Laurent Frajerman (dir.), La grève enseignante, en quête d’efficacité, Paris, Syllepse, 2013
Présentation
Les enseignants sont réputés pour la récurrence et la force de leurs grèves, un professeur des écoles fait quatre fois plus grève qu’un salarié du privé. Pourtant, ils ont longtemps considéré que cesser le travail doit être réservé au syndicalisme ouvrier, du fait de leur rôle d’éducation de la jeunesse. Ils doutent encore régulièrement de l’efficacité de cet outil, se déclarent quelquefois prêts à faire d’hypothétiques grèves longues, mais pas la prochaine grève courte. Comment les responsables syndicaux affrontent-ils ces questionnements ?
La position des enseignants à la pointe du mouvement social s’est construite petit à petit, sous l’impulsion de leurs syndicats. Ceux-ci ont élaboré des formes de grève spécifiques (la traditionnelle grève de 24 heures, préparée à froid), tout en recherchant des alternatives (essai de grève du baccalauréat, grève administrative…). Quel bilan tirer de ces expériences ? Quel est le rôle de la répression étatique dans l’évolution des modalités de grève, quid du phénomène non gréviste ?
Ce livre répond en réunissant historiens, sociologues et militants d’horizons divers. Il analyse et confronte différents types de lutte, échelonnés entre 1920 et 2010.
Comptes rendus
Revue française de science politique
n° 63, 2013
Introduction (Laurent Frajerman)
Les enseignants sont régulièrement vilipendés par le pouvoir et la presse, qui les qualifient de « gréviculteurs ». En effet, un professeur des écoles fait environ quatre fois plus grève qu’un salarié du privé. Pourtant, les militants trouvent que leurs collègues sont peu combatifs, des interrogations existent dans la FSU sur les modes d’action utilisés, et leur pertinence dans un contexte d’offensive néo libérale. Rien ne prédisposait d’ailleurs les enseignants à devenir les fers de lance du mouvement social : ils exercent un métier de classes moyennes, leur milieu est individualiste et empreint de modération politique… Il m’a donc paru judicieux d’étudier le décalage entre la perception de la grève enseignante par le grand public et par les militants, d’interroger l’efficacité de cet outil, de réfléchir à son éventuel renouvellement. D’autant que la grève est un excellent analyseur d’une profession, de sa relation à la société.
La grève n’est pas qu’un moyen d’action, elle est aussi et surtout un marqueur identitaire, la preuve que l’organisation qui l’emploie est bel et bien un syndicat, et pas simplement une association professionnelle (Yves Verneuil). Elle est liée au système plus global de relations sociales entretenu dans un secteur. On ne peut comprendre la grève sans se référer à la nature du syndicalisme enseignant, et au rapport que les enseignants du secteur public entretiennent avec leur employeur, l’Etat. Un rapport ambivalent au cours du siècle : ils défendent l’État républicain, tout en critiquant son autoritarisme et en constituant un corps intermédiaire. Les débats du début du XXe siècle, lorsque la grève et le syndicalisme sont interdits aux fonctionnaires, le montrent amplement. Comment des fonctionnaires pourraient-ils s’opposer à la volonté générale, exprimée à l’occasion des élections ?
Une démarche particulière
Le colloque dont ce livre est issu avait pour objectif de stimuler la réflexion militante en l’ancrant dans une connaissance des expériences de lutte passées. L’Institut de Recherches de la FSU ne pouvait déléguer l’analyse aux seuls experts, même proches de ses conceptions. Le colloque a donc été conçu dans une démarche d’éducation populaire. Le principe est d’affirmer l’égale importance des points de vue des acteurs et des chercheurs, chacun avec sa spécificité : les témoins portent un vécu, analysent leur expérience, tandis que les historiens et sociologues appliquent des méthodes qui fondent la scientificité de leur travail. La conclusion d’André Robert développe ce point, et notamment son arrière-plan théorique.
