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  • La conception de la démocratie syndicale chez Unité & Action (FSU)

    Laurent Frajerman, chercheur associé au Cerlis, Université Paris Cité, professeur agrégé d’histoire au Lycée Lamartine Comment assurer une vie syndicale démocratique ? Les principes La démocratie dans une organisation, pas si simple… Fédéralisme et tendances La liberté d’expression La genèse du mode de fonctionnement de la FSU Rapide historique Quelques exemples de l’élaboration doctrinale d’UA Dans la FSU, faut-il consacrer l’existence des tendances ? Des cultures différentes selon les syndicats Des tendances ou des courants ? Conclusion Le courant Unité & Action de la FSU a toujours exprimé son souci d’un syndicalisme démocratique. Dans le contexte actuel, ou le courant de pensée exerce la responsabilité de conduire la FSU et réfléchit aux voies d’un rapprochement avec la CGT, ce billet examine sa conception. Lire aussi : Ce billet s’appuie sur ma thèse, résumée sur cet aspect dans un article : « Représentation et prise en compte du pluralisme dans le syndicalisme français : l’originalité de la FEN (1944-1968) », 2010. Comment assurer une vie syndicale démocratique ? Les principes La démocratie dans une organisation, pas si simple… Dans les organisations, on constate une grande stabilité des directions. A la FSU comme ailleurs, la plupart des changements sont voulus et non provoqués par des votes de la base. Or, les adhérents ne partagent pas tous et en permanence les choix des directions, qui se cooptent et partagent un corpus idéologique beaucoup plus structuré que leurs mandants. En multipliant les décharges partielles, le courant Unité & Action limite le décalage entre la profession et les cadres syndicaux, mais c’est insuffisant. Ø  C’est le premier défi démocratique : comment co-construire les principaux actes de la vie du syndicat (position sur une réforme, décision d’action, etc.) ? D’autant que les adhérents ne s’impliquent que pour les grandes occasions, et seulement si la direction réussit à présenter clairement les termes du débat et les options possibles. Ø  Le second défi vient du fait que l’exercice de la démocratie syndicale est aisé à la base, mais compliqué par l’emboîtement des structures. L’effet de filtre successif génère une forte délégation des pouvoirs. Ø  Enfin, une des caractéristiques de la démocratie, c’est le respect des minorités et l’acceptation du conflit, géré par la parole et l’échange et non par le pur rapport de force. Or une forme de consensus est aussi nécessaire pour l’action, ce qui est contradictoire. Fédéralisme et tendances Les relations que les structures qui adhèrent à la Fédération entretiennent entre elles procèdent du fédéralisme, autrement dit de l’autonomie de décision. Historiquement, le fédéralisme provient de la CGT et existe aussi à Force ouvrière et à l’UNSA, issues d’une matrice commune, contrairement à la CFDT, plus centralisée. Dans ces organisations, le pluralisme interne - inévitable dans une organisation puissante – s’exprime par le biais des prises de position des structures, qui se retrouvent sur des positions communes avec une certaine régularité. Il existe plusieurs formes d’expression de ce pluralisme, que je distingue[1] en fonction d’un critère objectif, la structuration du regroupement, avec une gradation entre * les sensibilités, très informelles, * les courants aux formes encore floues, autorisant une certaine fluidité des positions des militants et * les tendances, terme qui désigne des groupes structurés à l’intérieur d’une organisation, disposant par exemple d’un fichier et d’un bulletin. A l’extrême, les tendances peuvent devenir fractionnelles, c’est-à-dire se transformer en quasi syndicats, agissant de leur propre initiative. Reconnaitre officiellement les courants de pensée ou les tendances peut être une solution pour canaliser le pluralisme, en acceptant la conflictualité interne pour mieux l’organiser. L’autre perspective est de le camoufler et le réprimer, comme à la CFDT. Dans ce cas, seules des sensibilités subsistent et le débat se cantonne essentiellement aux sphères dirigeantes. La liberté d’expression Quand il y a structuration en tendances, cela rigidifie l’organisation des discussions et favorise un militantisme très tourné vers le débat interne. D’autant que la prédisposition à la controverse résulte de la composition sociale de la Fédération, culturellement habituée à la confrontation des idées. Dans les assemblées générales et congrès, on constate généralement que les minoritaires interviennent plus et plus longtemps que les majoritaires. Pour eux, les instances constituent des moments forts. A l’inverse, les majoritaires gèrent les dossiers concrets, et peuvent quelquefois redouter ces moments durant lesquels ils doivent justifier leurs choix. La liberté d’expression dans les syndicats est à double tranchant : soit elle crée un climat d’élaboration collective, soit elle constitue un motif de désaffection des adhérents, rebutés par les querelles. Dans ce cas, les débats tournent en discussions stéréotypées : il ne suffit pas d’être libre de parler, encore faut-il être écouté. Lire aussi : Article de Laurent Frajerman : « Enseignants unitaires et CGT : les prémices d’un divorce », 2005. La genèse du mode de fonctionnement de la FSU Rapide historique Après la Libération, les tendances sont officialisées à la Fédération de l’Education Nationale. Le maintien de l’unité syndicale au début de la guerre froide - alors que toutes les autres organisations du mouvement social scissionnaient - a été rendu possible par la garantie d’un mode de scrutin proportionnel au résultat de chaque liste. Un strict système de tendance est instauré en 1948 et 1954 par la majorité réformiste sous l’impulsion de l’Ecole Emancipée (une tendance proche de l'extrême-gauche). Il impose une composition homogène des directions exécutives, avec exclusivement des militants majoritaires, au nom de la cohésion. Les unitaires s'y opposent, eux qui cherchent au contraire à se fondre dans la majorité et préconisent des listes communes. Au début des années 1960, ils correspondent à une sensibilité, déléguant à la section des Bouches-du-Rhône le soin de déposer des listes pour maintenir leur place dans les instances. Mais cette construction est quelque peu artificielle, et les autres forces ont beau jeu de rappeler que la grande majorité des cadres unitaires sont également membres du PCF, à une époque où ce parti n'hésite pas à intervenir dans les affaires internes des syndicats. Le système des tendances adopté par la FEN poursuit un double but. D’un côté, il accorde une liberté d’expression et d’organisation suffisante à la principale minorité, les unitaires, pour pallier le risque d’une scission. De l’autre, il organise leur isolement, en les privant de responsabilités et de moyens d’action autonomes. Les unitaires constatent alors le besoin de s’organiser pour peser dans la FEN et pour que les non-communistes soient mieux associés aux décisions. Ils se structurent peu à peu en courant Unité et Action. En 1963, les unitaires du SNES actent le principe d’un fichier et d’une communication interne[2], puis ils gagnent les élections internes en 1967. André Drubay, proche du PSU, devient le premier secrétaire général UA du SNES. Désormais, le courant a les moyens de se coordonner dans la FEN. Au début des années 1970, il anime le SNES, le SNEP, le SNESup et 30 sections départementales du SNI. Quelques exemples de l’élaboration doctrinale d’UA Une brochure programmatique d’Unité & Action, rédigée en cette époque, dénonce les théories « qui conçoivent l'organisation syndicale comme la juxtaposition de tendances idéologiques organisées. »[3] Quelques citations