du nôtre » (40). Ainsi, le point de repère revendicatif des militants unitaires reste le secteur public, qui s’impose naturellement (41) et doit son efficacité à la proximité au monde enseignant. Quel paradoxe si on songe à la prégnance du thème de la classe ouvrière depuis la Libération, notamment à propos du refus du départ de la CGT en 1948…(42) Un tract de la FEN-CGT de 1951 illustre ce paradoxe. Sous-titré : « Le gouvernement a reculé sous la poussée de l’action unie de la classe ouvrière », il insiste sur le retard de rémunération des fonctionnaires par rapport au secteur privé et donne une liste de revendications et de propositions d’action axées sur la fonction publique et le monde enseignant. Bref, les ouvriers constituent un exemple par leurs luttes, par leur intransigeance supposée, leur forme de syndicalisme, la CGT ; mais l’action revendicatrice quotidienne établit peu de ponts avec eux. On ne s'efforce guère de construire des solidarités. Un signe de cette évolution est fourni par la dénomination des enseignants. Avant-guerre, le terme utilisé le plus fréquemment pour les unitaires est « Travailleurs de l’Enseignement », employé par l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement (43), qui autorise l’assimilation des enseignants à la classe ouvrière. Dans la période qui nous intéresse, il devient très rare (44). Cet effort minimal de rapprochement revendicatif avec les ouvriers est encore atténué par la disparition de la FEN-CGT en 1954, au profit d’une insertion dans le modèle FEN, qui revendique son autonomie. Les unitaires continuent à évoquer le SMIG, comme la majorité, mais ils privilégient la recherche d'un accord avec celle-ci, et atténuent alors leurs singularités. Au début des années 1960, après quelques hésitations, les motions unitaires n'évoquent plus que les revendications émanant de la sphère de l’enseignement ou de la fonction publique. On peut expliquer cette faiblesse de la dimension salariale dans le discours unitaire par une réticence des enseignants à s’inscrire clairement dans une classe sociale, qu’elle soit définie de manière restreinte (classe moyenne) ou extensive (l’ensemble des salariés, unis par leur rejet du système capitaliste). Conclusion Le rapprochement entre les positions revendicatives du courant unitaire et celles des syndicats du second degré autour du reclassement présage la conquête de leur direction, à partir de 1967. Il contribue à donner une plus grande crédibilité syndicale aux militants unitaires du second degré. Les conflits entre syndicats nationaux de la FEN permettent aux unitaires d’influencer la politique revendicative de la Fédération. Le courant unitaire dans son ensemble ne se reconnaît pas pour autant dans l’identité professionnelle spécifique à l’enseignement secondaire, il ne transcende pas les clivages catégoriels ou professionnels, qu’il sait parfaitement utiliser. Le discours unitaire contre l'autonomie et le corporatisme qu'elle implique reste très théorique. Les militants unitaires s'attachent concrètement à défendre chaque groupe, à valoriser les revendications enseignantes, sans s'attarder sur les problèmes syndicaux plus globaux ou sur les problèmes ouvriers. On ne décèle aucun ouvriérisme. Cette analyse des choix revendicatifs du courant unitaire confirme, à l’échelle du syndicalisme enseignant, la théorie de Denis Segrestin, selon lequel le type de syndicalisme incarné par la CGT « n'a eu en vérité d'autre terrain d'application concret que celui du métier, considéré comme le pivot de l'organisation et de l'identité ouvrières » (45). Les pratiques revendicatives permettent de cerner les différentes dimensions identitaires pertinentes pour les enseignants, comme un emboîtement d’identités mobilisatrices pour l'action revendicative. Au cœur se situe la profession, instituteur ou professeur (un niveau inférieur peut être ajouté, la catégorie, mais le syndicat s'efforce d'en limiter l'écho), ensuite le fait d'être enseignant, enfin le statut de fonctionnaire reste un facteur d'identification, et les modalités de la négociation salariale avec l'Etat-patron imposent de nombreuses revendications sur ce plan. On pourrait inclure dans ce recensement la dimension salariale, mais elle n’est précisément pas décisive pour l’action : les mobilisations et revendications communes à l’ensemble des salariés sont très rares. L’identité de salarié conserve son importance pour les militants, mais sur un registre différent, plus idéologique : elle est le fondement du syndicalisme. Les enseignants n’ont pas une conscience de classe forte, ils se polarisent sur leur statut. Le concept weberien de statut fondé sur le prestige social et le titre (46) correspond à la distinction entre certifiés et agrégés, voire entre instituteurs et professeurs. Les syndicats enseignants, quelle que soit la tendance qui les dirige, relèvent donc du « syndicalisme de défense professionnelle », comparable au syndicalisme des cheminots (47). La défense et la représentation des identités professionnelles constituent un aspect fondamental des fonctions exercées par les syndicats nationaux de la FEN. Même dans la période d'affirmation maximale de sa singularité, à l'époque de la FEN-CGT, le courant unitaire ne constitue pas un modèle revendicatif complètement alternatif à celui de la majorité autonome. Globalement, les points communs l’emportent sur les divergences. Le courant unitaire se distingue par son volontarisme, son insistance sur l'action, mais creuse en définitive le même sillon. Aussi n’incarne-t-il pas un syndicalisme d’opposition. L’intégration de la principale minorité dans le modèle syndical instauré par la FEN explique d’ailleurs la pérennité de son unité. Notes L’emploi du terme « unitaire » pour nommer le courant résulte d’un choix, en référence à la CGTU et à la FSU, les appellations ayant beaucoup varié, selon les époques et les syndicats. Il n’a pas vocation méliorative. Cf notre thèse en cours de rédaction, dirigée par Jacques Girault et portant sur Les interactions entre la FEN et sa principale minorité, le courant unitaire, de la Libération à 1960. Par exemple, Guy Caire et Thomas Lowit évoquent un « syndicalisme de revendication et d’opposition » et un « syndicalisme de revendication et de contrôle ». In Encyclopedia Universalis, article « Syndicalisme ». AUBERT Véronique, « Système professionnel et esprit de corps : le rôle du Syndicat national des instituteurs », Paris, Pouvoirs, n°30, 1984. Pour une présentation et une application approfondie de cette problématique : ROBERT André, Le syndicalisme des enseignants, Paris, Documentation Française/CNDP, 1995, 175 p. SEGRESTIN Denis, « L'identité professionnelle dans le syndicalisme français », Économie et Humanisme, nº 245, janvier-février 1979 - p. 12. Archives FEN, 2 BB 3, Compte-rendu de la réunion du Bureau fédéral du 14 janvier 1957. L’Université Syndicaliste nº 57, 22 janvier 1950. Le SNES est divisé en catégories, qui élisent leurs représentants au bureau. Le nom officiel des surveillants est Maîtres d’Internat – Surveillants d’Externat. Congrès FEN-CGT de 1952, terme employé par Blot (Seine-Inférieure), Batis (maîtres d'internat), Vrœlant (Recherche scientifique), L’Action Syndicaliste Universitaire nº 22, octobre 1951. Titre d’un livre de Maurice Loi, dirigeant du courant dans le SNES : Le désastre scolaire, Paris, Editions Sociales, 1962, 308 p. Les photographies apparaissent dans le troisième article de Labrunie paru sur le sujet dans L’Ecole Libératrice nº 3, 16 octobre 1947. COCHERIL Olivier, Le Syndicat national de Bibliothèques de la Fédération de l'Education Nationale de 1956 à 1972, Maîtrise Paris I, [Girault J. - Prost A.], 1990, 284 p. - p. 82. Jeanne Siwek-Pouydesseau indique que l’échelle mobile est revendiquée par la Fédération des Fonctionnaires dès l’entre-deux-guerres, in Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu'à la guerre froide, 1848-1948, Lille, PUL, 1989, 343 p. – p. 226. Delanoue, L’Ecole Libératrice nº 20, 10 juillet 1946. Expression de Paul Delanoue, dans un rapport sur le programme d'action revendicative du SNI, L’Ecole Libératrice nº 18, 10 juin 1946. L’Action Syndicaliste Universitaire nº 22, octobre 1951. L’Ecole Libératrice nº 18, 10 juin 1946. DREYFUS Michel, Histoire de la CGT, Bruxelles, Ed Complexe, 1995, 407 p. - p. 131. Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 42 J 21, Lettre de Coulomb à Grandemange, le 26 avril 1964. L’Action Syndicaliste Universitaire nº 26, mars-avril 1952. Par exemple entre les catégories des agrégés et des certifiés dans l’enseignement secondaire. Par exemple entre professeurs de l’enseignement secondaire et instituteurs de l’enseignement primaire. Le titre du livre de Jacques Girault illustre le même choix théorique : Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la société française (fin XIX° - XX° siècle), Paris, Publications de la Sorbonne,1996, 351 p. Conseil National commun du SNES et du Syndicat National des Collèges Modernes, le 27 février 1949, L’Université Syndicaliste nº 51, 25 mars 1949. COQ Guy, « L'autonomie est-elle une stratégie ? », Projet, nº 149, novembre 1980 - p. 1081. Bureau national du SNES du 15 juin 1949, L’Université Syndicaliste nº 54, 10 octobre 1949. L’Enseignement Public nº 4, janvier 1949. Un discours retentissant de Benoît Frachon devant son congrès de 1952 a accentué cette recherche d’une stratégie nouvelle. L’Action Syndicaliste Universitaire nº 29, octobre 1952. Note sur l’intervention de Beaussier dans une réunion de la FEN-CGT en novembre 1952, Archives FERC-CGT, Carton nº 1, Dossier U&A 1951-1952. Le SNES, le SNET, le Syndicat national de l'Enseignement supérieur et le Syndicat national des professeurs d'Education physique. Archives départementales des Bouches-du-Rhône,42 J 52 / 53, Lettre de Jean Buisson, le 5 février 1954. Le SNET est dirigé par un unitaire entre 1944 et 1948. A partir de 1967, la direction du SNES devient unitaire. Commission Administrative du SNES du 28 septembre 1949, L’Université Syndicaliste nº 54, 10 octobre 1949. Au Bureau National du SNES du 15 février 1950, Guilbert déclare « que le maintien de la hiérarchie doit être recherché », L’Université Syndicaliste nº 59, 15 mars 1950. Camille Canonge, L’Université Syndicaliste nº 52, 20 mai 1949. « Lettres internes de la liste B (Unité et Action, 1962 - 1967) » Paris, Les documents de l'IRHSES, supplément à Points de repères, nº 20, janvier 1999, 128 p. CHERAMY Robert, FEN, 25 ans d'unité syndicale, Paris, éd. de l'épi, 1974, 160 p. - p. 67. Ce système est dénoncé dès les années 1920. SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu'à la guerre froide, op. cit., p. 224. Réunion du Bureau national du SNES, 19 oct 1949, L’Université Syndicaliste nº 55, 21 novembre 1949. Archives FEN, 2 BB 3, Compte-rendu de la réunion du Bureau fédéral du 10 mai 1954. Archives FEN, 2 BB 3, Compte-rendu de la réunion du Bureau fédéral du 6 mai 1957. Cf notamment CHAPOULIE Jean-Michel, Les professeurs de l'enseignement secondaire : un métier de classe moyenne, Paris, Maison des Sciences de l'Homme, 1987, 407 p. et GEAY Bertrand, Profession : instituteurs. Mémoire politique et action syndicale, Paris, Seuil, 1999, 283 p. Courrier des Normaliens FEN-CGT, 1952. Dans le sens de la naturalisation d’un fait social. Archives FEN, 1 BB 93, lettre de Paul Delanoue et Philippe Rabier à Adrien Lavergne du 20 mai 1948. Cf FRAJERMAN Laurent, « Le rôle de l'Internationale des Travailleurs de l'Enseignement dans l'émergence de l'identité communiste enseignante en France (1919 - 1932) », Cahiers d'Histoire, Revue d'Histoire Critique, Paris, nº 85, 2002, pp. 111-126. Nous avons retrouvé son usage dans peu de documents : notamment un article de Paul Delanoue, L’Ecole Libératrice nº 18, 10 juin 1946, et un tract de la FEN-CGT de 1952, intitulé « Travailleurs de l’Education Nationale ». SEGRESTIN Denis, Le phénomène corporatiste. Essai sur l'avenir des systèmes professionnels fermés en France, Paris, Fayard, 1985, p. 71. Il ne distingue pas ici le métier de la profession. WEBER Max, Economie et société, tome 1, Paris, Pocket, 1995 (édition originale 1956). Notion employée par Sélig Perlman, qui le distingue du syndicalisme de classe. Sur le syndicalisme des cheminots, et la réflexion à propos des catégories pertinentes pour l’action syndicale : CORCUFF Philippe, « Le catégoriel, le professionnel et la classe : usages contemporains de formes historiques », Paris, Genèses, n°3, février 1991.