Le choix des acteurs, toujours difficile et aléatoire, ne doit pas être interprété comme celui d’une version officielle. Ils ont été sélectionnés notamment en fonction des rôles qu’ils ont occupés (y compris dans des tendances minoritaires à la FSU, conformément à son principe fondateur de pluralisme), mais ils s’expriment en leur seul nom. Le plus important est qu’acteurs et chercheurs dialoguent. Ainsi, le travail d’Alain Dalançon sur la grève administrative de 1965 ne pouvait qu’intéresser Louis Astre, l’un des principaux acteurs de cet évènement. Sur l’essentiel, leurs avis convergent, cependant l’historien n’est pas le porte-voix du militant, lequel souhaite légitimement mettre l’accent sur certains aspects. Pour ces raisons, Louis Astre a écrit un autre article dans ce livre, centré sur le syndicat qu’il dirigeait, le SNET.
Mesurer la surconflictualité enseignante
Les enseignants font beaucoup plus souvent grève que les salariés du privé, et plus que les autres fonctionnaires. De 1999 à 2006, un professeur des écoles fait en moyenne 0,53 jour de grève par an, contre 0,43 pour l’ensemble des fonctionnaires. Entre 2005 et 2007, on compte 0,68 jour de grève par professeur des écoles et par an contre 0,14 jour de grève par salarié du privé. En volume, il y a eu 1 421 000 Journées Individuelles Non Travaillées pour fait de grève dans le privé en 2006 contre 668 133 jours au seul ministère de l’Éducation nationale. Ce ministère, qui n’emploie que 3,5 % de la population active, représente à lui seul 70 % du total de jours de grèves de la fonction publique de l'Etat et 28 % de l’ensemble des salariés !
Ces statistiques sont néanmoins à prendre avec précaution. Ainsi, en 2006 le ministère de l’Education nationale trouve 70 000 JINT de plus que celui de la Fonction publique, soit une marge d’erreur de 10 %… C’est encore plus vrai dans le privé, ce qui implique de raisonner sur des ordres de grandeur plus que sur des chiffres précis. Comment les interpréter ? Baptiste Giraud nuance les résultats obtenus en comparant des jours de grève, puisque les formes d’action diffèrent dans le privé, en étant nettement plus brèves. Est-il pour autant anodin que les uns se lancent dans une grève de deux heures alors que les autres perdent une journée entière de salaire ? Bien sûr, les enseignants perdent de toute façon 1/30 de leur salaire. Cette réglementation s’est durcie avec le temps (Quentin Lohou), réussissant seulement à canaliser la conflictualité enseignante. La différence dénote néanmoins un affaiblissement des luttes dans le privé. Dans les secteurs productifs où la nuisance est strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail, il est clair qu’une grève plus courte est moins percutante…
La surconflictualité enseignante ne se résume pas à sa manifestation la plus connue, la journée de grève, elle revêt une gamme très variée d’actions. Depuis 1974, le milieu connaît même sa grève par procuration, lorsque les élèves viennent en renfort de leurs professeurs en occupant ou en bloquant le lycée. La piste reste à creuser de cet apport des lycéens et des étudiants aux actions de leurs enseignants. Attention toutefois à l’illusion d’optique : la conflictualité des enseignants n’a pas augmenté, elle a seulement moins diminué que celle d’autres professions, comme les métallurgistes, avant-garde de la classe ouvrière des années 1950. La force et la régularité de la grève enseignante ont pris plus de relief, sans que cela ne dissipe les interrogations de ses tenants.
Un explication forte : les identités professionnelles
La grève constitue une affirmation du groupe professionnel, de sa cohésion, de ses valeurs. On fait grève parce qu’on est intégré dans le groupe enseignant. L’étude de Nada Chaar sur les stagiaires non-grévistes montre ce qui les différencie des grévistes, mais aussi l’existence d’une culture enseignante commune, une vision du monde relativement homogène, qui pourrait laisser espérer leur conversion à l’action militante, à condition que le syndicalisme sache répondre à leurs aspirations. Sa force est d’avoir toujours incarné les identités professionnelles du monde enseignant. Ainsi, Jean-Michel Drevon, loin d'opposer la grève générale aux objectifs catégoriels, aux luttes partielles, les relie. Etant militant de la tendance Ecole Emancipée, on aurait pu imaginer qu’il refuse cette dimension corporative (et non corporatiste) du mouvement social.