témoignent d'une élaboration doctrinale poussée, du fait d'un contexte polémique : * « Le respect du droit à l'expression - à l'intérieur du syndicat - de tous les courants de pensée, la reconnaissance dans les faits de leur droit à la représentation dans les directions syndicales ne doit pas être confondu avec l'obligation (…) de structurer les tendances. »[4] * « L'effort pour combattre la cristallisation des tendances est indispensable si l'on veut libérer et mettre à profit la somme des énergies qui existent et sont obérées par la « guerre des tendances ». » Unité et Action ne se transforme donc pas en tendance, pour deux raisons fondamentales : elle n’en a pas besoin et elle souhaite l’unité du syndicalisme enseignant, pour déployer son action. Ce qu’exprime la dernière citation : * « Les différences d'opinion, mêmes importantes, ne peuvent justifier le refus d'une entente et d'une action commune pour obtenir la satisfaction des revendications immédiates des travailleurs, car c'est l'existence d'intérêts communs et non pas une communauté idéologique qui fonde le syndicat. »[5] La base se montre peu sensible aux tendances, l’identité essentielle reste celle du syndicat. Mais les militants se rangent dans des courants ou tendances qui cohabitent dans la FEN, plus qu’ils ne vivent en symbiose. En 1973 la majorité laisse planer la menace de sanctions à l’égard d’Unité & Action, accusée de constituer une contre- FEN. A plusieurs reprises, les syndicats et sections animées par UA organisent leurs propres manifestations et grèves (par exemple le 22 mars 1979 pour la région parisienne), alors que la fédération s’arroge le droit de parler à la place de syndicats nationaux comme le SNES. Cette situation dysfonctionnelle aboutira à l’exclusion du SNES et du SNEP en 1992, et à la création de la FSU. Dans la FSU, faut-il consacrer l’existence des tendances ? Des cultures différentes selon les syndicats Alors que le SNES a maintenu sa direction et son fonctionnement lors du passage de la FEN à la FSU, le SNUipp s’est construit presque de toute pièce. Cette différence se retrouve dans les rapports entre Unité & Action et Ecole Emancipée. Celle-ci a gardé sa place d’opposante dans le SNES, alors qu’elle a participé pleinement à la construction du syndicat du premier degré et de la Fédération. Elle rompait ainsi avec sa tradition de refus de toute responsabilité, ce qui s’est soldé ultérieurement par la scission avec Emancipation (celle-ci reflète également un clivage entre militants trotskystes, formés à la LCR, et anarcho-syndicalistes). Cet héritage explique les principes en œuvre au SNUipp et à la FSU : exigence de synthèse, participation des minoritaires à toutes les directions… Au-delà des principes, ce fonctionnement existe aussi pour des raisons prosaïques : la minorité représente plusieurs dizaines de sections départementales, qu’il faut associer aux initiatives de la direction nationale. C’est ce que n’avait pas compris la majorité de la FEN, qui en ostracisant 1/3 de la Fédération, rendait inévitable l’affrontement. Des tendances ou des courants ? Dans la typologie des regroupements internes, Unité & Action relève du courant de pensée : exerçant la direction, elle n’a besoin de se structurer que quand les enjeux de concurrence le lui imposent. Elle fait paraître une revue et organise des réunions régulières, nécessitant un fichier (qui ne comprend pas tous les militants se reconnaissant dans le courant). Mais la vie d’Unité & Action reste subordonnée aux positions des syndicalistes en responsabilité. Les militants poursuivent la même discussion dans les réunions d’UA que dans les séances « normales » des instances. La seule spécificité est l’entre soi, qui permet des arbitrages avant la confrontation avec le point de vue des minoritaires. Les votes restent libres, cette absence de monolithisme est caractéristique des courants de pensée. Ceci explique qu’Unité et Action ait souvent encouragé les tentatives de militants de rester « sans-tendances », notamment dans le SNUipp, dont des cadres UA auraient aimer fonctionner autrement. L’Ecole Emancipée relève de la tendance, même s’il ne faut pas exagérer sa discipline interne. Sa position minoritaire l’a poussé à demander des garanties statutaires lors de la création de la FSU. Lorsqu’elle participe à la direction, elle ressent aussi le besoin de s’affirmer pour garder en visibilité. En 2002, le départ du SNETAA de la Fédération a déséquilibré le jeu des courants fondateurs. En effet, le courant Autrement, animé par des militants de ce syndicat, amenait dans la FSU une partie des traditions de la majorité réformiste de l’ex-FEN. Aujourd’hui le face-à-face UA-EE dans la FSU focalise les débats sur certains enjeux (la grève reconductible, ou encore les questions sociétales et politiques) et en occulte d’autres, notamment les débats revendicatifs (faut-il condamner le management de proximité ?, l’avancement doit-il être exclusivement à l’ancienneté ?). Le fonctionnement actuel de la FSU représente donc mal les syndiqués, malgré des tentatives de les faire voter sur des points précis. Ainsi, les « fenêtres » aux rapports d’activité sont généralement obscures, parce qu’elles n’explicitent pas les désaccords. Conclusion Pour associer les syndiqués, faut-il fortifier le droit de tendance ? Les débats très codés entre courants de pensée ne concernent en pratique que les militants, seuls à s’y intéresser. Les efforts fournis pour faire voter les syndiqués aux élections internes le montrent bien. Cela passe plutôt par une démarche qui dépasse le filtre militant pour s’intéresser aux adhérents, les solliciter directement, même quand leur avis risque de déranger. L’exemple de la consultation sur PPCR[6] montre que cela nécessite un effort pédagogique. La démocratie syndicale dépend autant des pratiques, de l’existence de démocrates, que des institutions, des règles statutaires. Ainsi, des dispositions favorables peuvent aider à l’émergence d’une culture du débat, mais aussi aboutir à des polémiques stériles. Cela dit, il est légitime que des points de vue alternatifs s’expriment, et les règles de la FSU ont pour avantage d’empêcher une dérive autoritaire de sa direction. René Mouriaux notait que le débat sur le pluralisme « pose fondamentalement la question de la démocratie en termes de consensus. Jusqu’où les divergences entre membres d’une même organisation sont-elles compatibles ? »[7] Justement, la synthèse dans la FSU est rendue possible par la volonté partagée d’Unité & Action et de l'Ecole Emancipée de la faire vivre. Pour aller plus loin : Article de Laurent Frajerman et André Narritsens, « Fédéralisme et démocratie syndicale : l’exemple de la FEN et de la CGT », 2008. [1] Beaucoup d’auteurs ne font pas de différence nette entre courant de pensée et tendance. [2] Laurent Frajerman, « Lettres internes de la liste B (Unité et Action, 1962-1967) », Les documents de l’IRHSES, supplément à Points de repères, nº 20, 1999. [3] Unité et Action, « Unité et tendances dans le syndicalisme enseignant », Paris, U & A, 1971, 103 p., pp. 92-93 [4]Unité et Action, « Unité et tendances » op. cit., p. 94 [5] Unité et Action, « Unité et tendances » op. cit., p. 15. [6] Protocole d'amélioration des carrières, discuté avec les OS en 2015. S'il était globalement positif, des points étaient critiquables et les améliorations financières insuffisantes. La CGT a refusé de le signer et FO a mené une campagne de désinformation. Avant que la FSU ne le paraphe, le SNES a lancé une consultation électronique de ses adhérents. 2 653 réponses ont été validées, sur 60 000 syndiqués, avec 49 % d’avis favorables et 27 % contre. [7] René Mouriaux, Les syndicats dans la société française, Presses de Sciences Po, 1983 – p. 37.