- refondation école, la déception | Laurent Frajerman
Comment expliquer l'échec de la Refondation de l'école, lancée par Vincent Peillon ? Par l'absence de démarche bottom/up, les lacunes du dialogue social ? Laurent Frajerman, "Refondation de l'école, la déception enseignante" Année de la recherche en sciences de l’éducation , décembre 2017, p. 179-189 Il y a seulement cinq ans, un tournant progressiste de l’école était annoncé ubi et orbi par un ministre omniprésent dans les média. Au-delà du lyrisme auquel nous ont habitué les ministres de l’éducation nationale (qui se souvient que Luc Châtel avait annoncé une révolution de la personnalisation, succédant à l’œuvre de Jules Ferry et de Gaulle ?), Vincent Peillon avait bien suscité un espoir, grâce à sa longue préparation au poste, à sa méthode inédite associant tous les acteurs du système, à l’annonce de 60 000 créations de postes. 46 % des enseignants avaient voté pour François Hollande au premier tour et 80 % au second (sondage IFOP Le Monde, 2012). Le taux de grévistes reculait fortement. 45 % des professeurs de lycée et collège refusaient « de fragiliser le gouvernement en remettant en cause ses réformes » (sondage CSA/SNES, 2013). Comment expliquer alors la facilité avec laquelle l’actuel locataire de la rue de Grenelle efface les points saillants du quinquennat précédent en matière éducative ? Pire, revenir sur les réformes du collège et des rythmes scolaires représente pour lui le moyen d’engranger popularité et soutien pour ses projets, nettement plus libéraux au demeurant. L’échec flagrant de ces deux réformes n’était pas écrit d’avance. Les enseignants et leurs organisations ont combattu nombre de réformes qu’ils se sont appropriées dans un second temps, jusqu’à les défendre lorsqu’elles étaient remises en cause. La raison importe peu dans le cadre de cet article : soit la réforme était mal comprise, soit l’action syndicale avait permis de l’améliorer, soit les effets pervers redoutés initialement ne s’étaient pas manifestés, ou enfin la force d’inertie du système avait neutralisé la réforme… Ce fait souligne juste que les réformes des rythmes et du collège ont au contraire connu une opposition croissante. Les enseignants n’ont d’ailleurs accordé en 2017 que 15 % de leurs suffrages à Benoît Hamon soutenu par les verts (sondage IFOP/SOS éducation). Un score divisé par trois ! Leur déception mérite donc réflexion. Nous analyserons d’abord la mise en œuvre de la Refondation, la profonde transformation qu’elle subit après le départ de Vincent Peillon, puis les obstacles de fond à une adhésion des enseignants au processus réformateur. Une mise en œuvre délicate Le quinquennat se divise clairement en deux périodes du point de vue éducatif, même si une cérémonie a voulu démontrer le contraire en mai 2016. Le départ prématuré de Vincent Peillon signifie son échec et provoque un changement de stratégie. Ministère et syndicats : un duo désaccordé Le Ministère (entendu comme le champ de la haute administration et du cabinet du ministre, dans des rapports de force mouvants) est toujours tenté par la mise à mort de la vieille cogestion avec les syndicats, typiques de l’éducation nationale et d’autres secteurs comme l’agriculture (Frajerman, 2014). Constatons que les deux réformes rejetées par les syndicats concernés au conseil supérieur de l’éducation ont suscité des mouvements sociaux puissants et une impopularité croissante (1). L’accord des syndicats est une condition nécessaire mais non suffisante pour espérer l’adhésion des enseignants à ses projets. Les dirigeants des grands syndicats (essentiellement UNSA éducation et FSU, et aussi SGEN CFDT et FO) ont d’abord été sensibles à la promesse d’une politique ambitieuse et progressiste, qui rompe avec l’austérité et le libéralisme conservateur des années Sarkozy. Ils avaient préparé la nouvelle politique en amont avec Vincent Peillon et son conseiller, Bruno Julliard, qu’ils connaissent bien depuis ses fonctions à l’UNEF. En 2012, la priorité au premier degré ne pouvait que sonner agréablement aux oreilles des professeurs des écoles, qui l’ont traduite automatiquement en priorité en leur faveur. La direction du SNUipp espérait beaucoup du nouveau pouvoir. Vincent Peillon avait le sentiment qu’il pouvait compter sur le soutien du syndicat majoritaire pour mettre en place rapidement une première réforme, sur les rythmes scolaires, qui s’appuyait sur un consensus assez large. Il ignorait la culture Unité & Action, faite de volontarisme dans l’action et de souplesse idéologique, qui amène quelquefois à consulter les personnels. Or la satisfaction des revendications catégorielles ayant été reportée, aucune compensation à l’allongement de la présence au travail n’a été accordée. L’incompréhension grandissante entre le ministre et le syndicat n’aida pas à trouver les gestes nécessaires pour apaiser le mécontentement grandissant des enseignants. Leur mobilisation en 2013 a paralysé la volonté de changement (Frajerman, 2017). Du côté du second degré, la volonté de concertation, le parcours professionnel du ministre (certifié puis agrégé de philosophie) rassurait ceux des PLC qui considéraient leur identité professionnelle menacée. Le SNES avait obtenu de Vincent Peillon un assouplissement de la logique du socle commun. Pour lui, l’enjeu n’est pas sémantique (l’ajout du terme culture à « socle commun de connaissances et de compétences ») mais bien stratégique : le collège n’est pas arrimé au premier degré, l’enseignement par compétence ne supplante pas l’enseignement des connaissances, disciplinaire. Ce compromis a d’ailleurs suscité l’hostilité résolue du SGEN-CFDT et du SE UNSA, qui ne se résignaient pas à voir leurs conceptions mal défendues par un gouvernement socialiste. La persistance des clivages syndicaux contraria donc le projet de Refondation. Il faut dire aussi que de grandes ambitions dans le domaine éducatif s’accordent mal avec de faibles moyens financiers. Encadré 1 : Le « décret de 50 » : leçons d’une réforme réussie Vincent Peillon a pourtant su s’attaquer à un totem enseignant, sans provoquer de mobilisation. Il a remplacé le fameux « décret de 50 » pour rationaliser la gestion des obligations de service des professeurs de lycée et collège. Certes, la mesure est limitée, puisqu’il a renoncé à son objectif de renforcer le contrôle des enseignants et d’étendre le nombre de missions que leur hiérarchie peut clairement exiger d’eux. C’était la condition pour obtenir l’abstention bienveillante du SNES, le syndicat majoritaire, qui poursuivait deux objectifs : - éliminer les inégalités générées par des curiosités telle que l’heure de cabinet (prévue pour ranger les cartes des professeurs d’Histoire-Géographie) ; inclure des disciplines créées après 1950 (certains chefs d’établissements se servaient de ce vide juridique contre les professeurs de Sciences Economiques et Sociales notamment) ; - préparer le retour prévisible de la droite, en négociant avec un ministre à l’écoute un changement statutaire qui n’augmente pas la charge de travail, qui n’inclue pas de missions obligatoires nouvelles. Le but étant de retirer à la droite l’argument du « statut qui n’a pas changé depuis 70 ans » Le SNES a payé son attitude constructive aux élections professionnelles, car 71 % des enseignants s’estimaient mal informés sur un projet que 54 % rejetaient par mesure de précaution (sondage SNES-CSA, 2014). Le syndicat n’a pas réussi à expliquer sa position, mais les inquiétudes sont désormais dissipées. A mon sens, cette réforme délicate a réussi parce qu’elle a été pilotée dans le dialogue social et restreinte à des objectifs réalistes. La deuxième période : Benoît Hamon / Najat Vallaud Belkacem L’arrivée de Benoît Hamon et surtout de Najat Vallaud Belkacem a changé la donne. Ils se sont attelés à solder le contentieux avec les professeurs des écoles en aménageant la réforme des rythmes et en leur accordant une revalorisation non négligeable. Mais les nouveaux ministres ont ouvert un second front, dans le second degré. En s’appuyant sur des syndicats nettement minoritaires dans le secteur, en opposant camp de la réforme et camp du refus, ils ont remis le SNALC et FO dans le jeu et durci le climat. Une des explications réside dans leur faible connaissance des dossiers éducatifs qui les a rendu dépendants de leur haute administration et des organisations situées dans la sphère du PS (UNSA et Ligue de l’Enseignement notamment). Najat Vallaud Belkacem a ainsi refusé tout dialogue social dans le second degré, lors de la réforme du collège. Alors qu’habituellement, les équilibres sont trouvés lors des discussions préalables, la rapidité d’élaboration du projet l’a contrainte à l’amender ultérieurement, publiquement, sur des aspects importants tels que l’existence des classes bilangues et du latin. Elle n’est pas parvenue à gommer une image qui a provoqué d’innombrables joutes intellectuelles. Les enseignants ont été moins sensibles à ce débat rituel qu’à un problème pratico-pratique : le rôle joué par ces enseignements – pourtant élitistes - dans la mixité sociale des établissements difficiles. Loin d’être l’apanage des beaux quartiers, ils servent aussi à retenir les élèves des classes moyennes, sans obligatoirement aboutir à des classes de niveau. Cela soulève un débat passionnant pour les sciences de l’éducation : comment concrètement combattre les inégalités sociales à l’école ? L’uniformité ne fonctionne pas, on le sait depuis « les héritiers », mais la ségrégation a des effets encore plus redoutables. Ce cas montre une certaine méconnaissance par le Ministère du terrain, des efforts d’adaptation des acteurs locaux. D’abord, celui-ci assimilait le latin à un outil de sélection, ce qu’il était incontestablement jusque dans les années 1960, lorsqu’il a été remplacé par les mathématiques (Frajerman, 2007). Bien sûr, si la fonction sociale de l’enseignement du latin a changé, il reste à appréhender son utilité scolaire, mais les caricatures n’y aident pas. Ensuite, le Ministère ne connaissait que les classes bilangues des établissements de centre-ville, et pensait effectuer un acte de justice sociale en les supprimant. Notons que celles de Paris ont finalement toutes été préservées, alors que 40 % de celles de l’académie de Créteil ont disparu. Les familles aisées savent se faire entendre. Enfin, l’enseignement privé, qui a réussi l’exploit de fournir le modèle de gouvernance de la réforme et de profiter de l’opposition qu’elle a suscité. D’un côté, le secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique assurait un soutien sans faille : « Elle fait l’unanimité dans nos rangs, car elle correspond à ce que nous revendiquons depuis des années : laisser plus d’autonomie aux chefs d’établissement. Cette réforme, on va l’appliquer, et avec enthousiasme ! » (2) De l’autre, de nombreux établissements privés ont basé avec succès leur publicité sur la non application de la réforme. Encadré 2 : Une communication qui stimule le sentiment de mépris et catalyse le mécontentement. On sait avec Axel Honneth (2006) l’importance des éléments symboliques dans les mobilisations sociales, le risque qu’une attitude jugée méprisante fait courir au pouvoir. Or, la communication ministérielle a pris de plus en plus nettement ce tournant, creusant le fossé avec les enseignants. Ainsi, les déclarations de NVB sur l'ennui des élèves ne pouvaient que les braquer. Prenons l’exemple d’un dessin publié sur Tweeter par le service d’information de Matignon : Ce dessin ne pouvait qu’être contreproductif. Qui pouvait sérieusement croire au miracle de la multiplication des cours en effectifs réduits, si contraire à l'expérience quotidienne ? Après une confuse bataille de chiffres entre tenants et adversaires de la réforme, les enseignants ont d’ailleurs pu vérifier la dissolution des promesses officielles dans la réalité comptable. Surtout, il jette clairement l'opprobre sur les professeurs de latin (déjà accusés par la ministre de ne faire que des déclinaisons), et réactive l’opposition éculée entre cours traditionnels ennuyants et animations ludiques. Les obstacles structurels La déception suscitée par la Refondation s’explique tout autant par ce contexte politico-institutionnel que par l’incapacité à soigner le malaise enseignant. Le repli enseignant Les recherches montrent une tendance au repli du monde