Au fond, on ne fait pas grève seulement pour obtenir des créations de poste ou des augmentations de salaire, selon le modèle de l’individu rationnel. Ainsi Claude Allègre, en attaquant l’image des professeurs, présentés comme un obstacle à la modernisation du système, a-t-il percuté leur estime de soi et leur identité intime, provoquant des réactions affectives qui dépassaient de loin le seul enjeu revendicatif. Le nombre de grévistes contre ses réformes était supérieur à la mobilisation contre de Robien, qui projetait pourtant d’alourdir la charge de travail…
Quelle spécificité pour la grève enseignante ?
Revenons à la racine de la grève enseignante. Elle n’est pas obligatoirement incluse dans le répertoire d’action des enseignants, comme le démontre le cas allemand (André Dellinger). Cependant, même dans ce pays, les enseignants procèdent à des grèves « démonstratives », tolérées du moment qu’elles n’exigent pas de revalorisation salariale (André Robert). En France, la grève enseignante appartient au domaine plus large de la grève de la fonction publique, négligée par une historiographie qui privilégie la grève ouvrière, plus romantique autrefois, plus désespérée aujourd’hui.
Chez les ouvriers, la grève a précédé et construit le syndicat : après de premières révoltes spontanées, ils constatent que les patrons rognent progressivement les acquis et se débarrassent des meneurs. Cela provoque la prise de conscience du besoin d’une organisation syndicale qui instaure un rapport de force permanent. Or, chez les enseignants, on assiste au phénomène inverse, l’activité syndicale permet progressivement l’habituation des personnels à ce mode d’expression sulfureux. La grève est issue d’une construction graduelle par des générations militantes, malgré une forte répression (la plupart des fonctionnaires révoqués au début du XXe siècle sont des syndicalistes enseignants). Elle provient indirectement d’un effort constant de développement de la sociabilité enseignante et de l’esprit de corps qui s’y rattache. Les syndicalistes s’en servent quelquefois pour culpabiliser les non-grévistes, comme la section FEN de la Haute-Vienne en 1957 :
A l’égard de nos camarades responsables syndicaux, la non réussite de la grève serait une trahison morale. Ils ont été élus démocratiquement par nous. Ils ont présenté nos revendications aux ministres avec notre accord…. Au moment où tous ces moyens ayant échoué, ils se retournent vers nous, ce serait une mauvaise action de les désavouer.
Outre le registre moral, il arrive même que l’on invoque la discipline syndicale, ainsi la section SNI de la Somme publie en 1958 la liste des non-grévistes. Le syndicalisme enseignant n’a jamais obtenu la participation de l’ensemble de ses membres aux actions qu’il décide (Danielle Tartakowsky). Il ressent d’autant plus durement cette limite que la seule invocation du nombre important de syndiqués ne suffit pas à convaincre les pouvoirs publics de satisfaire ses revendications.
Cette évolution croisée démontre l’insuffisance de la seule explication de la surconflictualité enseignante par les conditions matérielles, le revenu, la capacité d’agir... Les premiers ouvriers grévistes du XIXe siècle n’affrontaient-ils pas une conjoncture bien pire qu’aujourd’hui ? De même, les droits syndicaux et garanties collectives étaient nettement moins développés dans les années 1950. Aujourd’hui, les enseignants se mobilisent alors qu’eux-aussi vivent une période de régression, confrontés à l’intransigeance des gouvernements, à la rétraction de leurs rémunérations etc… La grève est une construction sociale, d’où l’intérêt d’en étudier les origines et les fondements dans une profession emblématique.
