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Tribune dans Le Monde, 23 juin 2020

Baccalauréat : “Pourquoi il ne faut pas pérenniser le contrôle continu”

Journal Le Monde, tribune de Laurent Frajerman sur le baccalauréat

« Si le bac peut être obtenu à la faveur d’une notation de proximité, il n’est plus le bac », estime, dans une tribune au « Monde », l’historien et spécialiste de l’engagement enseignant Laurent Frajerman.

 

A l’heure où les jurys de baccalauréat se réunissent, la réforme initiée par M Blanquer n’est quasiment pas entrée en vigueur, du fait de la pandémie et des difficultés de la première session des E3C (sorte de partiels). Elle apparaît d’autant plus fragilisée qu’elle suscite de fortes oppositions, de la part de la presque totalité des organisations représentatives des enseignants, élèves et parents. Mais que faire en cas de refonte ?  Faut-il pérenniser le choix fait à l’occasion du confinement, le contrôle continu ?

 Le bac, critiqué pour sa lourdeur, existe pourtant depuis 1808 et a traversé maintes crises majeures en conservant son principe : un examen national de fin de cycle, ouvrant sur l’enseignement supérieur, avec des sujets et des corrections indépendants de l’établissement, garants de leur objectivité. Dans un rapport de 2016 du Conseil national d’évaluation du système scolaire, Nathalie Mons soulignait que « le modèle français du baccalauréat est devenu dominant dans l’OCDE » car il permettait « une évaluation des acquisitions réelles des élèves qui soit de plus harmonisée au niveau national. » Cependant, petit à petit, il a été vidé de sa substance : les taux de réussite s’envolaient ; avec Parcoursup, l’entrée dans le supérieur était acquise avant même son obtention. Les élèves, informés de ces évolutions, continuaient néanmoins à travailler, preuve de la force du rite.

 

Un consensus pour le changement

 

Lorsque M Blanquer prend ses fonctions, le bac conserve un poids symbolique, mais l’opinion valide à 77 % « l'introduction de contrôle continu au bac » (sondage BVA, 2017). Lorsque le questionnaire représentatif Militens (2017, FSU, CERAPS et DEPP du ministère de l’Éducation nationale) propose aux professeurs du second degré une alternative binaire : « Il faut remplacer totalement le baccalauréat par du contrôle continu », 69 % optent pour le bac. Ce choix est largement majoritaire dans toutes les sensibilités du corps enseignant, même parmi les proches des organisations syndicales réformistes (SE-UNSA et SGEN-CFDT).

Quand l’interrogation offre un plus grand nuancier (sondage IPSOS/SNES-FSU, 2018), on constate toujours un appui à l’examen national, mais l’idée d’introduire une part de contrôle continu recueille 43 % de soutien, et domine parmi les proches des syndicats réformistes (53 %). La proposition du SNES FSU, syndicat majoritaire, d’une modernisation des « épreuves terminales sans introduire de contrôle continu » recueille 42 % d’approbation dans la profession. Le consensus qui se dégage porte donc sur un allègement du bac, avec un débat sur la part de contrôle continu à introduire.

 

Un compromis bancal 

 

La réforme de M Blanquer voulait résoudre cette quadrature du cercle grâce à un empilement de modalités de certification (10 % de contrôle continu, 30 % d’E3C, 60 % d’épreuves terminales) dont les limites sont rapidement remontées du terrain. Les E3C représentent une synthèse bancale : un contrôle continu qui doit être cadré par des épreuves de type examen (correction par un autre enseignant, anonymat).  Or, les épreuves se déroulent dans l’emploi du temps habituel, ce qui a alimenté les soupçons de fraude, d’autant que les sujets, choisis localement dans une liste nationale réduite, ont vite circulé sur les réseaux sociaux. En outre, une couche d’examen supplémentaire est superposée sur le rythme normal. Avec un calendrier étalé sur deux ans au lieu de quelques semaines, la dénonciation du bachotage, argument fondamental contre le bac, aboutit paradoxalement à son renforcement.

La critique de cette architecture est généralisée, de l’inspection générale, fait rare, aux parents qui regrettent sa complexité en passant par les chefs d’établissements, chargés d’organiser un examen très lourd. Preuve est faite qu’on peut dépenser autant, voire plus d’argent et d’énergie qu’avec le bac traditionnel, qui avait l’avantage de mutualiser. Notons que le passage de l’ensemble des examens au contrôle continu du fait de la pandémie a débouché sur de faibles économies (60 millions d’euros, un millième du budget du MEN).

Enfin, le calendrier des épreuves nationales pose question : les examens terminaux des spécialités sont placés en fin de 2nd trimestre, pour intégrer leurs résultats dans Parcoursup. Reste en fin d’année la philosophie et le grand oral, qui ne comptent que pour 18 % de la note et se trouvent marginalisées. Autant dire que l’assiduité n’est pas acquise au troisième trimestre.

Les impasses du contrôle continu

 

Le bac traditionnel ne parvenait pas à empêcher le développement d’un marché scolaire, il ne contrait qu’imparfaitement la concurrence entre établissements et les inégalités entre élèves. Ce constat est utilisé pour proposer de supprimer cette digue insuffisante, au risque d’aggraver le phénomène. Or, le contrôle continu reproduit les inégalités sociales territorialisées, est sensible au jugement porté par l’enseignant sur l’élève et contribue à augmenter artificiellement les notes. On le voit avec la réforme du lycée qui instaure une compétition entre disciplines, tentées d’adopter une notation généreuse pour capter les élèves vers leur spécialité. Les systèmes de notation varient déjà beaucoup, avec des lycées prestigieux, où l’élitisme est une valeur, et à l’autre bout du spectre des établissements populaires ou privés. D’ailleurs, Parcoursup permet de pondérer la moyenne des élèves en fonction de leur établissement. Seul un examen national garantit le principe d’égalité dans ces circonstances, ce qui explique les mobilisations récurrentes des lycéens de banlieue en sa faveur.

Pour conjurer ces défauts, les partisans du contrôle continu promettent de le réguler, mais est-ce possible ? Les inspecteurs sont trop peu nombreux pour cadrer les notes sur le terrain. Miser sur la formation, parent pauvre de l’Education nationale, renverrait aux enseignants la responsabilité d’un problème systémique. Car leurs notes dépendront de la pression sociale qui sera exercée sur eux par les usagers, leurs collègues, mais aussi leur proviseur, soucieux du classement de son lycée.

Pour le ministre, il ne fallait pas laisser penser que l’allègement signifie la fin d’un totem. Or, à l’été 2019, la “grève du bac” l’a amené à assumer son choix d’une épreuve locale, en remplaçant les notes retenues par les grévistes par celles de l’année. Aller dans ce sens en convertissant tous les E3C en contrôle continu constituerait certes un choc de simplification, mais semble dangereux. Si le bac peut être obtenu à la faveur d’une notation de proximité, il n’est plus le bac. Une autre option serait de revenir aux fondamentaux, en introduisant des éléments de souplesse qui ne le dénaturent pas, et en intégrant Parcoursup dans la réflexion.

Laurent Frajerman

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