enseignant sur lui-même : endogamie (Farges, 2011), habitation loin des établissements scolaires et donc des familles, chute du militantisme dans la société (aussi bien politique que dans l’éducation populaire) et corrélativement baisse de leur influence (de moins en moins d’enseignants dans les associations périscolaires ou comme élus). La profession, fragilisée par sa moindre prise sur le monde extérieur manifeste une grande sensibilité. Le sentiment d’être incompris se répand. Ainsi, les enseignants souffrent tellement de leur mauvaise image qu’ils l’exagèrent systématiquement. La Refondation s’est heurtée à une contradiction supplémentaire. D’un côté, les enseignants dénoncent l’accumulation des réformes et font état d’un besoin de sens pour justifier de nouveaux changements. De l’autre, moins politisés que les générations précédentes, ils ne s’inscrivent plus dans les grands récits, les affrontements idéologiques sur l’école. Le pragmatisme est le maître mot. Ils ont donc été peu réceptifs au discours généreux de la Refondation et se sont concentrés sur les réformes concrètes. Les corps intermédiaires (associations pédagogiques, syndicats…) comme les chercheurs n’échappent pas à la suspicion. On les écoute, on les érige en porteurs d’une parole qui se cherche, mais on ne leur donne aucun blanc-seing. Un métier en souffrance Interrogés sur le bonheur au travail, les enseignants figurent en haut des palmarès. Alors que les résultats sont catastrophiques lorsqu’on les sonde sur l’état de l’école, leur rapport à l’administration de Grenelle. La dépression, la méfiance, touche une profession entière ! Les tentatives pour introduire les méthodes du Nouveau Management Public ont manifestement joué. Les pressions hiérarchiques se sont accentués depuis les années 2000 avec pour conséquence une intensification du travail. Le contexte de forte dégradation des conditions de travail a considérablement entravé la Refondation. D’autant que, si des postes ont été créés, ils ne compensaient ni la hausse démographique ni l’hémorragie provoquée par l’équipe Sarkozy (moins 80 000 enseignants). Autant dire que les enseignants n’en ont guère ressenti les effets. Illustrons le décalage très vif entre le sommet et la base de l’éducation nationale avec l’exemple des programmes par cycles. Cette innovation s’appuie sur une réflexion poussée, l’idée de sortir de programmes jugés parcellaires et trop ambitieux pour aller vers une logique curriculaire, espérée plus cohérente et explicitant mieux les attendus (Gauthier, 2014). Le Conseil Supérieur des Programmes a donc rédigé des programmes ne fonctionnant pas par année et anticipant la fusion entre premier et second degré (le cycle 3 est à cheval entre l’école élémentaire et le collège, alors que ces enseignants ne se rencontrent guère et sont les uns polyvalents et les autres spécialisés par discipline). Un seul détail a échappé au CSP et au Ministère : rien n’a changé dans ce qui structure l’exercice quotidien du métier. Les élèves changent toujours d’enseignants chaque année, les rapports entre les disciplines n’ont pas évolué, rien n’oblige les enseignants à coopérer entre eux pour planifier un parcours d’élèves sur trois ans (exercice difficile au demeurant). Les enseignants bricolent donc pour rester dans un cadre annuel, et rejettent ce qu’ils voient comme une nouvelle lubie du sommet. Paradoxalement, avec l’inclusion et l’allongement de la scolarité, la forme scolaire traditionnelle, que beaucoup considèrent comme inadaptée aux évolutions du monde et de la technologie (Durpaire & Mabilon-Bonfils, 2014), n’a jamais concerné autant de jeunes. L’institution ne réussit pas à donner un sens positif aux mutations en cours, impactant l’identité professionnelle des enseignants. Comment leur enjoindre d’adopter des pratiques collaboratives, horizontales, en fonctionnant de manière si verticale ? Problème d’autant plus troublant qu’on observe une « résonance entre le registre modernisateur appliqué à l’administration et celui de la pédagogie » telle qu’elle est comprise par le Ministère (Aebischer, 2014). L’autonomie des établissements, renforcée par la réforme du collège, en représente un cas idéal typique. Des évolutions lourdes et non maîtrisées par l’institution Le malaise enseignant trouve en partie sa source dans une évolution impulsée depuis longtemps par la rue de Grenelle, et amplifiée à partir de Benoit Hamon. Un certain nombre de mesures concourt à modifier le climat dans les classes et à interroger le sens du travail réel des professeurs : l’inclusion, la suppression des notes pour éliminer toute sélection scolaire, l’interdiction du redoublement, la promotion d’une école bienveillante (ce qui en creux signifie le rejet de la discipline scolaire)... Toutes progressistes, justifiées par des études scientifiques, promues depuis longtemps par des militants pédagogiques, leur addition fait système et dessine un horizon problématique qu’il revient aux enseignants de gérer. La suppression de toutes les barrières destinées à préserver le niveau aboutit au passage automatique de classe en classe. Ce qui enlève un argument de poids aux enseignants pour obtenir un minimum d’efforts des élèves, d’autant qu’ils sont de plus en plus dépourvus de moyens de sanction. Seul le levier de la conviction, de l’intérêt pour le savoir scolaire subsiste. La signification de la présence dans une classe se modifie donc : les élèves sont là parce qu’ils ont l’âge requis, quel que soit leur niveau et leur implication. Les cas les plus extrêmes peuvent désormais suivre une scolarité « normale » sans avoir appris leur métier d’élève, au contraire. Comment imaginer que des adolescents tolèrent passivement leur décalage avec l’offre d’enseignement, qu’il provienne de leur rejet des contraintes de la relation pédagogique collective ou de leur incompréhension totale du contenu des cours ? Comment transmettre le goût du travail dans ces conditions ? Certes, on pouvait espérer que les enseignants réussissent à gérer cette situation au moyen de méthodes pédagogiques plus modernes, mais force est de constater que ce n’est pas le cas au plan global. On songe alors au film d'Arthur Hiller (Ras les profs ! ou Teachers, USA, 1984), qui décrit un lycée dans lequel les professeurs ont abandonné l'idée d’enseigner à leurs cancres d’élèves et leurs délivrent néanmoins des diplômes pour satisfaire aux évaluations municipales, jusqu’à ce qu’un ancien élève illettré et néanmoins diplômé intente un procès. Un résultat inquiétant de l’enquête PISA ne provoque curieusement guère de débat : la France est le pays où le climat de discipline est le plus dégradé au sein de l’OCDE, cet indice ayant chuté à partir de 2000, sous Claude Allègre. Je ne prétends pas en quelques lignes faire le tour du dilemme entre laxisme et autoritarisme. L’école de Jules Ferry – qu’on idéalise tant - s’autorisait à sélectionner dès l’entrée, sur la base de tests de QI. Les punitions corporelles, interdites, étaient pourtant encouragées par les familles. Aujourd’hui, le quotidien de nombre de classes est perturbé par quelques élèves, sans qu’on ne dispose de solution, puisque leur exclusion est désormais exceptionnelle. Bien rares sont les établissements qui instaurent une réflexion collective sur ces questions, la pédagogie institutionnelle est méconnue. Pour faire respecter le cadre éducatif, les personnels (enseignants, conseillers principaux d’éducation et chefs d’établissement, très mobilisés sur ces questions) sont dépourvus d’outils efficaces. Une société de plus en plus dure, inégalitaire, rêve d’un enseignement bienveillant sans s’en donner les moyens, matériels et organisationnels. Il serait temps de mettre en pratique le beau slogan du Cercle de Recherche et d'Action Pédagogiques (CRAP) : « changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société » ! Entre un système éducatif autoritaire, triant les élèves et sûr de sa légitimité et un système ouvert, flexible, bienveillant (et coûteux, si on en juge par le cas finlandais), la France est au milieu du gué. Et ses enseignants (du public, car dans le privé l’écrémage des élèves accentue la ségrégation et modifie la problématique) sont sommés de résoudre eux-mêmes ces contradictions en renouvelant leurs méthodes, sans appui institutionnel sérieux. Bien sûr, les décideurs proposent régulièrement de ressusciter la formation professionnelle, dans l’espoir un peu naïf d’enseigner les « bonnes pratiques » que les enseignants appliqueront avec zèle. L’Education Nationale dédaigne des méthodes d’accompagnement employées avec profit par d’autres métiers de la relation à autrui : groupes de parole, soutien personnalisé, supervision des pratiques par des intervenants extérieurs dont la posture valorise le non-jugement (et surtout pas par le supérieur hiérarchique !)… Comment s’étonner dans ces conditions que tant d’enseignants reproduisent des schémas élitistes, une nostalgie inutile ? Françoise Lantheaume en conclut que « le métier vit une crise d’adaptation. Les enseignants ont du mal à définir collectivement le projet qu’ils doivent porter. » (3) Conclusion « On voulait un ministre, on a eu un philosophe » lançait Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp FSU (4). Confrontée à des défis redoutables, une ambition trop grande génère de la déception. Pour réussir, la Refondation devait unir les forces favorables à la démocratisation de l’école sur un projet nouveau et forgé en commun. Une impulsion ministérielle ne pouvait suffire, la Refondation devait aussi déclencher une dynamique d’engagement à la base, fédérer les énergies enseignantes dans une démarche bottom/up. Il eut fallu pour cela des moyens, essentiels pour recruter, compenser les efforts des personnels et pour les accompagner dans l’amélioration de leurs pratiques d’enseignement. Il eut fallu une relance du dialogue social, non seulement au sommet mais à tous les échelons. Il eut fallu se risquer sur le terrain du travail, pour co-construire de nouvelles régulations, un meilleur rapport aux usagers. Le départ de Vincent Peillon a montré la force des contradictions à l’œuvre et sonné le glas de cet espoir. La deuxième période du quinquennat a vu le triomphe d’une conception plus classique, celle d’un bloc réformateur qui cherche à vaincre les résistances d’un personnel jugé conservateur et corporatiste, dédaigneux de l’intérêt de l’enfant. Celle d’une alliance entre visées pédagogiques et managériales. Cette division, cette accentuation des clivages est pain bénit pour l’actuel ministre et ses projets libéraux-conservateurs. 1 La réforme du collège a été adoptée largement par le CSE, mais les syndicats hostiles représentaient 80 % des PLC. Celle des rythmes n’avait enregistré aucun vote favorable des syndicats de PE. 2 «On appliquera la réforme du collège dans le privé, bien sûr», interview de Claude Berruer par Marie Piquemal, Libération, 18 mai 2015 3 Mal-être des enseignants : « La profession a besoin de retrouver un sens collectif », interview par Charlotte Chabas, Le Monde, 4 septembre 2017. 4 « Le style « Peillon », un certain flou », Le Monde, 2 septembre 2013, Maryline Baumard. Bibliographie Aebischer, S. (2014). Une réforme sans expert ? L'exemple du Ministère Jospin (1988-1989). Carrefours de l'éducation, 37, 47-61. Durpaire, F. & Mabilon-Bonfils, B. (2014), La fin de l'école. L'ère du savoir-relation. Paris : Presses universitaires de France. Farges, G. (2011). Le statut social des enseignants français. Revue européenne des sciences sociales, 49-1. Frajerman, L. (2007) La Fédération de l’Education Nationale face aux enjeux de l’école moyenne sous la IV° République. Cartographie d’un débat. Revue française de pédagogie, 159, 69-79. Frajerman, L. (2014). Entre collaboration et contrepouvoir : les syndicats enseignants et l’État (1945-1968). Histoire de l’éducation, 140-141, 73-91. Frajerman, L. (2017). Comment les enseignants sont passés du soutien ambivalent au rejet de la réforme des rythmes, theconversation.com. https://theconversation.com/comment-les-enseignants-sont-passes-du-soutien-ambivalent-au-rejet-de-la-reforme-des-rythmes-82794 Gauthier, R.-F. (2014). Ce que l'école devrait enseigner. Pour une révolution de la politique scolaire en France. Paris : Dunod. Honneth, A. (2006). La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique. Paris : La Découverte.