Le rapport à l’administration, à la hiérarchie intermédiaire (inspecteur de l’Education nationale, proviseur…) est essentiel pour comprendre les comportements grévistes. Quel est l’effet établissement ? Si ce livre privilégie l’échelle nationale, on ne peut faire l’impasse sur les multiples mouvements locaux (comme par exemple le mouvement des 500 postes en Loire-Atlantique en 2003). Les enseignants oscillent entre conflictualité et loyauté affichée envers les hiérarchies. Défenseurs intransigeants de la République au cours du XXe siècle, souvent en accointance avec elles, ils vont peu à peu ériger les sections syndicales en contre-pouvoir. Un certain équilibre régnait sous la IVe république, permettant une régulation des relations sociales avec l’administration. Sous la Ve république, la volonté du Pouvoir de se dégager de l’emprise syndicale a abouti à une dégradation des rapports à tous les niveaux. Aujourd’hui, dans de nombreux établissements du second degré, la conflictualité est nourrie par un refus des nouvelles méthodes de management. A l’opposé, des professeurs affichent leur loyauté envers l’institution tout en participant aux journées d’action nationales.
Les temps de la grève
La gestion du temps est un aspect important de la grève, car elle conditionne la possibilité d’une extension/amplification du mouvement. Sur la longue durée, le syndicalisme enseignant privilégie les actions mûrement réfléchies, donc préparées à froid. Les enseignants en grève ressemblent alors à une armée en campagne, que ses chefs syndicaux ne font manœuvrer que lentement. A tel point que jusque dans les années 1960, leurs décisions étaient prises des semaines à l’avance, par le biais de référendums et autres consultations des militants (Yves Verneuil et Alain Dalançon notamment). Cette pratique démocratique – mais si longue – prouve que la grève n’est pas alors considérée comme une fin en soi, mais comme une étape importante dans un processus de négociation avec le gouvernement, avec lequel elle gère l’Éducation nationale. Elle vise principalement à établir une pression suffisante pour conforter les dirigeants syndicaux dans leurs discussions avec le pouvoir.
Le livre contient deux exemples de grèves originales (grève reconductible des instituteurs de la Seine en 1947 et grève administrative des professeurs en 1965) qui ne donnent pas assez satisfaction à leurs instigateurs. De ce fait, leur souvenir est refoulé et la grève de 24 heures en ressort valorisée. Dans la palette des actions utilisables, les dirigeants des syndicats enseignants constatent chaque année la praticité du recours à ce type de grève. Les débats entre anciens et actuels dirigeants de premier plan de la FSU, réunis dans une table ronde, l’ont montré amplement : Laurent Cadreils a ainsi déroulé un véritable protocole de mise en œuvre de cette grève dans la section de Haute-Garonne du SNUipp. La routinisation est attestée dès les années 1950, mais peut-on chaque année mener des luttes de type nouveau ? La recherche d’alternatives résonne quelquefois comme le paravent de l’inaction. Toutefois, Bertrand Geay explore l’inventivité du mouvement des enseignants-chercheurs en 2009 (aspect ludique et médiatique d’initiatives comme la ronde des obstinés). L’absence de tradition de lutte aide paradoxalement à sortir des sentiers battus.
Dans une tradition rappelée par Monique Vuaillat, le courant Unité et Action cherche à impulser des actions plus dures, espérant entraîner le personnel dans une dynamique. On assiste à partir de mai 68 à une inflation du nombre de grèves, impulsée par Unité et Action, qui s’accompagne toutefois d’une diminution du taux de grévistes. Pour multiplier les chances de lancer une action durable, les nouveaux responsables du SNES prennent le risque de la grève minoritaire. Aujourd’hui l’idée qu’une minorité active peut suffire à étayer une lutte enseignante ne choque plus, et se trouve même en filigrane dans l’article de l’ancien secrétaire général de la FSU (Gérard Aschieri).