  • Le renouveau du combat contre l’école privée

    Par Laurent Frajerman, chercheur associé au Cerlis, Université Paris Cité, agrégé d’histoire Avertissement : ce billet est la version longue d'une interview parue dans Le Café Pédagogique. Il est plus développé sur l'opinion publique, en analysant plusieurs sondages. Un enseignement minoritaire et dépendant de l’Etat Quand le privé est favorisé par les recteurs dans les ouvertures de classe Le rapport des français au privé Les positions des différentes forces progressistes La publication des Indices de Position Sociale de chaque établissement a permis de mettre en lumière l’évolution négative de la mixité sociale et scolaire dans les établissements privés sous contrat. On assiste à un phénomène de vases communicants. Les élèves du privé sont de plus en plus issus des CSP+, car la partie plus populaire de sa clientèle va dans le public. L’école privée ne joue donc pas un rôle positif, complémentaire de celui de l’école publique, mais elle l’affaiblit, en agissant comme le catalyseur de la mise en œuvre d’une école à deux vitesses. Cette catastrophe sociale explique en partie les mauvais résultats de la France dans les enquêtes internationales. D’autant que ces dernières montrent que les écarts sociaux sont très élevés dans notre système scolaire. Le statu quo est impossible, car l’embourgeoisement de l’école privée est trop avancé pour ne pas générer de graves difficultés à l’école publique. Sa concurrence est subventionnée aux 3/4, un tel niveau de financement public du secteur privé est unique dans les pays développés, alors que la collectivité fait déjà l’effort de fournir un enseignement aux familles. Plutôt que de se saisir de la tentative d’intervention de Pap N Diaye pour faire quelques concessions et ainsi parer aux critiques montantes, le secrétariat général de l'Enseignement catholique (Sgec) a préféré revendiquer de nouveaux moyens et refuser toute mesure réellement contraignante. Cette attitude maximaliste montre que l’enseignement privé se sent en position de force. Quel est l’état de l’opinion publique sur le sujet ? Le camp laïque commence à se mobiliser, mais sur quels mots d’ordre et dans quel cadre ? Lire aussi : Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde, 16 janvier 2024 : « Si le récit égalitaire perdure, l’Etat organise une forme d’optimisation scolaire » Un enseignement minoritaire et dépendant de l’Etat 17% des élèves suivent une scolarité dans le privé, en augmentation d’un demi-point depuis une décennie. Historiquement, le privé est nettement plus influent dans le second degré : Si le privé a perdu beaucoup de terrain au lycée des années 1960 à 1990, il s’est depuis stabilisé globalement. Au collège, il connaît une légère progression depuis les années 1970 et la mise en place du collège unique. C’est là que les places sont les plus convoitées, pour éviter les collèges publics souffrant d’une mauvaise réputation. Enfin, la progression est spectaculaire dans l’enseignement supérieur, encore accélérée par la mise en place de Parcoursup, qui lui fait une publicité gratuite. Lors de l’adoption au forceps de la loi Debré, en 1959, l’une des rares contreparties au financement public était l’adoption par les écoles privées sous contrat des programmes scolaires définis par l’Etat. Ceci a incontestablement contribué à rapprocher les jeunesses scolarisées dans les différents systèmes. Aujourd’hui, l’enseignement privé ne pourrait pas faire autrement que de suivre les règles du système majoritaire, puisqu’il en dépend : moins d’un cinquième des élèves du privé font toute leur scolarité dans celui-ci. Les parents ont donc absolument besoin d’une continuité entre les deux systèmes. L’enseignement catholique regroupe 96% des établissements privés sous contrat. Mais ce facteur unifiant ne doit pas dissimuler l’existence de deux dynamiques. Traditionnellement, le privé est plus fort dans les régions d’influence catholique, comme la Bretagne, le Nord et le sillon rhodanien. Y prédominent des établissements peu sélectifs, à tarifs modiques et pour lesquels le « caractère propre » religieux garde un sens. La sécularisation de la société rend ces établissements moins attractifs. Ils sont plutôt en perte de vitesse. La seconde dynamique est la conquête de nouveaux territoires, au premier rang desquels la région parisienne. C’est le phénomène le plus inquiétant, qui déstabilise tout le système éducatif : la croissance d’un enseignement réservé aux couches supérieures de la société, ou aux couches moyennes dans les territoires déshérités. Globalement, l’enseignement privé est confronté à un risque démographique important, lui qui dépend financièrement du nombre d’élèves. Des fermetures d’établissement et licenciements ne sont pas à exclure. Il réagit en se restructurant et en intensifiant la concurrence avec le public. Ainsi, les écoles Diwan concentrent leurs efforts d’implantation en Ille-et-Vilaine, département non bretonnant, mais seul de la région à bénéficier d’une démographie favorable. Enfin l’enseignement privé ne se caractérise pas par sa pratique de la charité : la sociologue Fabienne Federini montre qu'il préfère nettement laisser les élèves à Besoin Educatif Particulier au public. 90% des collégiens d’ULIS sont scolarisés dans le public. 377 collèges privés accueillent un dispositif ULIS contre 2 321 collèges publics. Seuls 16 collèges privés proposent une unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants, soit moins de 1%, contre 1 024 dans le secteur public, soit plus de 19%. 94 collèges privés comportent une SEGPA, contre les 1 494 du secteur public… Lire aussi : Intervention de Laurent Frajerman sur Radio France Internationale : l'affaire Oudea-Castera Quand le privé est favorisé par les recteurs dans les ouvertures de classe Les recteurs décident de l’ouverture de classes ou de filières en fonction d’un « besoin scolaire reconnu ». Une règle informelle limite les effectifs d’élèves du secteur privé sous contrat à un ratio de 20 %. L’exemple de Paris est frappant. Une étude en cours de l’économiste Julien Grenet montre l’ampleur de la ségrégation sociale du fait de la forte implantation du privé dans un territoire dont la taille restreinte permettrait une carte scolaire beaucoup plus démocratique. Loin de combattre le privé, dont la part est deux fois supérieure à la règle nationale des 20 %, le recteur de Paris, Christophe Kerrero, a encouragé sa croissance : « Le rectorat ferme de nombreuses classes dans le public faute d’élèves, mais pas dans le privé », expliquait Jean-Noël Aqua, élu communiste au Conseil de Paris dans Le Monde[1]. Selon les projections de Julien Grenet, la part des élèves scolarisés en 6e dans le privé est passée de 35,4 % en 2020 à 37,5 % en 2022, et pourrait atteindre les 50 % à horizon 2030. En parallèle, Christophe Kerrero a mis en place avec le même économiste une réforme de l’inscription dans les lycées publics. Affelnet a pour but affiché de renforcer leur diversité sociale, mais sans toucher aux lycées privés. Au risque d’augmenter leur attractivité… Le rapport des français à l'école privée La défaite du camp laïque en 1984 avait mis à jour une évolution fondamentale, l’interpénétration des deux systèmes, le privé étant considéré comme une seconde chance : 50% des familles ont eu recours au moins une fois à un établissement privé pour au moins un de leur enfant. Dans un sondage Kantar/FCPE paru en 2020, 87 % des parents se déclaraient satisfaits de la manière dont se déroule la scolarité de leurs enfants, ceux du privé ne se distinguant pas (89 %). Pourtant, les français sont convaincus de la plus grande efficacité de ce dernier : En effet, les résultats bruts des élèves de l’enseignement privé sont meilleurs que ceux du public, du fait que les publics accueillis ont un IPS supérieur et témoignent donc de meilleures dispositions envers l’institution scolaire. On peut évoquer également un effet positif du consumérisme scolaire, les parents s’impliquant plus. D’après l’enquête PISA 2022, le climat scolaire est également meilleur. Bref, le principal atout du privé n’est pas son fonctionnement mais sa clientèle : des élèves connaissant leur métier d’élève. Le