- Engagement, militantisme | L. Frajerman
Publications sur le syndicalisme, le militantisme politique et associatif, les valeurs des enseignants. De la IIIe République à nos jours. Engagement/militantisme Recherche Militens Recherche Livre : syndicalisme enseignant sous la IVe République Présentation et livre gratuit Article scientifique L’engagement des enseignants (1918-1968). Figures et modalités Histoire de l’éducation , n° 117, 2008, 57-96 Lire Article scientifique Entre collaboration et contrepouvoir : les syndicats enseignants et l’État (1945-1968) Histoire de l’éducation , n° 140-141, 2014, 73-91 Lire Livre : La FEN (1928-1992). Histoire et archives en débat Présentation et livre gratuit Expertise Interview "Voter reste utile aux enseignants" cafepedagogique, 1 décembre 2022 Lire Article Le vote FN des enseignants, une bulle médiatique ? 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Libération , 11 septembre 2023 Lire Interview “La réduction du pouvoir syndical dans la fonction publique agit comme un poison lent” Acteurs Publics , 15 décembre 2022 Lire Interview « L’enseignement est un des seuls secteurs où la gauche est majoritaire et l’extrême droite très faible » AEF dépêche 669853, 18 mars 2022 Lire (€) Interview L’engagement des enseignants : entre mutation et continuité U & A Enjeux , n°268, mars 2021 Lire Interview Militens , une enquête sur l’engagement enseignant L’Ecole Emancipée , n° 76, mars 2019 Lire Interview Dans l’éducation, comme ailleurs, chaque génération invente ses propres modes d’action Le Monde , 18 février 2019 Lire Interview Les syndicats enseignants corrigés par les "stylos rouges" ? L’Express , 8 janvier 2019 Lire Interview « "Non, l'école n'est pas raciste" : un enseignant interpelle la Primaire populaire » L’Express , 27 janvier 2022 Lire Article Un siècle d'union et de désunion syndicale Enjeux-UA , n°285, janvier 2024 Lire Contribuer à transformer la société en respectant l’indépendance syndicale ? L'indépendance syndicale est en mutation. Comment collaborer avec les partis et associations sans être clivant ? Laurent Frajerman 11 déc. 2024 La conception de la démocratie syndicale chez Unité & Action (FSU) L'officialisation du pluralisme interne est une spécificité de la FSU. Unité et Action est le courant de pensée majoritaire. Quelle est sa c Laurent Frajerman 16 mars 2024 Chapitre d'ouvrage Représentation et prise en compte du pluralisme dans le syndicalisme français : l’originalité de la FEN (1944-1968) Frajerman et al (dir.), La FEN (1928-1992): histoire et archives en débat , 2010, 141-151 Lire Article scientifique Paradoxes et usages de l’indépendance syndicale. Le cas de la FEN sous la IV° république La Pensée , n° 352, octobre-décembre 2007, 51-62. Lire Chapitre d'ouvrage Enseignants “unitaires” et CGT : les prémices d’un divorce Bressol, Dreyfus, Hedde, Pigenet (dir.), La CGT dans les années 1950 , 2005, 145-156. Lire Radio-Vidéo France Culture, Etre & savoir , 18 avril 2022, « L'éducation entre deux tours » France Info, 5 février 2020, E3C, esprit frondeur Lire la vidéo Toutes les vidéos Recherche Article scientifique Le rôle de l'Internationale des Travailleurs de l'Enseignement dans l'émergence de l'identité communiste enseignante en France (1919 - 1932) Cahiers d'Histoire, Revue d'Histoire Critique , n° 85, 2001, 111-126 Lire Chapitre d'ouvrage Comment défendre la laïcité scolaire à la Libération ? Les tensions de la FEN Weil P. (dir.), Politiques de la laïcité au XXe siècle , 2007, 463-480 Lire Article scientifique L’histoire des intellectuels communistes en débat La Pensée , n° 344, octobre-décembre 2005, 69-74 Lire Chapitre d'ouvrage Avec André Narritsens : "Fédéralisme et démocratie syndicale : l’exemple de la FEN et de la CGT" Magniadas J., Mouriaux R. (dir.), Le syndicalisme au défi du XXIe siècle , 2008, 63-77 Lire Chapitre d'ouvrage La FEN et Force Ouvrière : proximité culturelle et rupture politique (1950-1970) Dreyfus et Pigenet (dir.), Les meuniers du social. Force ouvrière, acteur de la vie contractuelle et du paritarisme , 2011, 149-161 Lire Syndicalisation et professionnalisation des associations professionnelles enseignantes entre 1918 et 1960 D. Tartakowsky et F. Tétard (dir.) Syndicats et associations : Concurrence ou complémentarité ? , Rennes, PUR, 2006. L'originalité du syndicalisme enseignant provient d'abord de son origine : la transformation d'associations professionnelles en syndicats. Le processus de syndicalisation s'inscrit dans un processus plus large, la professionnalisation des métiers enseignants. Lire
- Bac : tribune Le Monde | Laurent Frajerman
Tribune parue dans Le Monde sur la réforme du Baccalauréat et le contrôle continu. Tribune dans Le Monde , 23 juin 2020 Baccalauréat : “Pourquoi il ne faut pas pérenniser le contrôle continu” « Si le bac peut être obtenu à la faveur d’une notation de proximité, il n’est plus le bac », estime, dans une tribune au « Monde », l’historien et spécialiste de l’engagement enseignant Laurent Frajerman. A l’heure où les jurys de baccalauréat se réunissent, la réforme initiée par M Blanquer n’est quasiment pas entrée en vigueur, du fait de la pandémie et des difficultés de la première session des E3C (sorte de partiels). Elle apparaît d’autant plus fragilisée qu’elle suscite de fortes oppositions, de la part de la presque totalité des organisations représentatives des enseignants, élèves et parents. Mais que faire en cas de refonte ? Faut-il pérenniser le choix fait à l’occasion du confinement, le contrôle continu ? Le bac, critiqué pour sa lourdeur, existe pourtant depuis 1808 et a traversé maintes crises majeures en conservant son principe : un examen national de fin de cycle, ouvrant sur l’enseignement supérieur, avec des sujets et des corrections indépendants de l’établissement, garants de leur objectivité. Dans un rapport de 2016 du Conseil national d’évaluation du système scolaire, Nathalie Mons soulignait que « le modèle français du baccalauréat est devenu dominant dans l’OCDE » car il permettait « une évaluation des acquisitions réelles des élèves qui soit de plus harmonisée au niveau national. » Cependant, petit à petit, il a été vidé de sa substance : les taux de réussite s’envolaient ; avec Parcoursup, l’entrée dans le supérieur était acquise avant même son obtention. Les élèves, informés de ces évolutions, continuaient néanmoins à travailler, preuve de la force du rite. Un consensus pour le changement Lorsque M Blanquer prend ses fonctions, le bac conserve un poids symbolique, mais l’opinion valide à 77 % « l'introduction de contrôle continu au bac » (sondage BVA, 2017 ). Lorsque le questionnaire représentatif Militens (2017, FSU, CERAPS et DEPP du ministère de l’Éducation nationale) propose aux professeurs du second degré une alternative binaire : « Il faut remplacer totalement le baccalauréat par du contrôle continu », 69 % optent pour le bac. Ce choix est largement majoritaire dans toutes les sensibilités du corps enseignant, même parmi les proches des organisations syndicales réformistes (SE-UNSA et SGEN-CFDT). Quand l’interrogation offre un plus grand nuancier (sondage IPSOS/SNES-FSU, 2018 ), on constate toujours un appui à l’examen national, mais l’idée d’introduire une part de contrôle continu recueille 43 % de soutien, et domine parmi les proches des syndicats réformistes (53 %). La proposition du SNES FSU, syndicat majoritaire, d’une modernisation des « épreuves terminales sans introduire de contrôle continu » recueille 42 % d’approbation dans la profession. Le consensus qui se dégage porte donc sur un allègement du bac, avec un débat sur la part de contrôle continu à introduire. Un compromis bancal La réforme de M Blanquer voulait résoudre cette quadrature du cercle grâce à un empilement de modalités de certification (10 % de contrôle continu, 30 % d’E3C, 60 % d’épreuves terminales) dont les limites sont rapidement remontées du terrain. Les E3C représentent une synthèse bancale : un contrôle continu qui doit être cadré par des épreuves de type examen (correction par un autre enseignant, anonymat). Or, les épreuves se déroulent dans l’emploi du temps habituel, ce qui a alimenté les soupçons de fraude, d’autant que les sujets, choisis localement dans une liste nationale réduite, ont vite circulé sur les réseaux sociaux . En outre, une couche d’examen supplémentaire est superposée sur le rythme normal. Avec un calendrier étalé sur deux ans au lieu de quelques semaines, la dénonciation du bachotage, argument fondamental contre le bac, aboutit paradoxalement à son renforcement. La critique de cette architecture est généralisée, de l’inspection générale, fait rare , aux parents qui regrettent sa complexité en passant par les chefs d’établissements, chargés d’organiser un examen très lourd. Preuve est faite qu’on peut dépenser autant, voire plus d’argent et d’énergie qu’avec le bac traditionnel, qui avait l’avantage de mutualiser. Notons que le passage de l’ensemble des examens au contrôle continu du fait de la pandémie a débouché sur de faibles économies (60 millions d’euros, un millième du budget du MEN). Enfin, le calendrier des épreuves nationales pose question : les examens terminaux des spécialités sont placés en fin de 2nd trimestre, pour intégrer leurs résultats dans Parcoursup. Reste en fin d’année la philosophie et le grand oral, qui ne comptent que pour 18 % de la note et se trouvent marginalisées. Autant dire que l’assiduité n’est pas acquise au troisième trimestre. Les impasses du contrôle continu Le bac traditionnel ne parvenait pas à empêcher le développement d’un marché scolaire , il ne contrait qu’imparfaitement la concurrence entre établissements et les inégalités entre élèves. Ce constat est utilisé pour proposer de supprimer cette digue insuffisante, au risque d’aggraver le phénomène. Or, le contrôle continu reproduit les inégalités sociales territorialisées, est sensible au jugement porté par l’enseignant sur l’élève et contribue à augmenter artificiellement les notes. On le voit avec la réforme du lycée qui instaure une compétition entre disciplines, tentées d’adopter une notation généreuse pour capter les élèves vers leur spécialité. Les systèmes de notation varient déjà beaucoup, avec des lycées prestigieux, où l’élitisme est une valeur, et à l’autre bout du spectre des établissements populaires ou privés. D’ailleurs, Parcoursup permet de pondérer la moyenne des élèves en fonction de leur établissement. Seul un examen national garantit le principe d’égalité dans ces circonstances, ce qui explique les mobilisations récurrentes des lycéens de banlieue en sa faveur. Pour conjurer ces défauts, les partisans du contrôle continu promettent de le réguler, mais est-ce possible ? Les inspecteurs sont trop peu nombreux pour cadrer les notes sur le terrain. Miser sur la formation, parent pauvre de l’Education nationale, renverrait aux enseignants la responsabilité d’un problème systémique. Car leurs notes dépendront de la pression sociale qui sera exercée sur eux par les usagers, leurs collègues, mais aussi leur proviseur, soucieux du classement de son lycée. Pour le ministre, il ne fallait pas laisser penser que l’allègement signifie la fin d’un totem. Or, à l’été 2019, la “grève du bac” l’a amené à assumer son choix d’une épreuve locale, en remplaçant les notes retenues par les grévistes par celles de l’année. Aller dans ce sens en convertissant tous les E3C en contrôle continu constituerait certes un choc de simplification, mais semble dangereux. Si le bac peut être obtenu à la faveur d’une notation de proximité, il n’est plus le bac. Une autre option serait de revenir aux fondamentaux, en introduisant des éléments de souplesse qui ne le dénaturent pas, et en intégrant Parcoursup dans la réflexion. Laurent Frajerman
- Militens | Laurent Frajerman
Recherche sur le rapport à l’engagement des enseignants et l’impact du militantisme. Questionnaire représentatif. Militens Une recherche sur le rapport à l’engagement des enseignants et l’impact du militantisme Entre 2014 et 2019, l’enquête Militens a montré la persistance de l’engagement enseignant. Centrée sur l'objet syndical, mais abordant aussi l'investissement dans les associations, elle a analysé ce qui prédispose à l'engagement : représentations politiques, sociabilité, socialisation etc. Un questionnement sur les formes contemporaines du militantisme et leur impact est à l’origine de cette recherche. Les militants sont des interfaces entre le syndicat et les enseignants, auprès de qui ils incarnent l’organisation. Si l’adhésion passe par le contact, paradoxalement, le syndicalisme enseignant n’est pas vraiment un syndicalisme de proximité. Beaucoup d’établissements étant dépourvus de militants, le travail syndical quotidien se fait surtout dans un local et auprès des administrations. J'ai fondé cette recherche avec trois syndicats de la FSU (SNUipp, SNEP et SNES). Elle comprend un questionnaire représentatif, rempli par 3 278 enseignants du premier et du second degré. en collaboration avec la DEPP (service statistique du ministère) et un laboratoire de sciences politiques, le CERAPS /Université de Lille. Avec Gérard Grosse et Georges Ortusi, nous avons publié une première synthèse des résultat s . Divers travaux continuent d'utiliser le matériau accumulé. L’analyse de la syndicalisation a été déclinée en deux thèmes complémentaires : Le regard des enseignants sur l’organisation, les raisons qu’ils ont de se syndiquer ou non, et plus profondément leur rapport à l’action du syndicat, L’activité déployée par le syndicat en direction de sa base, ses stratégies pour convaincre, recruter et fidéliser les enseignants. Sur le plan théorique, cette recherche entend contribuer à la réflexion sur l’engagement contemporain et s’inscrit dans le sillage des nombreuses études américaines sur les démarches d’organizing . Phase qualitative L’équipe a procédé à une centaine d’entretiens approfondis avec des enseignants du premier et du second degré et à une série d’observations ethnographiques de réunions syndicales. Il s’agissait de mieux comprendre les manières d’agir des syndicalistes pour répondre à des défis tels que le renouvellement générationnel, l’articulation entre engagement pour l’organisation et aspirations personnelles, les difficultés de syndicalisation… Cette recherche action s’est appuyée sur les équipes locales qui ont accueilli les chercheurs, les ont invités à leurs réunions, les ont aidé à contacter des enseignants, syndiqués ou non. Sections concernées : SNES (académies d’Aix-Marseille, Orléans-Tours et Rouen), SNUipp (départements du Bas-Rhin, des Bouches-du-Rhône et de la Somme), SNEP (académie du Nord-Pas de Calais, département de la Loire) Phase quantitative Sous la responsabilité scientifique de Laurent Frajerman et Jean-Gabriel Contamin (CERAPS). Les 300 variables du questionnaire avaient pour objectif d’analyser les relations entre les visions du monde des enseignants, leurs rapports au métier et à l’action du syndicalisme enseignant. Les réponses ont été recueillies entre mai et décembre 2017, à partir d’un échantillon aléatoire stratifié de 13 000 enseignants fourni par la DEPP. Le CERAPS a procédé à des rappels par mail et par courrier. Le taux de retour est de 25 %. Aucun biais ni problème de cohérence n’a été décelé. Le taux de syndicalisation des répondants correspond globalement aux données dont dispose l’équipe. Pour le traitement de l’enquête, la proportion des professeurs d’EPS a été multipliée par trois pour obtenir une base suffisante (420 réponses). L’échantillon du Nord Pas de Calais est également plus important pour faciliter la comparaison avec l’enquête Engens (CERAPS 2007). Lors des traitements statistiques, un redressement permet d’avoir un échantillon fidèle.