Après mai 68, la grève reconductible devient possible dans le milieu enseignant (1995, 2003…). Nous manquons d’explications sur cette conversion à des grèves longues. Si les enseignants ont toujours joué un rôle pivot sur le plan interprofessionnel, on ne peut affirmer pour autant que la solidarité avec la classe ouvrière les motive. On peut remarquer que l’intensité de ce phénomène est corrélée aux territoires dans lesquels les enseignants rencontrent de lourdes difficultés dans l’exercice de leur métier (mouvement de la Seine-Saint-Denis par exemple). La lutte serait alors le signe d’une souffrance au travail, le symptôme d’une exaspération professionnelle provoquée par le déclassement social. Cela n’élucide que partiellement la force de ces mouvements torrentueux.
Ébauche de périodisation de la grève enseignante en France
La périodisation ici proposée est une tentative de rendre compte de l’évolution sur la longue durée des formes de grève pratiquées par les enseignants. Les scansions de la vie politique constituent les bornes des phases repérées, conformément au lien entre enseignants du secteur public et Etat.
1-1918-1945 : phase d’acculturation. Les syndicalistes eux-mêmes doivent se faire violence pour adopter ce moyen d’action. En témoignent les passionnants débats entre syndicalistes révolutionnaires, qui hésitent à faire grève alors qu’ils se voient comme l’avant-garde du militantisme enseignant et ne rechignent pas à être minoritaires (Le Bars).
2- 1945-1968 : phase d’institutionnalisation. La ritualisation de la journée de grève est renforcée par l’échec de tentatives plus radicales, comme la grève des instituteurs de la Seine décrite par Robert Hirsch. Cette phase est corrélée à l’instauration d’un Etat social, recherchant le compromis entre les forces sociales, ce qui se traduit dans le monde enseignant par une participation syndicale à la gestion du système éducatif.
3- 1968-années 1980 : phase de radicalisation. La première participation des enseignants à une grève générale, en mai-juin 1968, constitue un tournant, accentué par les bouleversements syndicaux des années précédentes (unification du SNES et du SNET en 1966, nouvelle majorité Unité et Action dans le SNES en 1967, puis dans le SNEP en 1969). Les mentalités changent et on assiste à des mouvements enseignants - le terme compte - prolongés, de formes variées et donc moins prévisibles. L’apport des minorités de la FEN (Unité et Action, Ecole Emancipée) réside dans cette radicalité nouvelle des formes de mobilisation, accompagnée d’une plus grande souplesse.
4- Des années 1980 à nos jours : phase de remise en question partielle. L’Etat social des Trente Glorieuses se délite et la combativité de la période précédente est affectée par la régression en cours, sans que n’émerge un modèle alternatif. La grève enseignante perd de sa spécificité (diversification des durées d’action, jusqu’à des mois durant pour les chercheurs en 2009). Les syndicats sont affaiblis et encadrent moins les luttes, à l’exemple du rôle de l’AG des établissements en lutte dans le mouvement de Seine-Saint-Denis en 1998 (Bernard Boisseau). A partir de 1992, un nouveau pôle majoritaire, plus radical, émerge, avec le rassemblement dans la FSU des anciens minoritaires de la FEN. Alain Ponvert montre ainsi l’insertion des militants et de certains adhérents de la FSU dans un mouvement interprofessionnel, dont l’un des temps forts est le blocage des raffineries de pétrole, bien loin de l’univers policé des enseignants des années 1950... Néanmoins, la FSU s’inscrit dans le sillage de pratiques grévistes bien ancrées, et garde en bonne place dans son répertoire d’action la grève de 24 heures, à laquelle le grand public identifie encore aujourd’hui l’action enseignante.
Peut-on répondre à la question de l’efficacité ?
Comment mesurer l’efficacité de la grève, sur quels critères ? Il paraît bien difficile d’établir l’impact d’une action précise, car celle-ci s’insère dans un ensemble (Marianne Baby). La grève enseignante ne correspond guère au schéma action-réaction immédiate (de l’employeur). Il faut prendre en compte ses effets diffus. La répétition et la force des luttes enseignantes (dont les manifestations sont une autre facette) instaurant un rapport de force durable, le pouvoir hésite avant de s’attaquer aux acquis sociaux de la profession.
