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Le baccalauréat menacé par le contrôle continu

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    Laurent Frajerman
  • il y a 13 heures
  • 4 min de lecture

Par Laurent Frajerman, professeur agrégé d'histoire, chercheur associé au Cerlis (Université Paris Cité)


Comme chaque année, l'approche des épreuves du baccalauréat ravive les interrogations sur cette institution centenaire. Visiblement, la réforme initiée par Jean-Michel Blanquer l’a déstabilisé, puisqu'elle a été remaniée à chaque session depuis sa mise en œuvre. Les critiques désormais exprimées par l'un des fondateurs de cette réforme, Pierre Mathiot, confirment que les objectifs n'ont pas été atteints.



L'inflation des notes fait perdre tout sens à l'évaluation
L'inflation des notes fait perdre tout sens à l'évaluation

 

Un baccalauréat dénaturé dans ses fonctions essentielles par la réforme Blanquer et Parcoursup

 

Pour comprendre l'ampleur de la transformation, il convient de rappeler ce qu'était le baccalauréat auparavant. Le baccalauréat constituait le premier grade universitaire et jouait un rôle déterminant dans l'orientation. Il sanctionnait également la fin des études secondaires, indiquant qu'un élève avait achevé avec succès son parcours au lycée. Cette évaluation reposait sur des épreuves anonymes qui garantissaient l'objectivité de la correction, conférant au diplôme une crédibilité incontestable.

La réforme Blanquer a consisté précisément à découpler l'orientation de cet aspect d'évaluation de fin d'études. Cette évolution avait déjà commencé auparavant, avec APB, mais la réforme a accentué la tendance. Jusque-là, la moitié des élèves pouvait accéder à l'université sans sélection grâce au baccalauréat. Avec Parcoursup, ce sont désormais cent pour cent des étudiants qui sont soumis à une forme de sélection, dont les critères sont obscurs en prime.

Cette transformation a eu des conséquences pratiques majeures. Le système Parcoursup a une gestion si lente et si complexe que les opérations d'inscription ne peuvent plus être effectuées une fois le baccalauréat terminé, contrairement à ce qui se pratiquait auparavant pour l'université. Un découplage s'est donc opéré entre les épreuves du baccalauréat et l'orientation dans l’enseignement supérieur. Aujourd'hui, nous assistons à une perte de crédibilité manifeste, avec une forte proportion d’élèves qui passent leurs épreuves en connaissant déjà leur orientation. Cette situation limite considérablement l'importance accordée au baccalauréat et génère un moindre investissement en fin d'année. Les professeurs constatent que les élèves de terminale sont moins mobilisés, alors que le baccalauréat constituait autrefois un rite social fort qui les motivait.


 

Le contrôle continu au baccalauréat : une fausse bonne idée aux effets pervers


Le deuxième élément majeur de dénaturation du baccalauréat réside dans l'introduction massive du contrôle continu, qui compromet sa fonction d'évaluation objective. Auparavant, la correction était entièrement anonyme, garantissant l'objectivité des correcteurs. Cette garantie a disparu pour une grande partie de la notation actuelle.

Paradoxalement, cette évolution répondait à une demande sociale : les sondages révélaient un mécontentement face à la complexité du système et une aspiration à davantage de souplesse dans l'évaluation du parcours annuel. Le problème réside dans la dose excessive de contrôle continu introduite dans un contexte global de hausse de la notation, provoquant un envol continu des notes.

Cette dérive génère un effet de ciseaux particulièrement préoccupant : d'un côté, une baisse spectaculaire des résultats des élèves français aux évaluations internationales, notamment PISA, et de l'autre, une augmentation constante des notes et des mentions au baccalauréat. Ce phénomène n'est pas spécifiquement français : l'Angleterre connaît une situation similaire. Il s'agit de l'effet d'une pression multiforme exercée par l'institution en faveur d'une évaluation dite positive.

L’objectif qui consiste à encourager les élèves, à leur donner confiance en leur attribuant de meilleures notes, n'est pas dénuée de fondement. Cependant, lorsque certaines disciplines affichent des moyennes de classe à quinze, voire dix-sept sur vingt, la note perd tout sens. Cette inflation empêche un signalement efficace des difficultés et prive les élèves de la confrontation nécessaire à l'exigence.

 

Ces dysfonctionnements s'amplifient sous l'effet de Parcoursup et de la concurrence entre établissements. Une note récente de la DEPP indique que les 2/3 des établissements privés sous contrat surnotent en contrôle continu. Le système ministériel valide désormais cette pratique bien ancrée dans le secteur privé, en intégrant ces notes faussées dans l'obtention du baccalauréat et pour Parcoursup.


 

Contre la suppression : pour une refondation raisonnée

 


Face à ce constat d'un baccalauréat qui ne sert plus à l'orientation et qui perd son sens, faut-il le supprimer, d'autant qu'il coûte de l'argent ? Cette position serait une erreur. Les difficultés actuelles étaient prévisibles et avaient été annoncées, notamment par moi.


Tribune de  Laurent Frajerman dans Le Monde : "Baccalauréat : “Pourquoi il ne faut pas pérenniser le contrôle continu”", 23 juin 2020


Plutôt que de persévérer dans l'erreur, une refondation sur des bases plus solides s'impose. Le CNESCO a montré que les pays voisins ont mis en place des épreuves de type baccalauréat, confirmant le besoin d'éléments objectifs pour évaluer réellement les élèves et les établissements. Pour calculer les indicateurs de valeur ajoutée, les IVAL, la DEPP a renoncé à utiliser les notes, trop confuses, et ne se base plus que sur les taux de mention, qui s’envolent eux aussi.

La notation locale en contrôle continu génère inévitablement des pressions de la part des parents et des élèves pour obtenir les meilleures notes possibles. Un 12 en anglais dans un très bon établissement peut valoir un 19 dans un lycée moins côté. Personne ne peut plus se repérer dans ce maquis ! Or, un pilotage efficace du système éducatif nécessite des indicateurs objectifs. Ce système ne pouvant constituer une base fiable d'évaluation, il paraît indispensable d'augmenter la part de l'examen terminal et de réduire celle du contrôle continu.

 

Les risques d'une logique de marché éducatif

 

Une suppression totale du baccalauréat amplifierait les dérives constatées. Elle installerait une logique de marché encore plus forte, où la réputation des établissements régnerait en maître. Dans une configuration de concurrence grandissante, la communication des établissements jouerait un rôle déterminant, faute d'éléments tangibles permettant aux familles de connaître réellement leurs résultats. Il est donc important de mettre fin à cette dérive en restaurant un système d'évaluation qui garantisse l'égalité de traitement et l'objectivité des jugements portés sur les élèves.

En définitive, le baccalauréat demeure une institution nécessaire, mais sa refondation s'impose pour qu'il retrouve sa fonction première : être un outil d'évaluation objective et équitable, garant de l'égalité républicaine face à l'éducation.

 

 

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