- La syndicalisation, un champ d'innovation (Militens)
La syndicalisation est peu pensée par les militants en France, contrairement aux USA. Cet article synthétise les premiers résultats de la recherche Militens. Laurent Frajerman, "La syndicalisation : un champ d’expérimentation et d’innovation" Introduction à Regards Croisés n°26, avril-juin 2018, 9-14 Cet article introduit un dossier consacré à l'impact du militantisme sur la syndicalisation, qui a permis à l'équipe de la recherche Militens de faire un premier bilan de son travail. Le thème de la désyndicalisation connaît une grande fortune éditoriale et a été adopté par de nombreux militants, qui y trouvent une grille d’explication de la difficulté de leur travail (1). Les temps sont durs pour le combat syndical, dont l'efficacité est minée par l'offensive néo libérale, le contexte de crise économique et sociale, un environnement politique défavorable. Ajoutons le poids d'évolutions sociétales qui aboutissent à la raréfaction de l’adhésion inconditionnelle. Le risque existe donc pour les syndicats de connaître le même sort que les églises : believing without belonging (2). Pourtant, la théorie d’une crise du syndicalisme néglige les facteurs explicatifs de la persistance du fait syndical et les éléments de dynamisme. Les facteurs exogènes compliquent la tâche des organisations, mais ne la rendent pas impossible. D'autant que des facteurs endogènes comptent, même s'ils sont souvent refoulés dans le discours ambiant. Loin du fatalisme dominant, rien n’interdit de développer des stratégies pour lutter contre ces causes, dans une optique volontariste. Dans le monde, ce constat a suscité des campagnes de syndicalisation non dénuées de résultat, et qui créent les conditions d’une combativité nouvelle. Le syndicalisme des USA, avec son pragmatisme coutumier, a appliqué les méthodes du marketing à l’organizing. Il a consacré des moyens durables à cet objectif, utilisant des militants souvent diplômés, étrangers aux publics ciblés, qui s’intéressaient tant au recrutement qu’à la fidélisation. L’exemple le plus célèbre est la campagne Justice for Janitors , sujet du film de Ken Loach, Bread and Roses . En France, la CFDT a mobilisé entre 1985 et les années 2000 des développeurs dont le travail de longue haleine a permis de syndiquer une partie de l’électorat cédétiste, et de compenser ainsi les vagues de départs de l’aile gauche (3), au fil de ses renoncements devant des contre-réformes. Il ressort de cette expérience « que l'attitude des militants - autant les services qu'ils rendent que la posture qu'ils adoptent (respect, écoute, humilité) - apparaît comme un vecteur essentiel de l'adhésion syndicale » (4). Le travail méticuleux d’implantation de la CFDT lui permet désormais de menacer la position historiquement dominante de la CGT. Celle-ci a beau être combative, fournir les gros bataillons des manifestations, sa mauvaise structuration l’empêche d’exploiter son potentiel. Ajoutons que les tentatives réussies ne sont guère pérennisées et mutualisées (5), par manque de volonté stratégique de la confédération (6). Notre équipe a donc choisi d'analyser la syndicalisation, d’interroger les moyens que le collectif met en œuvre pour gagner et conserver des membres. Ce projet repose sur une idée force : pour comprendre la désyndicalisation, il faut analyser le rapport des non-syndiqués et des syndiqués « de base » aux militants, leur perception de l’organisation et de ceux qui la représentent, mais aussi et réciproquement, les stratégies déployées par le syndicat envers ces fractions du corps enseignant. L’étude des difficultés de syndicalisation est donc indissociable de celle de l’activité militante et de ses paradoxes. Notre terrain est le syndicalisme enseignant, qui reste aujourd’hui l’un des rares exemples en France de syndicalisme d’adhérents, et non d’électeurs. Si seulement un peu plus de 10 % des salariés sont syndiqués, la proportion est double dans la fonction publique et le taux de syndicalisation des enseignants approche les 30 % (7). Mais la FSU, marquée par l'héritage de la FEN, tient inconsciemment pour acquis que les personnels susceptibles de se syndiquer le feront spontanément. De ce fait, les militants naturalisent leurs pratiques et ne posent guère de diagnostic, aussi bien dans les sections en déclin que dans celles en progrès. Historique de la désyndicalisation enseignante Depuis la création des amicales, sous la IIIe République, puis leur transformation en syndicats dans les années 1920-1940, la norme pour les enseignants est d’appartenir à l’organisation corporative. Sous la IVe République, 80 % au moins des instituteurs sont membres du SNI et 50 % des professeurs au SNES. L’adhésion sert à créer du lien social, à se protéger contre l’administration et les élus locaux, à affirmer son identité professionnelle (8). Mais ce système décline depuis mai 1968. La désyndicalisation touche la FEN à partir de 1976, quelle que soit la tendance en responsabilité. Elle est accentuée par les déceptions générées par la victoire de François Mitterrand. Au début, la baisse en pourcentage est masquée par la hausse en volume, en raison de la hausse des effectifs enseignants. En 1993, la scission de la FEN aboutit à une chute du taux de syndicalisation dans le premier degré, masqué par le dynamisme du SNUipp FSU naissant. Mais l’essor de la FSU est arrêté par la confrontation avec le ministre Claude Allègre, qui a su exploiter ses failles (notamment les divisions entre syndicats) (9). Depuis, le SNES a perdu un tiers de ses effectifs, alors que le SNEP et le SNUipp ont stabilisé le leur, malgré quelques aléas. Depuis quatre ans, ces syndicats voient leurs effectifs progresser modérément, voire plus dans le cas du SNUipp. On peut attribuer la hausse de 8 % de son nombre d’adhérents à une victoire syndicale : la création d’une indemnité, l’ISAE, puis sa mise au niveau de l’ISOE des enseignants du second degré. Les atouts du syndicalisme enseignant La persistance du fait syndical s’insère dans une cohérence globale : les enseignants manifestent également une surconflictualité et une politisation nettement plus à gauche que la moyenne. 30 % des enseignants environ se reconnaissent dans la droite et le centre droit. Ils ressentent un décalage inévitable avec le positionnement du syndicat, et l’expriment par vives critiques contre la politisation syndicale. Paradoxalement, la syndicalisation pourrait être nettement plus importante : en effet, pas moins de 24 % des PLC et 23 % des PE sont prêts à se syndiquer (3 % « j’y pense sérieusement » et le reste « c’est possible »). Les non-syndiqués se décomposent en trois groupes : ceux, le plus souvent ex-syndiqués, qui restent dans la sphère d’influence d’une organisation précise, ou du syndicalisme en général, les ex-syndiqués qui s’en sont éloignés et enfin ceux qui n’ont jamais été syndiqués, pour lesquels on peut évoquer un hiatus avec l’univers syndical (ceux-ci font moins grève et votent moins aux élections professionnelles). Phénomène lié : loin du stéréotype du vieillissement des cadres syndicaux, la FSU a réussi à renouveler son corps militant. Elle trouve de nouveaux responsables à un rythme qui s’accélère à cause du turn-over : le souci de nombreux responsables de section, à peine nommés, est de trouver un successeur. Il reste qu’en pratique, le militantisme est souvent réservé aux déchargés (Georges Ortusi et Gérard Grosse). Élargir le noyau militant, faciliter des itinéraires non linéaires s’avère difficile. L'engagement résulte d’un ajustement entre une histoire personnelle et une organisation. Dans les parcours militants, on valorise désormais la recherche de sens, la réalisation de soi et l'autonomie (11). La moitié des syndiqués envisagent de participer davantage à l’activité de leur organisation si on le leur propose. Mais comment les solliciter ? Quelle tâche leur confier pour reconnaître leurs attentes et leurs compétences ? Une crise inéluctable malgré tout ? Une des explications fortes de la désyndicalisation est la mutation de l’engagement, liée à la mise en place d’une société des individus. Jacques Ion a popularisé l’idée d’une opposition entre deux modèles d'engagement dans la vie de la cité : l'ancien, militant, où l'individu adhère totalement à l'organisation qu'il sert et le nouveau, distancié, où l'individu se sert de l'association comme d'un outil pour mener une action limitée dans le temps. Au militantisme total correspondrait le timbre de la carte d’adhérent (qui suppose qu’on adhère fortement au groupe), tandis que le militantisme distancié serait symbolisé par le post-it, facilement décollable, que l’on peut successivement apposer sur une multiplicité de supports (12). Ce schéma est discuté, tout comme la thèse d’une montée de l'individualisme, mais il a pour intérêt de pointer un problème structurel du syndicalisme, fondé sur la pérennité, la structuration permanente d’une révolte sociale, ce qui le rend sensible à la remise en question des institutions (13). Toutefois, l’individu contemporain fuit certes les liens forts, indéfectibles, mais en multipliant les liens faibles (14). L’adhésion à un syndicat ne ressort-elle pas de cette catégorie (Gérard Grosse) ? Même dans la période où la FEN était hégémonique, cela ne signifiait pas une approbation sans réserve à son action. La participation aux réunions de ses très nombreux adhérents était faible, les militants ne cessaient de se plaindre de l’atonie de leurs troupes. L’adhésion peut apparaître parfois plus comme une assurance qu’une forme d’engagement. Le héraut du syndicalisme révolutionnaire, Pierre Monatte, ne supportait pas cette conception : « Le syndicat n’est aux yeux de beaucoup qu’une société protectrice, non des animaux bien sûr, mais des travailleurs sans courage. On paye sa cotisation syndicale comme on règle sa feuille d’impôts. » (15) Les techniques d’enquête sociologique nous éclairent à propos de l’opinion des syndiqués sur leur organisation, et notamment de l’hypothèse d’une adhésion strictement utilitaire : On constate l’ancienneté du phénomène de l’appartenance syndicale distanciée, puisqu’en 1978, la moitié des syndiqués considéraient que leur organisation ne jouait pas toujours un rôle positif dans un domaine crucial (voire jamais pour 11 % d’entre eux). On aurait pu imaginer que la baisse du nombre de syndiqués concernerait cette frange moins attachée à leur organisation, et n’impacterait pas l’influence des syndicalistes sur le milieu. Ces sondages attestent au contraire d’une évolution parallèle, le pourcentage d’enseignants estimant que le syndicalisme joue un rôle positif sur le plan éducatif est divisé par deux, au moment où la FEN subit une hémorragie de ses effectifs. Ce qui prouve que l’acte d’adhérer est performatif : choisir de franchir la frontière entre ceux qui font partie du syndicat et ceux qui regardent son action avec sympathie a du sens (Marie-Amélie Lauzanne). Outre l’inclusion dans un groupe, l’adhésion offre évidemment à l’organisation la possibilité de solliciter directement ses adhérents. Même si le statut de syndiqué signifie surtout qu’on paie une cotisation, qu’on est en contact officiel avec l’organisation, se syndiquer n’est pas anodin, et peut être l’amorce d’une conscientisation plus intense, d’un militantisme. Ce constat se vérifie au moment des élections professionnelles (Tristan Haute). Contrairement à ce qu’annoncent les Cassandre depuis des décennies, le lien entre les enseignants et leur syndicalisme ne rompt pas, parce qu’il remplit efficacement sa fonction principale. Il est vécu comme une institution et en tire puissance et légitimité. Les enseignants expriment une demande de syndicats protecteurs et en capacité de leur donner le mode d’emploi d’un système administratif opaque. Pour autant, ils souhaitent aussi davantage d’horizontalité, être impliqués dans les choix stratégiques. Dès les années 1980, l'émergence de coordinations témoignait de cette prise de distance de jeunes enseignants avec le SNI et son fonctionnement, jugé bureaucratique (16). Mais le caractère éphémère de ce phénomène montre que la forme syndicale était moins condamnée que certaines de ses manifestations. Les freins à la syndicalisation La désyndicalisation est aggravée par certains comportements militants. Une approche syndicale trop agressive, trop insistante est décrite comme répulsive, d’autant que la profession évite les questions syndicales ou politiques lorsqu’elles apparaissent comme un facteur de division. Agnès (professeure d’Anglais, 56 ans) a quitté le SNES parce que ses représentants s’exprimaient « de manière limite », étaient trop tranchés. Mais le reproche inverse existe aussi, car les collègues comptent sur la pugnacité de leurs syndicats. Agnès