L’objectif et le type de grève mené comptent aussi. Quelquefois, les objectifs réels des grévistes sont plus généraux, moins pragmatiques que la liste officielle des revendications, comme lorsqu’il s’agit de contester les ministres de Nicolas Sarkozy. Au contraire, les grèves locales peuvent être évaluées, car bien souvent, elles correspondent à des revendications précises que les pouvoirs locaux sont susceptibles de satisfaire, surtout si elles obtiennent le soutien actif des parents d’élèves (création de postes, départ d’un chef d’établissement autoritaire…). Même remarque pour les grèves motivées par un fait précis, comme celle du 15 décembre 2011, même si son succès (Frédérique Rolet) ne suffit pas à expliquer l’abandon de l’idée d’évaluation des professeurs par les proviseurs. Il a fallu une alternance politique pour cela.
L’efficacité de l’action varie suivant le contexte ; dans le privé, les grèves sont plus efficaces en période de croissance, et donc à la fois plus nombreuses et moins longues. Pour les enseignants, la grève ne constitue pas une arme évidente, car elle rapporte de l’argent à l’employeur. Pourtant, elle s’est imposée, parce qu’à défaut de peser sur l’économie, elle représente tout de même un coût social (garde des enfants, souci de l’opinion pour la qualité de l’éducation…). Sa pertinence est donc directement corrélée au contexte politique au sens large. Mais alors, quel est l’objectif de la grève enseignante ? Bien souvent de populariser les revendications et de peser sur le processus de négociation avec le pouvoir.
Notes
Cinq fois entre 2005 et 2007, mais quatre entre 1999 à 2006. J’arrondis au chiffre le plus élevé pour le privé et au plus faible pour les enseignants.
Frajerman L., « L’engagement des enseignants. Figures et modalités, 1918-1968 », Histoire de l’éducation, n° 117, janvier 2008, p. 57-95.
Les colloques de l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT constituent une belle illustration de cette démarche : Bressol E, Dreyfus M., Hedde J., Pigenet M. (dir.), La CGT dans les années 1950, Rennes, PUR, 2005.
Cf également Robert A. (dir.), Le syndicalisme enseignant et la recherche : clivages, usages, passages, Grenoble, PUG, 2004.
En retirant 2003, année trop favorable aux enseignants.
Rapport de l’assemblée nationale, p. 8. http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r1045.pdf.
http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2009.04-18.2.pdf.
http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/TABLEAUX_2005-2007.pdf d’après l’enquête Acemo « Négociation et représentation des salariés », DARES.
Le total est de 952 354 JINTdans la fonction publique de l'Etat. DGAFP, bureau du statut général et du dialogue social.
Geay B. (dir.), La protestation étudiante. Le mouvement étudiant du printemps 2006, Paris, Raisons d’agir, 2009.
Perrot M., Jeunesse de la grève, 1871-1890, Seuil, 1985.
Siwek-Pouydesseau J., Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu'à la guerre froide. Lille, Presses Universitaires de Lille, 1989,
Frajerman L., « Construction des liens sociaux et des solidarités professionnelles : le rôle du syndicalisme enseignant », Regards croisés, n°1, janvier-février 2012, p. 30-33.
Frajerman L., Les frères ennemis. La Fédération de l’Education Nationale et son courant « unitaire » sous la IVe République, Paris, Syllepse, à paraître début 2013.
Geay B., Le syndicalisme enseignant, Paris, La Découverte, 2005.
Bechtold-Rognon É.- Lamarche T. (dir.), Manager ou servir ? Les services publics aux prises avec le Nouveau management public, Paris, Syllepse, 2011.
Poupeau F., Contestations scolaires et ordre social. Les enseignants de Seine-Saint-Denis en grève, Paris Syllepse, 2004.
Dalançon A., Histoire du SNES, t. 2 : Les années tournant (1967-1973), Paris, IRHSES, 2007.
Szajnfeld R., Histoire de la FSU : une percée flamboyante (1993 - 1997), tome 1, Paris, Syllepse, 2010.