sentiment de meilleure qualité exprimé par les français n’est donc pas illogique. Pourtant PISA démontre que l’enseignement privé, alors qu’il bénéficie de conditions très favorables, est moins performant que le public quand les élèves sont comparables : « Après prise en compte du profil socio-économique des élèves et des établissements, l'avantage des établissements privés disparait et les élèves des établissements publics obtiennent des résultats en mathématiques supérieurs de 21 points à ceux des élèves des établissements privés (la différence moyenne de l'OCDE est de 11 points en faveur des établissements publics) » Avec une autre formulation, plus concrète, le résultat est meilleur, parce que les français peuvent idéaliser l’école privée tout en sachant que l’école publique du secteur leur conviendra. Mais si le public l’emporte, notons que le privé semble avoir une belle marge de progression… On peut aussi remarquer que ce sondage date un peu (7 ans) et craindre que le pessimisme nouveau affiché par les français sur leur école ne retentisse d’abord sur son élément principal, le secteur public. La comparaison entre un sondage OpinionWay de 2024 et un précédent réalisé en 2013 semble l’indiquer : Culpabiliser les familles qui mettent leurs enfants dans l’école privée en critiquant le séparatisme social est donc contreproductif. Certes, cette addition de choix individuels, souvent alimentée par des rumeurs, aboutit à un système profondément inégalitaire. Toutefois, le privé se nourrit des carences du public. Ce choix s’avère partiellement contraint et l’Etat y a sa part de responsabilité, menant depuis des décennies de politique éducative régressive et austéritaire. Une petite majorité des français manifeste en conséquence un soutien net à l’école privée : Le choix n’existe pas réellement pour les classes populaires, assignées à un service public dégradé du fait de cette concurrence déloyale. Elles en ont globalement conscience. Néanmoins, 50 % des foyers les plus pauvres du pays sont attachés à ce qui relève du mirage dans leur cas. Cependant, si le focus est mis sur l’aspect politique, le besoin d’éduquer ensemble les citoyens de demain, les réponses sont très différentes. Les valeurs de la République sont historiquement liées à la construction de l’école publique : Les positions des différentes forces progressistes La gauche n’était pas unanime dans son rapport au secteur privé. La gauche réformiste a longtemps refusé de relancer la guerre scolaire, et appréhendait cet enseignement comme une sorte de modèle à transposer au public, avec les relations hiérarchiques entre enseignants et chefs d’établissements, l’autonomie des établissements et la réputation d’accueillir mieux les parents d’élèves... Najat Vallaud-Belkacem a néanmoins fait preuve de courage politique en renforçant les contrôles sur les écoles privées hors contrat, dans une perspective de protection de l’enfance. Les autres forces rejettent l’existence même du secteur privé. Or, si le slogan « à école publique, fonds publics, à école privée, fonds privés » peut garder sa pertinence philosophique, comme principe fondamental guidant l'action des forces laïques, il n’est plus opératoire sur le plan de l'action politique immédiate. Il s’inscrit contre un consensus de l’opinion publique et poserait des difficultés juridiques, au plan de la Constitution (le Conseil constitutionnel en a fait un principe fondamental le 23 novembre 1977 ) et de la Charte Européenne. Se cantonner à ce seul objectif serait donc prendre le risque de l’impuissance, alors que le privé pousse ses pions. Les forces laïques l’ont compris, en tentant de renouveler leur plaidoyer pour se concentrer sur les privilèges des établissements privés. Ainsi le Comité National d’Action Laïque[2] a soutenu le dépôt d’une proposition de loi par Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts de Seine, qui propose de moduler les subventions publiques à l’enseignement privé en fonction de critères de mixité sociale. Cette revendication d’urgence a obtenu un écho important, qui montre que l’opinion publique peut évoluer. Najat Vallaud-Belkacem et François Dubet ont également publié dans Alternatives Economiques une tribune reprenant cette proposition. Néanmoins, exiger de l’enseignement privé qu’il respecte des critères de mixité sociale peut s’avérer insuffisant. En effet, dans des territoires comme la Seine-Saint-Denis, celui-ci peut sélectionner les meilleurs élèves boursiers, et ainsi affaiblir encore les établissements publics de l’Education Prioritaire. La question n’est pas que sociale, elle est aussi scolaire : le public accueille les élèves perturbateurs, en difficulté, alors que le privé les rejette le plus souvent. On connait également sa stratégie de sélection des élèves tout au long de leur scolarité, ceux qui réussissent le moins étant exclus ou orientés vers des filières courtes. Il faudrait donc imposer un droit de regard de l’Etat sur le recrutement des élèves de l’enseignement privé. Mais comment le faire sans le légitimer, sans qu’il n’en tire argument pour prétendre participer au service public de l’éducation ? De leur côté, les écologistes (dont Marine Tondelier et Philippe Meirieu) ont publié une tribune dans Libération : « Les ghettos scolaires de riches et de pauvres ont des effets explosifs sur la cohésion sociale ». Ils proposent que les établissements ne comptent pas plus de 60 % d’élèves favorisés ou défavorisés. Axée sur la mixité, cette tribune ne différencie pas établissements publics et privés, gommant ce qui distingue l’école pour tous d’une école de l’entre soi. S’agit-il d’une question de préférence, comme entre deux marques de smartphone ? Enfin, La France Insoumise s’est récemment manifestée. Le député Paul Vannier est à l’initiative d’une mission parlementaire sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat qui doit paraître bientôt. L’angle choisi permet d’insister sur le laxisme de l’Etat, le manque de transparence financière (par exemple sur les effectifs réels), les arrangements divers avec la réglementation, alors que la presse d’investigation a déjà révélé plusieurs affaires. A l’offensive contre l’enseignement catholique, LFI se réfère plus difficilement à la Laïcité, devenue un terme péjoratif dans son esprit, synonyme d’islamophobie. D’autres forces souhaitent articuler le combat laïque et celui pour la mixité sociale. L’un des points faibles de l’enseignement privé est la question des valeurs, il apparaît en décalage avec l’évolution des mentalités, ce que l’affaire Stanislas a mis en lumière. C’est la position du PCF et du PS. Les syndicats enseignants et étudiants, ainsi que les associations laïques ont dépassé leurs traditionnelles divergences et produit un texte commun, qui choisit cet angle : « L’école publique laïque n’incarne pas un idéal éthéré derrière lequel se réfugier à chaque drame pour mieux poursuivre ensuite les politiques de son affaiblissement. Les attentats islamistes comme les offensives réactionnaires (dans lesquelles fondamentalismes religieux et extrême droite sont très actifs) contre des enseignements, des établissements et des personnels, le relativisme scientifique galopant, la désinformation rappellent les enjeux démocratiques inhérents au renforcement de l’école laïque. » Malgré ce fourmillement d’initiatives des partis, syndicats, associations et intellectuels, ces forces restent dispersées. Pourtant, de nouvelles recherches éclairent cet enjeu (notamment les sociologues Fabienne Federini et Pierre Merle). Elles attestent de l’importance de la volonté politique, face au non-respect partiel des textes législatifs et réglementaires par l’enseignement privé. Démanteler ses privilèges et exiger que les inspections défavorables soient assorties de sanctions, voilà un programme commun que l’opinion publique peut entendre ! [1] Eléa Pommiers, Le Monde, « Baisse du nombre d’élèves : comment le secteur privé affronte la réduction de ses effectifs », 4 septembre 2023 [2] Le CNAL est composé de l’UNSA éducation et du Syndicat des Enseignants UNSA (2e force derrière la FSU), de la Ligue de l’Enseignement, de la FCPE et des Délégués Départementaux de l’Education Nationale.