trouve ainsi les actuels militants SNES du lycée « trop mous », sympathiques, mais « trop consensuels ». Aller au contact des collègues requiert donc des talents d’équilibriste, ce qui ne va pas de soi. Il est pourtant essentiel dans une stratégie de développement syndical d’éviter le repli sur le local et les tâches institutionnelles. Cela dit, il est impératif aussi de maintenir un service efficace à une profession habituée à cette démarche. Les sections qui se développent ont pour point commun de déployer un travail régulier qui porte ses fruits. Fréquemment, elles misent sur l’accompagnement des stagiaires et n’hésitent pas à téléphoner aux ex-adhérents. Mais rares sont celles qui rationalisent leur travail, en tenant des listes à jour, en profilant les envois de mail, en choisissant des cibles pour les visites sur le terrain, par exemple les déserts syndicaux. Les réticences à proposer l’adhésion proviennent d’un sentiment d’illégitimité et d’un obstacle culturel : dans les sections, la syndicalisation est d’abord appréhendée par le prisme financier. Le trésorier fait un point rapide en début ou en fin de réunion sur l’évolution des effectifs. Nous n’avons guère observé de discussion politique sur ce qui ressemble à un exercice comptable. Or, la confusion trésorerie/syndicalisation ne permet pas de donner du sens. Un enseignant qui se syndique n’est pas vu comme accomplissant un acte politique, comme renforçant la puissance et l’attractivité de l’organisation. Quelques militants envisagent l’adhésion sur le mode du « pied dans la porte », une opportunité pour l’organisation d’amener les collègues à intensifier leur engagement. Mais généralement, il s’agit plutôt de récupérer de l’argent, ce qui provoque la gêne de certains militants rétifs à une démarche assimilée à celle d’un commercial. Un rapport instrumental à l’institution syndicale La cotisation syndicale est mise par certains enseignants en équivalence avec un don à une association caritative : « j’arrive encore un peu à donner aux... Médecins du Monde, ce genre de choses, et donc le syndicat (…) c’est ce qui passe à l’as. » (Héloïse, 40 ans, PE). Ce type d’adhérent potentiel investit très peu l’organisation syndicale, il est prêt à payer des professionnels de la représentation et de la défense du corps, plus qu’à participer à l’action collective. Les militants aiment raconter des anecdotes sur ces attitudes consuméristes, qui entrent en résonnance avec leur propre tendance au clientélisme. L’observation des permanences syndicales a mis à jour un cercle vicieux : généralisant les comportements utilitaires de certains de leurs interlocuteurs, ils renoncent aux explications plus globales, au rappel des causes de leurs difficultés et se concentrent sur l’explicitation des règles administratives. Ce discours technique répond à l’attente d’information des enseignants, mais les conforte aussi dans une représentation institutionnelle du syndicat. Ainsi pratiqué, le service syndical n’est pas complémentaire de la lutte. Le cas du lycée étudié par Camille Giraudon montre que des enseignants peuvent apprécier l’action du SNES FSU tout en cherchant un équilibre. Ils appuient alors l’émergence d’une autre liste, qui rassemble adhérents de petits syndicats et non-syndiqués, en tant que contre-pouvoir asyndical au contre-pouvoir syndical. En valorisant les règles impersonnelles et universelles, qui par définition peuvent être mobilisées par le personnel sans leur intervention, les syndicats de la FSU affaiblissent leur influence sur les carrières et donc la nécessité pour les enseignants de les rejoindre. Toutefois, le syndicat dispense des ressources, des conseils, et s’avère un soutien précieux dans les circonstances délicates. Il peut donc faire jouer les mécanismes de reconnaissance. Conclusion Les expériences de syndicalisation dépendent étroitement du contexte professionnel, national et syndical dans lequel elles ont éclos (Stephan Mierzejewski et Igor Martinache). Quelques principes sont transposables, et vérifiés par notre recherche : le syndicalisme ne peut espérer gagner des adhérents sans repenser leur place dans ses structures et son fonctionnement. Une politique ambitieuse de syndicalisation dépend de l’impulsion de la direction et de sa durabilité. Elle est conçue à partir d’une analyse fine, à laquelle des chercheurs engagés peuvent contribuer. Elle implique des répercussions sur les pratiques militantes, ce qui entraîne le besoin de déconstruire les représentations à tous les niveaux, de tendre vers un syndicalisme réflexif. Si les enseignants disposent des ressources pour s’auto-organiser, ils manquent de vision d’ensemble, ont besoin d’une structure pérenne pour construire les mouvements protestataires qu’ils jugent nécessaires. Le syndicalisme a donc un avenir, à condition probablement de se montrer à la fois efficace et modeste (17). Notes Gérard Grosse, Elisabeth Labaye, Michelle Olivier, Syndicaliste : c'est quoi ce travail ? Militer à la FSU, Paris, Syllepse, 2017. Nicourd, Sandrine. Le travail militant. Rennes, PUR, 2009. Grace Davie, « Believing Without Belonging: Is This the Future of Religion in Britain ? » Social Compass, vol 37, 1990 Cécile Guillaume et Sophie Pochic, « La professionnalisation de l'activité syndicale : talon d'Achille de la politique de syndicalisation à la CFDT ? », Politix, 2009, n° 85. Bruno Duriez et Frédéric Sawicki, « Réseaux de sociabilité et adhésion syndicale », Politix, vol. 63, 2003. Sophie Béroud, « Organiser les inorganisés » Des expérimentations syndicales entre renouveau des pratiques et échec de la syndicalisation », Politix, 2009, n° 85. Interview de Patrick Brody, responsable confédéral de cette question : http://mouvements.info/la-syndicalisation-petite-histoire-dun-enjeu-vital-pour-les-syndicats/ Dares-DGAFP-Drees-Insee, enquête Conditions de travail 2013. Laurent Frajerman, Les frères ennemis. La Fédération de l’Education Nationale et son courant « unitaire » sous la IVe République, Paris, Syllepse, 2014. Antoine Prost et Annette Bon, « Le moment Allègre (1997-2000). De la réforme de l’Éducation nationale au soulèvement », Vingtième Siècle, n° 110, 2011. DARES et MEN pour les grèves (enseignants et ATOSS premier et second degré, compilés par LF). INSEE et DEPP pour les effectifs. Bénédicte Havard Duclos, Sandrine Nicourd, Pourquoi s'engager ? Bénévoles et militants dans les associations de solidarité, Paris, Payot, 2005. Jacques Ion, La fin des militants ?, Paris, L’Atelier, 1997. François Dubet, Le déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002. François de Singly, Les uns avec les autres, Armand Colin, Paris, 2003. Pierre Monatte, Trois scissions syndicales, Paris, Editions Ouvrières, 1958 — p. 5-6. Bertrand Geay. « Espace social et "coordinations". Le mouvement des instituteurs de l'hiver 1987 ».Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 86-87, 1991. Michel Crozier : État modeste, État moderne. Stratégies pour un autre changement, Paris, Fayard, 1987.
- Livre FEN Histoire Archives | Laurent Frajerman
Livre de référence sur l'histoire de la Fédération de l'Education Nationale. Guide des sources. Bibliographie complète. Laurent Frajerman et al. (dir.), La Fédération de l’Éducation nationale (1928-1992). Histoire et archives en débat , Lille, Presses du Septentrion, 2010 Table des matières introduction & conclusion lecture gratuite sur le site de l'éditeur Présentation La Fédération de l’Éducation nationale occupait une place originale dans le paysage syndical français, jusqu’en 1992. Elle s’éteint alors en donnant naissance à l’UNSA Éducation et à la Fédération syndicale unitaire. Elle avait acquis une telle influence politique que les enseignants étaient associés à la définition des politiques éducatives. Cette organisation tirait-elle sa particularité de ce qu’on qualifie volontiers de corporatisme, de sa forte représentativité ou encore de son unité maintenue ? Le dépôt de ses correspondances, comptes rendus de réunions, photographies, enregistrements sonores au Centre des archives du monde du travail permet un nouveau regard. Fruit d’un travail pluridisciplinaire, cet ouvrage reproduit une sélection de documents et comprend une bibliographie exhaustive ainsi qu’une présentation des archives de la FEN. Historiens, sociologues et archivistes ont croisé leurs analyses sur les doctrines et les pratiques du syndicalisme enseignant et les ont confrontées aux avis et témoignages des acteurs, offrant ainsi un éclairage inédit. Comment la FEN parvenait-elle à préserver un univers et un horizon communs tout en s’accommodant d’une diversité de positions revendicatives, d’idéologies, de cultures professionnelles en son sein ? Le jeu des tendances notamment laissait libre cours à un rapport original aux autres organisations (syndicats ouvriers et étudiants, mutuelle…). Cette histoire de la conquête d’une autonomie de la société enseignante marque encore les mobilisations contre les politiques actuelles, que ce livre aide à comprendre. Comptes rendus Histoire de l’éducation N°133 , 2012, p. 126-129. Consulter Carrefours de l'éducation N° 30, 2010 Par Jean-François Condette Consulter Et aussi... Historiens & Géographes n° 413, l’Humanit é, L’Ours n°403... Consulter Revue française de science politique Vol 61 (2), 2011 Consulter Histoire@Politique mars 2011 Consulter
- Axes de recherche | Laurent Frajerman
Présentation des recherches en cours : les politiques éducatives sous le prisme du métier enseignant, le syndicalisme comme outil de l’émergence de véritables corporations, le militantisme et la surconflictualité enseignante Axes de recherche Dossier d'Habilitation à Diriger des Recherches : Enseigner, s’adapter, s'engager : socio-histoire du corps enseignant à l'épreuve des politiques éducatives Mon parcours m’a conduit à adopter une posture hybride entre recherche académique, expertise pour les médias, métier d’enseignant et travail pour le syndicalisme. Il m’a permis d’accumuler un riche matériau, entre observations ethnographiques, archives syndicales et ministérielles, enquête Militens , collection de sondages etc. Je combine donc perspectives historiques et sociologiques, méthodes qualitatives et quantitatives pour étudier l'engagement enseignant dans ses dimensions syndicales et professionnelles. Mon programme de recherche analyse les stratégies d'adaptation des enseignants face aux transformations managériales, selon la typologie Voice-Exit-Loyalty-Apathy . J'interroge ainsi la capacité du corps enseignant à préserver son autonomie professionnelle et à se réinventer collectivement. Mes recherches se structurent globalement autour de trois axes : les politiques éducatives sous le prisme du métier enseignant, le militantisme (dont le syndicalisme) et la surconflictualité enseignante. 1 Les enjeux professionnels qui sous-tendent les politiques éducatives sont généralement traités comme des résistances, suggérant une passivité du corps enseignant. Mon approche est différente et s’appuie sur une collection de sondages et sur l’analyse de questionnaires (Engens en 2007 et Militens en 2017). Comment les enseignants s’adaptent-ils aux mutations du référentiel de leurs métiers, aux évolutions des rapports de pouvoir dans l’institution scolaire ? Que pensent-ils du management, des enjeux pédagogiques ? Par exemple, j'ai pour projet d'étudier la discipline dans la classe ordinaire, dans cette "ère des incidents scolaires" (Anne Barrère). 2 Le militantisme enseignant. Le syndicalisme tire sa force de sa participation à la définition de l’identité professionnelle. Un travail ethnographique dans les sections locales et les structures nationales des syndicats enseignants de la FSU me permet de décrypter cette culture militante et les enjeux liés à sa modernisation (usage des technologies digitales, place des services, animation de l’activité sur le terrain etc.). En étudiant le rapport des militants aux syndiqués comme aux autres enseignants, le volet qualitatif de l’enquête Militens montre que l’institutionnalisation du syndicalisme constitue autant une ressource qu’une faille. L’examen des biographies du Maitron a fait ressortir un archétype du militant. J’analyse son évolution et l’interaction des divers types d’engagement (par exemple, l’engagement pédagogique et le fait syndical, l’investissement dans les questions sociétales). Je m’inspire de la démarche de recherche-action. 3 La force de l’engagement enseignant apparaît aussi avec la surconflictualité du milieu . Le « pouvoir de grève » de la profession est depuis les années 1980 quatre à dix fois supérieur à la moyenne des salariés. Après avoir décortiqué la genèse des grèves, leur ritualisation, je me penche sur la mesure des mobilisations , l’élargissement du répertoire des luttes enseignantes (manifestations, actions locales en relation avec les parents d’élèves…)…