  • Réforme Attal : le hiatus entre les enseignants et la recherche dominante en éducation

    Avertissement : ce billet complète le post suivant : "Les enseignants et la réforme Attal. Hétérogénéité, redoublement, compétences..." Sommaire : La magie du chiffre Les méta-méta analyses Un cas :  l’hétérogénéité des classes De nombreux commentaires affirment que la science invalide le redoublement et les classes de niveaux, et s'interrogent sur l'incapacité des acteurs à le comprendre. Or le sociologue Romuald Normand s'élève dès 2003 contre : « une conception objectiviste de l’éducation dont on commence à évaluer les effets pervers sur le management des écoles et les pratiques pédagogiques. En fait, cette confiance excessive dans les conclusions d’une expertise tend à confisquer le débat démocratique en empêchant une réflexion collective sur le projet politique de l’école. » En effet, un débat traverse le champ scientifique, qui a tendance à être nié par les prises de position dominantes, qui ont tendance à confondre sciences dures et sciences sociales. Comme l'explique l'historien Guy Lapostolle : "Une bipartition existe bien au sein du champ des sciences de l'éducation entre d'une part, les chercheurs qui sont au service d'une expertise susceptible de guider les politiques éducatives et d'autre part, des chercheurs qui sont davantage dans une posture de méfiance à l'égard de cette expertise. Quand les premiers s'accommodent volontiers du triomphe de cette valeur qu'est l'efficacité, de l'usage généralisé de la notion de compétence, les seconds se désolidarisent de cette demande d'expertise qui appelle à des évaluations chiffrées, à la mesure de l'efficacité des dispositifs qui sont mis au service des politiques ou encore de l'efficacité des enseignants, quelle que soit par ailleurs la subtilité avec laquelle les premiers la construisent." Ainsi, une chercheuse belge, Sabine Kahn, a mené une belle étude de sociologie compréhensive sur le redoublement, en montrant la rationalité des acteurs et en appelant à "considérer les contraintes de la pratique enseignante". Le SNES-FSU s'était d'ailleurs élevé contre "l’approche scientiste" du ministère Blanquer et la prétention de son conseil scientifique, toujours en place, de dicter les pratiques enseignantes. La magie du chiffre Il me semble en effet que la recherche dominante, notamment celle d'économie de l'éducation, devrait adopter une posture plus modeste, dans la lignée du « Je sais que je ne sais rien » de Socrate. D'abord, parce que l'erreur est humaine, et les résultats unanimes rares. Ainsi, plusieurs études présentées comme des preuves indubitables se caractérisent par des méthodologies dont l'économiste Marion Oury affirme qu'elles font preuve de "fragilité scientifique". Le sociologue Hugues Draelants, après avoir examiné toutes les études sur le redoublement, considère qu'elles "sont en réalité fort critiquables et fragiles d’un point de vue méthodologique et que le débat scientifique sur les effets du redoublement n’est pas tranché : il n’existe ni consensus scientifique  ni  résultats  univoques  à  ce propos." Ajoutons que certaines analyses illustrent le paradoxe de Simpson, lorsque des résultats statistiques sont faussés par l'oubli d'une variable explicative importante, qui joue à la fois sur la cause et sur la conséquence. Ce qu'on appelle un facteur de confusion peut être dans notre cas : le climat scolaire, car l'effet du groupe de niveau ne sera pas le même si la classe est calme ou agitée, le niveau de pression sociale sur les élèves, par exemple à Singapour l'investissement familial dans la réussite scolaire est très important, et les cours du soir fréquents, les inégalités sociales, des caractéristiques du système comme la différence public/privé en France, la formation des enseignants, les méthodes employées etc. Le facteur de confusion appliqué au redoublement sur @ScienceEtonnante : Ceci montre la nécessité de combiner recherches quantitatives et qualitatives, à l'image de celles du sociologue Stéphane Bonnéry quand il observait les élèves en échec scolaire. Car, en se fixant pour objectif d'évaluer une méthode, quel que soit le contexte et le nombre de facteurs en jeu, on risque de produire des résultats illusoires. Cette problématique est bien connue pour les études d'impact, qui ne sont pas toujours possibles, malgré les demandes pressantes des décideurs, obnubilés par la magie du chiffre. Selon l’économiste Etienne Wasmer : « Ne tenir compte que des études rigoureuses, mais partielles, à horizon court et au champ étroit, peut conduire à un effet lampadaire : n'étudier que ce qui est éclairé. » Il prône donc un " certain équilibre" dans les méthodes employées. Qu'on ne se méprenne pas : j'apprécie les études quantitatives, notamment randomisées, je crois possible et nécessaire d'évaluer des aspects des politiques publiques. Simplement, cela confère une responsabilité aux scientifiques, qui doivent expliciter leurs manière d'atteindre un résultat et admettre sa contingence. Par exemple, l'épisode du Covid a montré à la fois la capacité des scientifiques à produire un vaccin en un temps record et leurs hésitations et controverses sur les décisions politiques à court terme (faut-il reconfiner ? etc.) Lire aussi : Toutes les publications et interviews de Laurent Frajerman sur les questions de politique éducative Les méta-méta analyses Aujourd'hui, la mode est à la méta-analyse. L'une d'elle, fréquemment citée, provient de John Hattie, professeur à l'université de Melbourne, qui s’appuie sur plus de 2 100 méta-analyses portant sur les résultats scolaires, provenant de plus de 130 000 études. Elles ont été réalisées avec la participation de plus de 400 millions de jeunes âgés de 3 à 25 ans, principalement dans les pays développés. A l'évidence, la quantité constitue un argument choc. Ces méta-analyses correspondent à la pêche au chalut : le chercheur récupère tous les travaux, quelle que soit leur qualité et les raisons pour lesquelles ils ont été menés. Implicitement, il espère que leur masse et leur réduction à quelques données chiffrées noiera ces défauts. Mais une erreur ne devient pas une vérité parce qu'elle est répétée 100 000 fois. Pire, ces analyses d'analyses d'analyses, finissent par devenir de purs artefacts, à force d'éliminer des facteurs. A chaque étape du processus, le chercheur opère des choix, aplatit la réalité pour pouvoir la quantifier. Ces simplifications successives altèrent le résultat. Quand elles concernent des comparaisons internationales, l'écart entre les contextes devient très problématique. Ainsi, les économistes de l'éducation du consortium IDEE présentent le programme "Teaching At the Right Level" comme un exemple pour le système scolaire français. Développé par l'ONG indienne Pratham, promu par Esther Duflo, il s'adresse à des enfants illettrés, et n'a été mis en pratique dans aucun pays développé. Que cette expérience nous aide à réfléchir sur notre réalité, certainement, mais de là à en faire un modèle... Les méta-analyses et études d'impact peuvent fonctionner sur des objets simples, comme le niveau en mathématiques (en admettant une marge d'erreur, et en omettant les controverses entre scientifiques), beaucoup moins sur des objets complexes comme les méthodes pédagogiques ou la gestion des flux d'élèves. On a pu le constater avec la question