- #pasdevagues : tribune Le Monde, 2018
Tribune parue dans Le Monde : La mobilisation sur le Web des enseignants révèle un phénomène invisibilisé : la France est l’un des pays dans lesquels les cours sont les plus perturbés Tribune dans Le Monde , 14 novembre 2018 « Le phénomène #pasdevagues doit sa force à l’agrégation de colères hétérogènes » La mobilisation sur le Web des enseignants révèle un phénomène invisibilisé : la France est l’un des pays dans lesquels les cours sont les plus perturbés. Tribune parue dans Le Monde. La mobilisation sur le Web des enseignants révèle au grand jour un phénomène connu depuis longtemps mais ignoré, explique Laurent Frajerman, responsable de l’enquête Militens, dans une tribune au « Monde ». Le phénomène #pasdevagues révèle l'importance de la souffrance enseignante ordinaire, peu perceptible, notamment parce que les intéressés ne veulent pas toujours s'exposer au risque d'être stigmatisés. Or, dès 2009, l'enquête internationale PISA a mis en lumière le fait que la France est l'un des pays dans lesquels les cours sont les plus perturbés. Les résultats scolaires ont beau être lourdement affectés par ce climat détérioré, aucune politique conséquente n'en a résulté, y compris avec le nouveau ministre de l'éducation nationale, M. Blanquer. Ce mouvement rencontre un très fort écho chez les professeurs, même s'ils ne sont sans doute pas dupes des fausses informations charriées par les réseaux sociaux. Au-delà de la solidarité, beaucoup s'identifient à leur collègue de Créteil. Pas moins de 37% déclarent avoir fait l'objet d'« insultes ou de propos calomnieux en face-à-face » de la part d'élèves ou de parents d'élèves, et cela lors d'une seule année (sondage IFOP 2014). La proportion est deux fois plus élevée que pour l'ensemble des autres professions (enquête Cadre de vie et sécurité, Insee, 2014). Le discours antihiérarchique donne du sens à cette expérience. Le phénomène #Pasdevagues doit sa force à l'agrégation de colères hétérogènes. L'absence de programme précis et réaliste permet de dépasser les clivages du milieu. En effet, les enseignants sont divisés sur le renforcement des sanctions, et ceux qui s'expriment actuellement ont un profil particulier. Il ne faut donc pas s'imaginer que ce cri génère un consensus. Mais beaucoup ressentent ce qui exaspère une minorité : la montée des exigences envers les professeurs, et l'intolérance aux difficultés d'enseignement, qui s'exprime par les signalements croissants au rectorat de la part des parents. Le positionnement à adopter envers les élèves suscite régulièrement des conflits de valeurs feutrés dans les salles de professeurs. Les récentes propositions de M. Blanquer sont donc loin de faire l'unanimité : la moitié des professeurs contestait en 2017 l'idée de «créer des établissements spécialisés pour les élèves perturbateurs » (sondage IFOP). En 2014, 51 % avaient « le sentiment de disposer de suffisamment de moyens réglementaires pour assurer» leur autorité et 44 % refusaient de légaliser le droit de donner des « lignes à copier à un élève en raison de son comportement» (sondage IFOP). L'opposition franche entre deux visions se conjugue à un autre phénomène : les enseignants vivent tous, à des degrés divers, une tension interne entre approche éducative et répressive. Connus pour leur libéralisme culturel, mais professionnels de la gestion de groupes, ils s'avèrent ambivalents sur l'autorité. Parmi les caractéristiques qui définissent un bon professeur, ils mettent le fait de «faire preuve d'autorité» en milieu de classement, loin derrière un rapport positif aux élèves et au savoir (questionnaire représentatif Militens, 1374 professeurs de collège et lycée, 2017). Comme l'écrit l'universitaire Bruno Robbes, l'enjeu est pour eux de relever le défi de « l'autorité éducative ». Ainsi, la présence de policiers ne répond pas à une demande enseignante, qui se focalise sur la gestion de classe. S'ils ne se convertissent pas à l'idéologie sécuritaire, les professeurs sont depuis longtemps sensibles aux discours nostalgiques: en 1984, 63 % d'entre eux approuvaient déjà l'idée «qu'on est allés trop loin depuis une dizaine d'années et qu'il faut revenir à davantage de discipline à l'école» (sondage Sofres). Lire aussi : Tous les textes de Laurent Frajerman sur le métier enseignant et les politiques éducatives. SOLITUDE ET MANQUE DE COLLECTIF Une moitié des professeurs considère « le manque de soutien de la hiérarchie» comme une difficulté à laquelle elle est confrontée dans sa vie professionnelle (Militens, 2017). Les plus mécontents, un quart de la profession, forment un groupe à part, dont le discours correspond aux caractéristiques de ce mouvement social inédit. Leur étude aide à comprendre ceux qui ont utilisé le hashtag. Ces enseignants se signalent par des soucis multiformes (sur les rapports avec les élèves et les parents, l'administration, l'indiscipline des élèves, etc.). Leur insatisfaction globale est supérieure de 24 points à la moyenne des enseignants. Ils considèrent nettement plus que leurs collègues que l'échec scolaire est une difficulté professionnelle importante ; la gestion de l'hétérogénéité des classes les inquiète. L'enseignement reste au cœur de leur problématique, leur souffrance est encastrée dans les épreuves du quotidien. Comme l'a montré la sociologue Françoise Lantheaume, elle provient de l'évolution du métier, générant un sentiment d'« impuissance à agir ». Depuis les années 1990, la thématique des incivilités provoque des conflits locaux durs, les professeurs mobilisés exigeant des moyens supplémentaires et, quelquefois, le départ de chefs d'établissement jugés autoritaires envers eux et laxistes envers les élèves. La sociologue Anne Barrère a établi que la discipline représente l'un des points de friction essentiels avec les chefs d'établissement. Aujourd'hui, si l'image de ces derniers reste bonne, malgré la pesanteur de l'institution, 61 % des professeurs mécontents de la hiérarchie en général entretiennent également une mauvaise relation avec leur management de proximité (Militens, 2017). On prône souvent une prise en charge collective du désordre scolaire, à l'instar de ce qui existe dans certains établissements de réseaux d'éducation prioritaire (REP). Mais les plus concernés n'y sont pas favorables : ils sont particulièrement opposés à l'autonomie de l'établissement, au renforcement du pouvoir hiérarchique, à la « multiplication des réunions ». Pourtant la « solitude, le manque de collectif» leur pèsent (ils sont 21 points de plus que l'ensemble de la profession à s'y déclarer tout à fait sensibles) et ils exercent autant de responsabilités que leurs collègues dans l'établissement. Ces professeurs ne se désinvestissent pas, mais se défient d'une régulation locale dont ils craignent qu'elle soit plus managériale que démocratique. Surtout, ils ne souhaitent pas s'attarder plus longtemps dans ce lieu de vie auquel ils ne sont pas attachés (ils sont 17 points de moins que l'ensemble de la profession à estimer que l'établissement est « convivial »). La critique de la hiérarchie peut donc revêtir chez beaucoup d'enseignants un caractère délégataire : aux chefs d'arbitrer, de s'occuper de la périphérie de la salle de classe ; à eux d'enseigner. Il ne sera pas simple d'unir les forces pour améliorer le climat scolaire, d'autant que les enjeux sont multiples (protection et formation de la jeunesse, prévention de la délinquance juvénile, souffrance au travail...). Pour cela, des déclarations sur le respect des valeurs de la République et quelques mesures destinées à impressionner l'opinion publique ne suffiront pas. Il faut mettre à l'ordre du jour un budget approprié et des réponses cohérentes qui n'opposent pas sanctions nécessaires et humanisme. Les décrets de 2011 relatifs à la discipline avaient pour objectif de «réaffirmer le respect des règles et limiter les exclusions, temporaires ou définitives, afin d'éviter tout risque de déscolarisation » (vade-mecum du ministère). Le taux d'exclusion définitive d'un établissement représente 0,45 % des élèves, à comparer avec un taux d'incidents graves de 1,4 % (enquête Sivis, DEPP, ministère). Il y a urgence à se soucier autant des élèves perturbateurs que de ceux qui sont empêchés de suivre les cours, et à créer les conditions d'une implication de tous, par exemple en rendant publiques les lettres de mission des chefs d'établissement et en donnant du temps au débat. Laurent Frajerman est professeur agrégé d'histoire au lycée Guillaume-Apollinaire de Thiais (Val-de-Marne) et responsable de l'enquête Militens. Cette dernière porte sur le rapport des enseignants à l'engagement. 1 374 professeurs de lycée et de collège ont été interrogés en 2017 par le Ceraps-université de Lille, à partir d'un échantillon aléatoire fourni par le département de la recherche du ministère (DEPP), en collaboration avec l'Institut de recherches de la FSU
- Laurent Frajerman / Formations syndicales FSU
Les stages organisés par la FSU sont uniques dans le paysage syndical : certains s'adressent à toute la profession. Laurent Frajerman, "La formation syndicale au cœur des pratiques militantes de la FSU" Unité & Action-Enjeux, 2015 Cet article s’appuie sur les observations et les entretiens de la recherche Militens et sur ma pratique de l’observation participante au sein de la FSU. Je suis intervenu dans 45 stages organisés par la FSU, le SNES, le SNUipp, le SNEP et leurs sections. Je suis aussi associé régulièrement à la réflexion des secteurs formation de ces structures. Les formations de la FSU participent de ses pratiques, malgré une difficulté à trouver leur place dans les dispositifs militants. En effet, la partie concrète de l'apprentissage du métier de militant, de l'imprégnation des normes de l'organisation se fait d’abord sur le terrain, au mieux par le parrainage de militants plus anciens, au pire sur le tas. L'autre partie, celle de l'assimilation de la doctrine, est surtout assurée par les congrès, la lecture de la presse syndicale et par les évènements préparés par l'organisation (colloques, débats....). On pourrait en déduire un peu rapidement que des formations sont superfétatoires. Encore plus quand elles s'adressent à des enseignants, public très diplômé et habitué à l'auto formation. Pourtant, elles existent dans toutes les organisations syndicales(1), car le renouvellement des équipes militantes implique de formaliser la transmission. Les formations répondent à plusieurs besoins : l'approfondissement, le travail en petit groupe, plus propice à la compréhension et à la mémorisation, et enfin une réflexion plus objective, notamment grâce à la rencontre avec des chercheurs. La formation permet aussi une socialisation des militants presque dépourvue d’enjeux de pouvoir. Surtout, les formations dispensées par la FSU présentent l’originalité de se tourner vers l’ensemble des enseignants, et non vers les seuls militants. Il faut dire que le contexte est porteur : le droit à la formation syndicale est généreux et sous-utilisé : 12 jours par an pour tous les agents(2). Or, la formation continue vit un véritable naufrage, non seulement parce qu’elle est sous financée, mais aussi parce que ces méthodes sont contestées (intervenants insuffisamment pointus, programmes centrés sur les préoccupations de l’institution…). Ceci ouvre un espace à une offre alternative. Ainsi, le SNUipp du Doubs relève qu’il rassemble 174 professeurs des écoles en une journée de stage sur « Les enseignants en quête de reconnaissance », quand ils sont seulement 227 à s’inscrire au Programme académique de formation sur toute l’année 2014-2015… Ces formations répondent à la recherche de sens perceptible chez les enseignants et apportent une valeur ajoutée aux réunions syndicales plus classiques. Cependant, le pluralisme de la FSU s’exprime aussi dans la manière de traiter cet enjeu de formation, en termes de méthodes et de priorités : consolider l’organisation ou s’en servir comme vecteur auprès des collègues ? La formation en action(s) La formation n’est pas un supplément d’âme, elle se situe au cœur de l’activité syndicale, sous toutes ses facettes. Elle est particulièrement appropriée à la structuration de mobilisations de longue durée, nécessitant un apport de savoir, par exemple lorsqu’il s’agit de construire un mouvement contre une réforme. Lors du mouvement sur les retraites en 2010, un dirigeant de la CGT expliquait le succès des manifestations par le travail des 25 000 militants passés en formation sur ce dossier(3). La FSU, elle, ouvrait ses stages aux non-syndiqués. L’actuelle réforme du collège fournit un bon exemple de cette originalité enseignante. Les stages d’analyse critique