des effectifs de classe. Des années durant, les études internationales ont légitimé les économies budgétaires en affirmant que la taille des classes ne comptait pas. Puis d'autres études ont affirmé l'inverse... Un cas :  l’hétérogénéité des classes Prenons un autre exemple, le principe d’hétérogénéité des classes (qui comportent des élèves de niveaux variés). Des économistes de l'éducation (dont Yann Algan, Julien Grenet et Marc Gurgand, membres du CSEN) ont reproché au ministre de dédaigner leurs conclusions, favorables aux seuls regroupements temporaires et basées sur ces méta analyses : "les regroupements permanents, tels que les classes de niveau, sont inefficaces, même s’ils sont limités à certains cours" (Le Monde, 4 décembre 2023). Or leur propre synthèse est beaucoup plus prudente : Cela n'empêche pas cette équipe de prôner dans sa tribune "un investissement conséquent dans la formation initiale et continue des enseignants afin de les doter des compétences nécessaires" pour la différenciation pédagogique. Résumons : nous sommes certains que l'homogénéité ne marche pas, et si l’hétérogénéité n'a pas fonctionné non plus, alors c'est de la faute des enseignants ! Ajoutons que l’hétérogénéité, notion réifiée par ces chercheurs, est toujours relative. Autrement dit, on peut l’encourager au sein de classes préparatoires aux grandes écoles, tout en étant très loin d'un enseignement commun à tous.... Le sociologue Pierre Merle rappelle à juste titre les écarts considérables qui existent entre les établissements scolaires, du fait de la ségrégation sociale et de l'existence de l'école privée. Dans des contextes si différents, l’hétérogénéité ne revêt pas le même sens. Prétendre qu'une enquête disqualifie ad vitam aeternam des groupes d'élèves plus homogènes me paraît donc exagéré. Ainsi, une enquête de la DEPP citée à charge contre les classes de niveau porte seulement sur les élèves de lycée, pour lesquels une sélection a déjà eu lieu. Comme souvent quand les experts doivent présenter leurs résultats à la communauté scientifique, l'article multiplie alors les conditionnels, les précautions. Il faut dire que les résultats ne sont pas tranchés : « L’effet prédit d’une [harmonisation de] la composition des classes au sein d’un établissement et d’une série demeure cependant faible. » Où mettre le curseur de la "bonne" hétérogénéité ? A quel âge ? Ainsi, sa version intégrale consiste à scolariser ensemble toute une classe d'âge, jeunes porteurs de handicap compris. Les théoriciens de l'inclusion, constatant que cette perspective n'est pas réaliste dans le système actuel, proposent donc de le redéfinir entièrement. Les autres réflexions se situent dans le cadre classique, mais avec de nombreuses nuances. On peut tout à fait défendre les classes hétérogènes au collège et soutenir qu'il est positif d'orienter les élèves dans trois voies différentes au lycée (générale, professionnelle et technologique). Un sociologue, Aziz Jellab, présente le lycée professionnel comme  une institution "qui a consacré l’innovation ou l’invention pédagogique comme une nécessité permettant de lutter contre l’échec scolaire". Dans ce cas, la création d'une filière distincte ne stigmatiserait pas des élèves ayant, "pour beaucoup, connu des difficultés scolaires au collège, voire dès l’école primaire". C'est la thématique de la seconde chance. Mais justement, d'autres sociologues préconisent la fusion de ces filières, au nom de la démocratisation... Cet exemple démontre que les recherches procèdent à de multiples choix, rarement explicités, alors qu'ils influent leurs résultats. D'autant que les différents intervenants dans ces débats n'ont pas toujours des objectifs concordants. L'essence du système scolaire est de transmettre le savoir et les outils pour apprendre, ses autres fonctions de socialisation peuvent être assumées par diverses institutions. En cohérence avec cela, ses agents, les enseignants, accordent de l’importance à la  valeur Travail, au fait que tous les élèves, y compris les meilleurs, soient stimulés. Cela correspond d’ailleurs à un besoin essentiel pour une économie moderne. Or, de nombreux chercheurs mettent en avant d’autres valeurs, qu'ils mobilisent pour leur évaluation : la lutte contre les inégalités sociales, le bien-être, le civisme etc. Décider de l'objectif prioritaire relève du politique, d'un choix de société. Qu'il soit éclairé par la science est nécessaire, mais à condition d'admettre que celle-ci ne peut pas répondre à toutes les questions si facilement.

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  • Engagement, mouvements sociaux & éducation | L. Frajerman

    Laurent Frajerman Engagement, mouvements sociaux & éducation Ce site offre des ressources variées pour comprendre les mouvements sociaux, les modes d'engagement et les politiques publiques : Avec des publications de format différent : du tweet au livre , en passant par des articles, passages TV et radio... Avec des analyses qui relèvent de la recherche, mais aussi de l'expertise (médias , blog , tweets ) Sur trois thématiques : Engagement/militantisme , Métier & politiques éducatives , Mouvements sociaux Depuis la Troisième République jusqu'aux enjeux contemporains ​ Mon terrain de recherche est celui des enseignants , en raison de leur militantisme ancré à gauche, de la force de leurs mobilisations et de leur syndicalisme. Entre hussards de la République et #profbashing , ils suscitent mythes et controverses, que je décrypte. Laurent Frajerman 16 mars 9 Min La conception de la démocratie syndicale chez Unité & Action (FSU) Laurent Frajerman 5 mars 9 Min Le renouveau du combat contre l’école privée Laurent Frajerman 29 déc. 2023 7 Min Réforme Attal : le hiatus entre les enseignants et la recherche dominante en éducation #conflits sociaux #identités collectives #pédagogie #syndicalisme #éducation populaire #métier #fonctionnaires #grève #management #politique Intro accueil Ouvrages Comment expliquer le succès actuel de la FSU et son imprégnation paradoxale par la culture syndicale créée par la Fédération de l’Education nationale ? Il faut revenir à la IVe République, dans une période marquée par l’essor du communisme en milieu enseignant et par la mise en place d’un modèle syndical original. Syndicat de masse et à bases multiples, réformiste, la FEN joue en pleine guerre froide un rôle de médiation entre la CGT et FO, participe à la gestion du système éducatif en y représentant les identités professionnelles. La FEN instaure un mode de gestion du pluralisme interne officialisant les tendances, tout en combattant fortement la minorité favorable à la CGT (le courant unitaire ou Unité et action). Or, loin d’incarner une alternative révolutionnaire, le courant unitaire constitue une version musclée de ce modèle. Qu’a-t-il apporté à la majorité réformiste de la FEN, en quoi a-t-il en retour été influencé ? Quel aspect prime dans les interactions à l’œuvre entre ces frères ennemis : l’idéologie, la profession, le niveau de militantisme ? Ce livre, fruit de 20 ans de recherches, croise sources orales, archives inédites et une abondante littérature militante. Il analyse finement la cohabitation de deux cultures syndicales dans la FEN (celle des instituteurs du SNI et des professeurs du SNES), l’articulation entre les structures locales, nationales et fédérales... Les pratiques militantes sont autant explorées que les discours. ​ Des clés pour comprendre le syndicalisme enseignant , d’hier comme d’aujourd’hui. Présentation et livre gratuit Les enseignants sont réputés pour la récurrence et la force de leurs grèves . Pourtant, ils doutent de son efficacité. Quel bilan tirer des différentes grèves enseignantes ? Penser et faire l'école. Un dossier éclectique de la revue La Pensée réunissant les points de vue d'Antoine Prost, Anne Barrère, Jérôme Deauvieau, Guy Coq, Christian Laval, Stéphane Bonnéry, et moi. L'ouvrage de référence sur l'histoire de la Fédération de l’Éducation Nationale. Avec une bibliographie complète, des documents d'époque et un guide des sources. Présentation et introduction Présentation et dossier gratuit Présentation et livre gratuit Ouvrages Radio-Télévision (chaîne Youtube , 129 vidéos : @laurent.frajerman ) Lire la vidéo Partager Chaîne entière Cette vidéo Facebook Twitter Pinterest Tumblr Copiez le lien Lien copié Lecture en cours 02:07 Lire la vidéo Guerre scolaire, laïcité : trailer Frajerman sur Blast, 13 avril 2024 Lecture en cours 01:55 Lire la vidéo Débat étudiant sur la Palestine, histoire, censure, antisémitisme ,BFMTV, 30 avril 2024 Lecture en cours 01:51 Lire la vidéo Le phénomène de la marche blanche, LCI, 12 avril 2024 Lecture en cours 02:04 Lire la vidéo Agressions entre collégiens : analyser pour agir, France Info TV, 6 avril 2024 France Culture, 27 juin 2023, raccourcir les vacances d'été ? 00:00 / 05:39 France Culture, Etre & savoir, 31 mai 2021, pénurie profs Europe 1, club des idées , 3 juin 2021 , "Faut-il supprimer le bac ?" BFMTV podcast, 25 janv 2024, Jérôme Bayle paysan Radio vidéo Engagement L’engagement des enseignants : entre mutation et continuité Enjeux UA : Vous analysez l’engagement des enseignants dans une perspective socio-historique, avec des travaux portant sur l’ensemble du XXe siècle. Quel est son trait saillant ? Laurent Frajerman : Incontestablement le surengagement, que ce soit sur le plan de la conflictualité, du taux de syndicalisation, de la participation à de multiples organisations. Ce n’est pas spécifique à notre pays. Dans le monde entier, les enseignants sont à la pointe des mouvements sociaux, du fait notamment de leurs faibles salaires, de leurs compétences et de leur choix d’un travail pour autrui. L’engagement est consubstantiel au métier, ce qui explique sa corrélation avec le niveau d’intégration au monde de l’éducation nationale. Enfin, les caractéristiques du travail enseignant ont très tôt favorisé un militantisme non militaire, ouvert à l’expression des individualités. Paru dans "Enjeux" n°268, mars 2021 articles phares Radio-Vidéo France Info, 11 mars 2023, manifestation, mouvement France Culture, 4 03 2020, déclassement enseignant TF1, JT 20 h, 3 nov 2019, résultat des évaluations CE1 Sud Radio, 23 nov 2022, autorité et uniforme

  • L'Humanité : accompagner les profs | Laurent Frajerman

    Tribune dans L'Humanité , 7 mai 2013 L’accompagnement, un levier pour enrichir les pratiques enseignantes Une fois de plus, une réforme de l’éducation néglige ce qui se joue dans la classe. Il est pourtant déterminant d’améliorer les méthodes et les postures des enseignants. Ceux-ci sont affectés par les changements profonds de leur métier, en termes de rapport à l’autorité, au savoir, aux parents, à la classe et à chaque élève. Sans compter les injonctions paradoxales auxquelles les enseignants sont soumis : ils sont censés à la fois tenir leur classe et ne pas sanctionner les élèves turbulents, transmettre des connaissances, le goût de l’effort sans notes ni redoublement… ​ Pour les aider à s’adapter, une impulsion du sommet peut encourager les trésors d’inventivité, de dévouement qui existent à la base du système, mais qui s’essoufflent souvent, faute de soutien. Dans ce domaine, l’accent est généralement mis sur la formation, dans l’espoir un peu naïf qu’il suffit de délivrer le « bon message » et les « bonnes pratiques » pour que les enseignants les appliquent. Le rejet des IUFM par la grande majorité des jeunes enseignants du premier et du second degré a pourtant montré qu’une formation d’adulte doit être active, et dispenser une théorie éclairant la pratique. Lire aussi : Tribune dans Le Monde , 4 juillet 2023 : "Crise du recrutement des enseignants : « On peut craindre qu’un point de non-retour ait été atteint » Un deuxième outil existe, l’accompagnement, dont l’invention procède du processus d’individualisation. En effet, la modernité fragilise l’individu dans son action par la multiplication des normes souvent contradictoires et la difficulté d’articuler les différentes subjectivités dans un cadre collectif. Ces problèmes ne peuvent être résolus par des règles descendantes uniformes. Dans d’autres métiers de la relation à autrui existent des procédures d’accompagnement intéressantes : groupes de parole, soutien personnalisé, posture de l’intervenant qui valorise le non-jugement. Avec l’analyse de pratiques, un groupe réfléchit sur l’exposé d’une situation professionnelle vécue. Chacun y apprend de l’expérience des autres et du travail d’analyse réalisé. Dans ce travail coopératif, la pratique vécue devient un objet de pensée. Le soutien au professionnel de terrain est personnalisé. ​ Aujourd’hui, l’idée d’accompagnement est certes en vogue dans le système éducatif, mais l’institution la déforme. Pour les parents, le précédent ministère avait inventé la mallette des parents, confondant imposition de normes et accompagnement. Pour les élèves, c’est encore pire : l’« accompagnement personnalisé » au lycée cache un pseudo-cours, sans aucun cadre, l’« accompagnement éducatif » n’est autre que le bon vieux soutien scolaire relooké… ​ Le vrai accompagnement dérange parce qu’il est participatif, qu’il implique l’intervention active des personnes concernées, à mille lieux des réformes autoritaires. Le message véhiculé par les accompagnants porte l’empreinte des accompagnés, est élaboré avec eux. Les enseignants eux-mêmes n’en voient guère l’intérêt pour le moment. Ils tiennent à juste titre à leur liberté pédagogique et se méfient de l’injonction au travail collectif, qui dissimule souvent un management néolibéral. Cependant, comme le dit François de Singly : « L’individualisation, c’est être soi, pas être seul. » Cette formule résonne particulièrement à propos du métier d’enseignant, si solitaire. ​ La révolution silencieuse de l’accompagnement présuppose plusieurs conditions. Il ne faut pas l’uniformiser, mais proposer une large palette aux enseignants. À l’heure actuelle existent les « groupes Balint », d’inspiration psychanalytique et « l’approche réflexive » qui déploie une démarche de recherche-action. Dans un cas se développe un travail de subjectivation, à partir des affects qui ont émergé, alors que dans l’autre cas se construit un travail d’objectivation, recherchant une prise de conscience des représentations sous-jacentes. Enfin, avec la « clinique de l’activité », le psychologue Yves Clot organise avec le SNES-FSU des séances d’échanges encadrées par des chercheurs, afin que les professionnels reprennent en main leur métier. Cette diversité stimulante permet de s’adapter à la variété des besoins. ​ Un véritable accompagnement nécessite des professionnels de qualité, qui travailleraient aussi bien en face à face qu’avec des groupes. L’éducation