de la réforme ont fleuri, attirant un public nouveau, non militant, systématiquement mis en valeur sur Twitter. Le S3 de Versailles, qui a changé de lieu pour accueillir les 200 inscrits à son stage, a publié un storify(4) retweeté par Le Monde éducation. Autant que le nombre de grévistes et de manifestants, le succès de ces stages a constitué un indicateur de la montée du mécontentement et crédibilisé le SNES. D’autant que les soutiens du gouvernement, SE-UNSA et SGEN-CFDT, étaient bien en peine de montrer des stages équivalents, au point de tweeter régulièrement sur des réunions d’instance(5). De plus en plus intégrés à l’activité ordinaire, les stages syndicaux peuvent bénéficier de comptes rendus dans la presse locale. Ils font aussi l’objet d’une médiatisation nouvelle grâce aux réseaux sociaux, qui démultiplient leur audience. Cette publicité attire des enseignants aux sessions et rend visible cette activité(6). Toutefois, les sites internet des sections ne les annoncent pas tous, et pourraient les mettre davantage en avant. Le répertoire des formations FSU Les formations répondent à trois usages fondamentaux, selon deux modalités. Un premier besoin touche aux soucis militants quotidiens, au terrain. Sont concernés les stages organisés dans un objectif d’action, comme élément d’un processus de mobilisation, ou pour construire des revendications. Les sections combinent quelquefois réunions syndicales et stages. Ajoutons les stages de formation des militants, qui peuvent aussi bien concerner de nouveaux responsables que l’approfondissement des connaissances. Les dirigeants interrogés citent quelques stages effectués, mais ne leur attribuent pas un rôle décisif dans leur apprentissage. D’autres initiatives s’inscrivent dans une visée organisationnelle. Dans le cas des CFR FSU, le stage annuel, en général de deux jours, représente un évènement aussi important que le congrès. Très préparé, il est l’occasion de réunir les cadres. L’exemple archétypique de cette volonté de souder l’organisation fut le développement de la formation par la FEN des années 1970, dans l’objectif « de renforcer le pouvoir fédéral » face aux minorités et aux syndicats nationaux(7). Il nous semble que cette visée est aussi repérable dans l’organigramme du SNUEP, avec l’insertion de la formation dans le secteur syndicalisation, en cohérence avec les besoins d’une organisation en développement. Cas particulier, les réunions des courants de pensée ne bénéficient pas du label du CAFORM FSU, mais s’organisent selon des modalités typiques des formations (conférences, débats, notes...). Enfin, des stages correspondent au besoin de s’adresser à l’ensemble de la profession. La majorité d’entre eux concernent les questions corporatives : titularisation, mutation, retraite, souffrance au travail, droits… D’autres stages en direction des enseignants développent un contenu pédagogique, soit en abordant des thèmes généraux, soit en se centrant sur la didactique, ou un problème précis, comme la place des professeurs de langue vivante vis-à-vis des autres disciplines. Ces visées s’articulent à des modalités de formation. La première est tournée vers l’intérieur du syndicat, autocentrée : les intervenants sont des militants. La seconde, beaucoup plus développée à la FSU que dans le reste du monde syndical, s’ouvre à l’extérieur, aux chercheurs et experts. Ces intervenants, heureux de s’adresser à un public élargi et proche de leurs préoccupations, sont sollicités à titre bénévole, leur notoriété contribue au succès du stage, même si le plus souvent, le programme n’est pas détaillé. Du point de vue des syndicalistes, la construction des stages les incite à se documenter et à entrer en contact avec le monde des chercheurs, ce qu’ils trouvent souvent valorisant. Cela permet aussi de faire vivre un réseau d’influence. Cette ouverture se pratique tant pour la diffusion de connaissance, par le biais de conférences, que pour leur production, lors d’un colloque ou d’une journée d’étude. Le CFR FSU de Bretagne est allé au bout de cette logique, en publiant les actes de ses stages/colloques. Regards sur l’histoire du système éducatif en Bretagne a été signalé dans Ouest France, interview de Jean-Luc Le Guellec à l’appui. Le colloque académique organisé par l’Institut de Recherches de la FSU sur « la grève enseignante, en quête d’efficacité » était également considéré comme une initiative de formation. Les méthodes pédagogiques Les professeurs de formation initiale ont besoin de s’adapter à la formation pour adulte, lesquels acceptent moins le cadre, sont prompts à retrouver leurs réflexes d’écoliers tout en se sentant infantilisés. Parmi les normes communément admises dans la FSU se trouve l’idée qu’il faut limiter la délégation de pouvoir. On pourrait en déduire que les méthodes actives, dominantes dans l’ingénierie de formation pour adultes, sont aussi privilégiées dans les formations syndicales. En réalité, le cours magistral suivi d’un échange domine. Comme il est très difficile de dépasser une journée de stage, même au niveau national, la tentation est grande d’alourdir le programme, de rogner sur les temps de discussion formels et informels (les pauses). Conséquence ? Les formateurs se heurtent même au problème du bavardage, du manque de concentration. De plus, les cultures professionnelles jouent un grand rôle. Le SNUipp et le SNEP cherchent à mieux faire participer en utilisant quelquefois des outils tels que conférences avec diaporama, exercices, discussions après lectures en groupe… Cela correspond à la norme pédagogique de leur milieu. Même quand ses méthodes sont adoptées, elles restent souvent secondaires, servent quelquefois de variable d’ajustement. Pourtant, la rénovation des stages du SNUipp pour les élus du personnel a suscité l’intérêt des formateurs comme des participants. Alors que les dirigeants nationaux lisaient souvent un diaporama, et que les stagiaires se plaignaient de la technicité des cours, des jeux de rôles ont été instaurés. Au SNES se pratique un enseignement magistral, privilégiant le contenu. Des dossiers documentaires très complets sont fournis, comprenant des articles scientifiques. D’autres variables existent dans la conception des stages. Officiellement, la formation apparaît comme un outil au service des directions syndicales pour diffuser leurs positions auprès de la base. Mais cette vision descendante se heurte à une réalité : des stages sont annulés faute de combattants. La programmation du syndicat révèle certes ses priorités, son projet, mais l’affluence constitue un critère essentiel. On peut donc parler de régulation par la demande. La plupart du temps, les organisations proposent un catalogue de stages, très varié, d’une durée d’un jour (le plus souvent) ou deux. Quelle marque laisse une formation aussi épisodique ? À l’origine, la formation des militants se structurait par cycle de stages sur plusieurs semaines, pour permettre une imprégnation des connaissances. Le SNUipp, qui relance depuis un an sa formation des cadres intermédiaires au plan national, a choisi ce système. Dans ce cas comme dans les exemples antérieurs, cela ne supprime pas le « zapping », qui limite l’efficacité du cycle. Notons qu’à ce stade de l’enquête, les stagiaires interrogés se montrent satisfaits des méthodes et du format adoptés par leur syndicat, ce qui montre que les cultures militantes s’ajustent aux cultures professionnelles. Les spécificités des syndicats nationaux de la FSU Selon leurs traditions et le milieu auquel ils s’adressent, les syndicats puisent différemment dans le répertoire des formations de la FSU. Au SNUipp, les stages sur l’enseignement constituent une ressource ordinaire de l’action des sections départementales. Un auteur comme Rémi Brissiaud fait le tour de France et remplit les salles sur les mathématiques. C’est une alternative intéressante aux Réunions d’Information Syndicales (une seule par an est effectuée sur le temps réel de travail). Cependant dans le premier degré, l’administration peut limiter les inscriptions au nom de la continuité du service. Elle refuse de fermer les petites écoles et se sert de la difficulté à assurer les remplacements. Cette injustice flagrante par rapport aux autres salariés, institue le droit à la formation en enjeu de lutte(8). L’université d’Automne constitue une initiative originale de formation, qui permet aux sections de tester les intervenants. Elle évoque peu les sujets syndicaux. En revanche, la formation des militants a longtemps été le parent pauvre, à l’exception des stages post-élections paritaires, qui renforcent la coordination entre SD d’une académie et permettent un dialogue avec les dirigeants nationaux. Mais le nouveau programme national de formation des cadres intermédiaires est un succès. Le SNES, lui, perpétue une tradition de formation militante. Son secteur formation élabore une large palette de stages, en direction principalement des cadres intermédiaires. Leur animation et leur contenu reposent sur les secteurs du S4. Les stages locaux à destination des enseignants sont un peu moins fréquents, et quand ils abordent la pédagogie, privilégient des questions transversales. Le SNEP a inscrit la formation au cœur de son projet, à la fois comme pratique de masse (10 000 participants en quelques années), comme moyen de faire infuser dans la profession ses conceptions et comme mise en musique de ses conceptions pédagogiques. Conclusion Praticien des formations de la FSU depuis plusieurs années, comme intervenant puis comme observateur, je constate leur richesse. Il me semble toutefois qu’elles pourraient encore s’améliorer pour répondre à une forte demande. Du point de vue quantitatif, cela suppose de dépasser l’artisanat, de simplifier la mise en œuvre des stages. Par exemple, les sections pourraient disposer de véritables catalogues nationaux de formation. Quand un intervenant a mis au point sa séquence, c’est un gain de temps que de la proposer dans d’autres formations. Du point de vue qualitatif, en exploitant complètement les dispositifs pédagogiques mis en œuvre, en encourageant les échanges de pratiques entre formateurs, en utilisant plus systématiquement les retours des stagiaires, etc… Les syndicats pourraient aussi mieux intégrer la dimension militante dans les stages destinés à un large public. On n’y voit pas toujours la palette des publications syndicales, souvent reléguées à une table. Les dossiers des participants permettent quelquefois de compenser cette difficulté en insérant de vieux numéros. Si l’intervenant ne fait pas lui-même le lien avec les positions syndicales, ce sera dans le meilleur des cas le rôle du responsable local, d’une manière brève. Ces pistes d’amélioration impliquent de ne pas considérer la formation comme un supplément d’âme de l’activité syndicale. Les stages locaux étant généralement animés par des dirigeants nationaux, et les stages nationaux remplis de militants locaux, ces temps forts de l’activité contribuent à l’homogénéisation de l’organisation. Plus fondamentalement, la formation est un instrument essentiel de la circulation des savoirs entre les recherches académiques et les préoccupations du terrain, aussi bien enseignant que militant. Un syndicalisme réflexif (9) ne dissocie pas l’action de l’analyse ; pour transformer un monde complexe et mouvant, il opère continuellement la jonction des deux. Les formations par leur souplesse lui sont indispensables. Notes Nathalie Ethuin et Karel Yon, La fabrique du sens syndical. La formation des représentants des salariés en France (1945-2010), Bellecombe-en-Bauges, éd du Croquant, 2014. Art. 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984. Nathalie Ethuin, Karel Yon, « Les mutations de l'éducation syndicale : de l'établissement des frontières aux mises en dispositif », Le Mouvement Social, 2011, n° 235, p. 3-21 – p. 4. Compilation des tweets publiés pendant l’évènement, réalisée par Sophie Venetitay, co secrétaire générale du S3. Par exemple, le 29 mai, les tweets du SGEN-CFDT montrent que son « séminaire » sur le collège réunit une dizaine de permanents… À condition de maîtriser les codes de cette nouvelle communication... Brucy Guy, « Le fétichisme de la formation et les enjeux politiques d'un dispositif centralisé. Le cas du Centre fédéral de formation de la FEN (1976-1982). », Le Mouvement Social, 2/2011, n° 235, p. 121-136. Ainsi, dans le Lot-et-Garonne, 57 inscrits et seulement 23 autorisations accordées pour un stage « souffrance au travail ». Le sujet aurait-il déplu ? Le SNUipp a abordé la question en CAPD. André D. Robert utilise ce concept en référence à Anthony Giddens, in Le syndicalisme enseignant et la recherche: clivages, usages, passages. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 2004 – p. 379.