nationale aurait tout intérêt à bénéficier de l’expérience des associations d’éducation populaire, du moment que celles-ci se gardent des représentations caricaturales des enseignants. Elle peut aussi mobiliser ses propres ressources, à savoir des enseignants disposés à se former au rôle de tiers facilitateur et qui bénéficieraient d’une décharge de service. L’essentiel est de ne pas être assujetti à la hiérarchie administrative, gage de neutralité qui assure la confiance des personnels. L’accompagnement perdrait tout sens à se transformer en système de contrôle. ​ Généraliser les groupes de parole d’enseignants pose une dernière question : faut-il obligatoirement se situer au niveau de l’établissement ? Des expériences intéressantes montrent qu’un noyau militant ou une direction dynamique peuvent instaurer un climat d’échange pédagogique dans un établissement. Mais cela pose la question de la liberté de parole des enseignants (tant vis-à-vis de la hiérarchie que des leaders) et des effets de concurrence entre eux. ​ Les enseignants sont l’objet de nombreux fantasmes. Si on veut réellement améliorer leurs pratiques, mieux vaut s’appuyer sur leurs initiatives, les accompagner, que de leur faire la leçon. ​ Laurent Frajerman

  • tribune Libération, unité syndicale

    Tribune dans Libération , 11 septembre 2023 « Comment conserver l’unité syndicale du mouvement contre la réforme des retraites ? » Pour se ressourcer, le syndicalisme a besoin de poursuivre le processus unitaire qui a eu lieu au printemps 2023 en lançant des priorités communes et des initiatives régulières, estime le sociologue Laurent Frajerman. Le mouvement social sur les retraites a mis en lumière le syndicalisme, qui a démontré sa résilience grâce à l’existence et à la solidité de l’intersyndicale. Mais ce regain survivra-t-il à la reprise des affaires courantes ? La division syndicale a été poussée jusqu’à l’absurde, avec pas moins de cinq organisations représentatives dans le secteur privé et huit dans le secteur public, avec pour résultat un manque d’efficacité dans un contexte défavorable, voire périlleux. ​ Car le syndicalisme souffre d’un processus d’éloignement avec les salariés. Ainsi, durant la mobilisation, des dizaines de milliers de personnes ont adhéré, mais les effectifs syndicaux avaient baissé de 8 % entre 2013 et 2019 (soit un taux de syndicalisation global de 10,3 % selon la DARES), après une longue période de stabilité. ​ Les causes sont multiples, et concentrer les forces ne constitue pas un remède miracle. Néanmoins, après la démonstration du printemps dernier, un espoir s’est levé. L’intersyndicale a innové par sa méthode : volonté d’aboutir à des choix partagés, d’éviter les polémiques et de parler d’une seule voix sur les sujets essentiels tout en respectant la liberté de débat. L’impact sur la force de la mobilisation est une leçon à méditer. Les organisations peuvent-elles pour autant durablement dépasser leurs clivages dans une situation de concurrence généralisée ? Avec la diminution des cotisations, leurs ressources dépendent de plus en plus des échéances électorales, les contraignant à surjouer les désaccords. ​ Le syndicalisme oscille entre une culture conflictuelle, de contre-pouvoir et celle d’un groupe d’intérêt, dont le rôle de service para-public est de négocier le compromis social. Le champ syndical se divise en deux blocs, l’un, contestataire, emmené par la CGT et l’autre, modéré, par la CFDT ; chacun priorisant l’une de ces fonctions. Sur le plan électoral, la domination des syndicats modérés est sans appel. Dans les entreprises privées, CFDT, CGC, CFTC et UNSA recueillent 55 % des suffrages, FO, dont le positionnement varie selon les secteurs et le contexte, 15 %. Dans la fonction publique, les forces contestataires sont mieux implantées, la CGT reste première avec 21 % des voix, et peut compter sur l’apport de la FSU et Solidaires. En revanche, en termes de capacité de mobilisation, de nombre de militants, les syndicats contestataires surclassent les modérés. Leur rôle dans les vagues de grève leur permet de peser sur les orientations, comme pour le refus de la retraite à points en 2019. Toutefois, lors du mouvement du printemps 2023, les syndicats modérés ont réussi à faire descendre leurs adhérents dans la rue. ​ Ces dernières années, les deux blocs semblaient incapables de rompre avec une interaction délétère, qui polarisait le champ syndical et augmentait son impuissance. Du côté des modérés, le dialogue social sans rapport de forces les rendait dépendants du bon vouloir de leurs partenaires patronaux et étatiques. Par rapport aux autres syndicats, la CFDT a imposé son leadership en profitant du recul de la CGT. Mais, c’est un succès relatif, qui valide d’abord l’efficacité de son fonctionnement interne. ​ La stratégie du bloc contestataire était aussi en panne, les appels incantatoires à la lutte ne résolvant pas la difficulté à construire des actions avec les salariés. La CGT ne réussit pas à se restructurer. Elle a pour atout de peser nettement plus que les autres composantes de ce bloc, non représentatives dans le secteur privé : la FSU et SUD-Solidaires. Le bloc contestataire peut ainsi se regrouper plus facilement que celui des modérés. ​ L’unité d’action lors du mouvement est donc le produit de deux échecs stratégiques et d’une bataille défensive. Mais il ne faut pas sous-estimer la tentation de refermer la parenthèse en travaillant par bloc, même si les syndiqués convergent plus qu’auparavant, étant moins sensibles aux grands récits idéologiques. ​ Les émeutes ont mis en évidences d’autres fractures, certaines centrales intégrant des syndicats policiers influents quand d’autres dénoncent des violences systémiques. Plus globalement, si FO et la CGC se concentrent sur leur travail corporatif, la CFDT et la CGT travaillent avec des mouvements associatifs et écologistes, espérant renforcer leur attractivité. Toutefois, investir les thématiques sociétales représente un pari délicat, du fait de leur potentiel polémique. Pour le moment, nous assistons plus à une superposition partielle des luttes qu’à la convergence espérée. ​ Le pluralisme syndical est ancré dans l’histoire et la réalité sociale, les traditions propres à chaque structure s’étant cristallisées en autant de cultures militantes. Le regroupement organisationnel de tous les syndicats - l’unification - apparaît comme un mirage, dont rien ne prouve qu’il soit désirable. Néanmoins, les leaders syndicaux paraissent décidés à continuer sur la lancée du printemps, qui pour l’heure a profité à tous et a rapproché points de vue et pratiques, de la base au sommet. ​ Le syndicalisme a besoin pour se resourcer de poursuivre ce processus unitaire, en procédant par objectifs réalistes. La rationalisation du paysage syndical par des fusions ou des contrats d’alliance entre certaines organisations en est un, et cette perspective existe entre la CGT et la FSU. Un autre serait - à l’instar des confédérations italiennes entre 1972 et 1984 - la construction d’une structure souple offrant un cadre de discussion formalisé. En effet, s’ils veulent limiter la concurrence, les syndicats devront établir des priorités revendicatives communes et lancer des initiatives régulières, seules susceptibles de prolonger la dynamique. Laurent Frajerman

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